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Santé publique (2 novembre 2006)


 

 

Les exclus des prothèses dentaires

En Belgique, 39% de la population a une prothèse dentaire partielle ou totale. Mais les critères pour bénéficier d’un remboursement par l’assurance maladie excluent de très nombreuses personnes qui doivent alors débourser des centaines d’euros pour leur prothèse dentaire ou y renoncer. Une situation que dénonce le service social de la Mutualité chrétienne qui lance un appel pour que la politique de prévention n’occulte pas les soins indispensables. Rencontre avec Serge Jacquinet, responsable du service social à l’ANMC.

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n'est pas rare que des personnes
doivent débourser entre 800 et 1200 euros
pour une prothèse dentaire

 

En Marche: Les services sociaux des mutualités sont en première ligne pour détecter et signaler les difficultés récurrentes rencontrées par les patients (1). L’accès aux prothèses dentaires semble un problème particulièrement aigu pour toute une série de personnes. Que constatez-vous sur le terrain?

Serge Jacquinet: Concrètement, de très nombreuses personnes, particulièrement dans les milieux sociaux défavorisés, n’entrent pas dans les conditions d’âge et de dérogations pour pouvoir bénéficier d’un remboursement de leur prothèse dentaire par l’assurance maladie. Par ailleurs, les patients sont confrontés à des choix complexes et insécurisés devant les techniques et matériaux qui leur sont proposés par les praticiens à des prix extrêmement variables alors que le remboursement par l’assurance obligatoire est forfaitaire. Cette difficulté est amplifiée par le fait que près de 50 % des dentistes ne sont pas conventionnés!

D’après les dossiers que nous avons vus, il n’est pas rare que les personnes doivent débourser entre 800 et 1200 euros pour une prothèse dentaire! Pour des familles ou personnes à faibles revenus, cette somme est évidemment bien trop lourde à assumer d’autant qu’elles font face en même temps à d’autres dépenses qu’elles ne peuvent éviter ou reporter (pension alimentaire, remboursement de dettes, autres frais médicaux…). Dans beaucoup de situations, la personne (partiellement) édentée est finalement obligée de renoncer à sa prothèse dentaire. Or, les prothèses dentaires contribuent à rétablir la physionomie, l’élocution, la mastication et plus globalement mais non moins significativement le bien-être de la personne, son estime de soi, et partant, ses chances d’intégration socio-professionnelle.

 

EM: Le remboursement des prothèses dentaires par l’assurance maladie n’est donc pas adéquat? Pourquoi?

SJ: En matière de prothèses dentaires partielles ou totales, l’intervention de l’assurance-maladie n’est prévue que pour les personnes âgées d’au moins 50 ans. Des dérogations à cette limite d’âge sont prévues dans un certain nombre de situations sanitaires dignes d’intérêt et sous certaines conditions.

Il faut reconnaître que le récent abaissement de la limite d’âge pour les prothèses dentaires totales (de 60 à 50 ans) a déjà permis de résoudre d’assez nombreuses situations. Mais l’examen plus précis des dérogations prévues au critère d’âge laisse apparaître nettement la priorité aux raisons purement médicales à l’origine de la perte ou de l’extraction des dents: maladies colo-rectales, chimiothérapie, interventions mutilantes du système digestif, handicap persistant rendant impossible de conserver une hygiène buccale correcte, absence congénitale ou héréditaire de multiples dents…

Cette liste limitative permet d’éviter très probablement une augmentation assez sensible du budget consacré aux soins dentaires et témoigne du souci du législateur de responsabiliser le patient. Mais cette évidence pose cependant question et mérite un débat social, éthique et politique. C’est en effet la première fois qu’on conditionne le remboursement des soins de santé au comportement adéquat du patient. En l’occurrence, celui-ci ne sera pas remboursé pour sa prothèse dentaire s’il est jugé responsable de la perte anticipée de ses dents!

 

EM: Cette responsabilisation est effectivement interpellante. C’est comme si on voulait punir ou pénaliser les personnes qui n’ont pu bénéficier des campagnes de prévention. On sait pourtant que le capital dentaire est bien inégalement réparti pour des raisons héréditaires mais aussi sociales.

SJ: C’est tout à fait vrai. Responsabiliser le patient par rapport à son capital dentaire est en soi une bonne chose! Mieux vaut prévenir que guérir! Mais par essence, la prévention est une stratégie sanitaire qui vise à réduire les coûts pour le patient et pour la collectivité sur le long terme. La priorité à la prévention ne peut donc conduire les “moins-nantis” au plan dentaire à se voir refuser des soins considérés aujourd’hui comme indispensables. Cette conclusion est d’autant plus évidente que les campagnes de prévention ne touchent pas nécessairement le public qu’elles devraient prioritairement concerner. Et même lorsque la gratuité est assurée, la personne hésite trop longtemps, tant le monde de la dentisterie est ressenti comme peu transparent et réputé cher! Les prix ne sont pas affichés et aborder une discussion sur le prix est encore un tabou pour bien des patients. Sans compter que, pour des familles en difficultés multiples, devoir négocier un prix est difficile et les renvoie à une représentation négative d’elles-mêmes que nous avons du mal à comprendre.

