La santé publique
(17 février 2011)
Le bisphénol A,
au banc des accusés
Présent
dans des biberons en plastique, le bisphénol A est sous le feu d’un nombre
croissant de critiques et d’appréhensions. Ses impacts sur la santé font de
moins en moins l’objet de doutes. Ce produit chimique pose, une nouvelle
fois, la question du principe de précaution.
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© Oliel/Reporters |
Terminé, les biberons en plastique!
Ou, du moins, ceux qui contiennent du bisphénolA. En automne
dernier, l’Union européenne a décidé de bannir la fabrication des
contenants pour bébés, intégrant ce produit chimique suspect.
L’interdiction entrera en vigueur dans quelques semaines. Mais le
battage autour de ce perturbateur endocrinien(1) a été tellement
intense, ces derniers mois, que la plupart des fabricants ont
anticipé la mesure.
Adieu, le bisphénolA? Oh
que non… Ce produit chimique est partout. Utilisé à des fins de résistance
dans les plastiques rigides (de type polycarbonate) et dans certaines
résines, il se retrouve dans de multiples récipients et emballages, les
canettes, les gobelets incassables, mais aussi les lunettes et lentilles de
contact, les vitres, les CD et DVD, etc. Tous, nous sommes exposés au
bisphénolA. Nous l’absorbons en très faibles quantités via les boissons ou
les aliments qui entrent en contact avec ces plastiques.
Inquiétant? Non,
pensait-on jusqu’il y a peu dans les agences de sécurité alimentaire. Car le
produit s’accumule peu dans l’organisme et s’évacue rapidement via les
urines. Sauf que voilà: depuis des années, des organisations
environnementalistes comme Greenpeace, se basant sur des études plutôt
isolées et contestées par une partie de la communauté scientifique,
réclamaient des mesures de sécurité bien plus draconiennes que celles en
vigueur jusque-là; et notamment la définition d’une nouvelle dose
journalière tolérable (DJT), seuil quotidien d’ingestion qui ne peut être
dépassé.
Une norme
jugée fiable
Ces derniers temps,
diverses publications scientifiques spécialisées ont donné de l’eau au
moulin de ces organisations. Il y a d’abord eu, en 2008, ce rapport officiel
américain suggérant l’influence du produit sur le système nerveux des fœtus,
des nourrissons et des très jeunes enfants.
D’autres chercheurs,
nord-américains, ont ensuite démontré que les bouteilles en polycarbonate
libèrent du bisphénol A beaucoup plus rapidement lorsqu’elles contiennent un
liquide bouillant. D’autres encore, que le produit n’agit pas seulement au
niveau du foie des rats (l’animal d’expérimentation le plus communément
utilisé, avec les souris), mais aussi au niveau de leur intestin, dont il
perturbe la perméabilité à cause d’inflammations créées par le produit.
De quoi remettre en
cause la dose journalière en vigueur jusque-là? Non, à ce stade. L’autorité
européenne de sécurité des aliments (EFSA) estime que la norme en vigueur
reste valable, y compris pour les jeunes enfants. Une attitude jugée trop
timide par des environnementalistes et une partie du monde scientifique.
Cette “zone grise” n’a pas empêché le Danemark d’interdire le bisphénol A
dans les biberons avant d’autres pays, ni le Canada de le bannir de tous les
plastiques dès 2008.
Conseils
pratiques
En Belgique, le Conseil
supérieur de la Santé (CSS) s’est aligné sur l’avis de l’EFSA. S’inspirant
du principe de précaution, il recommande de limiter l’exposition des jeunes
enfants au produit. Mais comment faire, concrètement, puisque le bisphénolA
est loin de se cantonner aux biberons bientôt interdits? Le CSS reconnaît
que la neurotoxicité de cette molécule fait encore l’objet d’incertitudes,
de même que ses effets à faibles doses et sur l’immunité. Il en va de même
en ce qui concerne son rôle dans le développement du cancer de la glande
mammaire, lors d’une exposition pendant la grossesse ou l’allaitement.
Que faire, dès lors?
D’abord, en revenir au bon vieux biberon en verre. Ensuite, limiter l’accès
des jeunes enfants aux jouets et autres objets en polycarbonate ou, ajoute
le CSS, en PVC (plastiques rigides). Enfin, ne pas chauffer les matériaux à
base de bisphénol (ils sont de plus en plus mentionnés comme tels sur
l’étiquette) entrant en contact avec des aliments ou boissons.
Les
tickets de caisse incriminés
Conscient que
l’actualité scientifique va décidément très vite, le CSS annonce une
nouvelle série de recommandations mais… pas avant trois mois. Il faut dire
que ces derniers mois ont mis en évidence d’autres recherches et rapports
officiels, français et américains, établissant une voie d’entrée
insoupçonnée du bisphénolA dans l’organisme: la peau. En étudiant les
tickets de caisse des magasins, les chercheurs se sont aperçus qu’il
existait une corrélation entre la quantité de produit utilisé sur le papier
(il sert à révéler les couleurs dans les petits terminaux d’impression) et
les résidus décelés dans l’urine des caissières.
De là à estimer qu’il
existe un lien direct entre l’exposition au produit et quantité de
fragilités ou de maladies graves qu’on lui attribue (cancers, maladies
cardiovasculaires, diabète de type2), il y a un pas. Mais il en va du
bisphénolA comme quantité d’autres produits chimiques. La recherche est
lente et, souvent, en retard d’une guerre sur les lobbies. Elle est aussi
compliquée, car elle doit inévitablement tenir compte de la multiplicité des
produits chimiques auxquels nous sommes en permanence exposés: comment, dans
ces circonstances, isoler les effets d’un seul produit? La molécule n’a pas
fini de faire parler d’elle.
// Philippe Lamotte
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