 

EM: Offrir la gratuité (remboursement à 100 % du tarif conventionné) des soins dentaires pour tous les enfants de moins de 12 ans est pourtant une bonne mesure préventive.

SJ: Oui, mais ce nouveau droit sans accompagnement et sensibilisation des populations à risques ne suffira probablement pas à responsabiliser chaque enfant/parent à préserver son capital dentaire le plus longtemps possible, tant est prégnante et largement répandue l’idée, particulièrement dans ces populations, que le dentiste, cela fait mal et coûte cher.

La priorité à la prévention ne peut conduire les "moins-nantis" au plan dentaire à se voir refuser des soins considérés aujourd'hui comme indispensables.

En regard de situations socio-économiques précaires, même la gratuité des soins n’apparaît plus comme un incitatif tant le réflexe préventif, dans quelque domaine que ce soit, a cédé progressivement le pas à l’urgence du quotidien.

Comment dès lors accompagner efficacement ce nouveau droit? Comment diffuser une information accessible et ciblée? Ce sont là des défis importants si l’on ne veut pas que la prévention conduise à une politique de santé élitiste, renforçant le capital-santé des riches bien portants et excluant les pauvres malades.

On pourrait par exemple envoyer un courrier personnalisé à tous les enfants n’ayant pas bénéficié d’au moins une visite chez le dentiste au cours de l’année précédente. Cette mesure pourrait d’ailleurs être élargie à tous les adolescents et adultes en ce qui concerne l’examen annuel buccal préventif.

 

EM: Revenons à la question de la responsabilité du patient dans la perte de ses dents. Quand on regarde de plus près la liste des conditions médicales pour bénéficier du remboursement d’une prothèse dentaire avant 50 ans, on voit que certaines maladies comme l’alcoolisme et la toxicomanie ne sont pas évoquées.

SJ: Effectivement. Tout fonctionne comme si certaines pathologies disculpaient le malade et d’autres non. Nous sentons bien que, sur ce terrain, le discours de responsabilisation est avant tout un discours culpabilisateur. Ainsi, l’alcoolisme et la toxicomanie apparaissent-ils aujourd’hui comme des maladies où la responsabilité du patient serait davantage engagée que d’autres. En est-on si sûr? Et si oui, la raison en est-elle suffisante que pour exclure ces personnes d’une restauration de leur estime de soi pourtant indispensable dans le cadre de la revalidation sociale?

 

EM: Que proposez-vous concrètement?

SJ: Tout d’abord, nous plaidons pour qu’on élargisse le champ des dérogations à toutes les pathologies ayant pu conduire à une détérioration précoce de la dentition. En d’autres termes, la priorité ne doit-elle pas être aussi de répondre aux situations où l’absence de dents, quel qu’en soit le motif, se révèle handicapante pour la personne dans le cadre de son bien-être personnel et de sa pleine participation sociale?

On devrait également évaluer davantage les coûts cachés de l’absence de dentition saine (difficulté d’alimentation, risque d’infections, difficulté sur le marché de l’emploi, isolement social, dépression,…) en regard des avantages et des coûts d’une politique moins économe et davantage axée sur le long terme.

 

Des solutions doivent en outre être apportées à ces malades que les dentistes nomment dans leur jargon les “quatrième degré”, ceux dont l’état dentaire est tel que l’absence de soins et de solutions durables peut conduire à des pathologies bien plus graves (trous osseux dans la mâchoire, infections pouvant entraîner des complications cardiaques, rénales). Ces malades - plus responsables que d’autres?- et que la société continue d’ignorer et d’exclure, y compris des soins de première nécessité, réclament toute notre attention et appellent notre solidarité.

Entretien: Joëlle Delvaux

 

(1) Les services sociaux régionaux de la MC ont créé un groupe de travail qui a pour objectif le recueil, l’analyse et le suivi des signaux, c’est-à-dire des difficultés récurrentes rencontrées par les usagers des services sociaux. Depuis le mois d’avril 2003, la commission s’est attelée au traitement des difficultés financières d’accès aux prothèses dentaires et a identifié dans ce cadre 39 personnes en grande difficulté.

 

Pas que les personnes âgées!

Entre 10 et 15 % de la population est totalement édentée dans notre pays et 39 % a une prothèse dentaire totale ou partielle. Même si ce type de problèmes est plus fréquent chez les personnes âgées, certaines études estiment que dans la population âgée de 45 à 54 ans, 12 % n’ont déjà plus aucune dent naturelle, 9 % éprouvent des difficultés à mâcher et presque une personne sur deux a une prothèse dentaire (1)! En outre, on estime à 9 % le nombre de personnes renonçant à l’acquisition d’une prothèse dentaire et à 26 % le nombre de personnes renonçant plus largement aux soins dentaires (2).

 

(1) Enquête de santé par interview Belgique 2004 - Institut Scientifique de la Santé Publique.

(2) Baromètre social 2000 “accessibilité et report des soins de santé” - Union nationale des Mutualités socialistes.