La santé publique
(7 avril 2011)
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Lire également :
La médecine esthétique
bientôt réglementée
Des risques pour la santé
Liposuccion, lifting facial, plastie des paupières, corrections du nez ou
des oreilles, réduction ou augmentation mammaire, plastie du ventre, des
cuisses ou des bras… : le culte de la beauté, de la jeunesse et de la minceur
pousse de plus en plus de personnes à recourir à la chirurgie esthétique.
Des actes qui se banalisent alors qu’ils sont loin d’être anodins pour la
santé. Un marché en plein essor où le meilleur côtoie le pire, l’absence de
législation ouvrant la porte à tous les abus.
À quand un encadrement de la chirurgie esthétique?
Il n’existe pas de statistiques officielles sur le recours à la chirurgie
esthétique en Belgique
mais de très
rares chiffres (sans doute largement sous-estimés) indiquent que, chaque
année, entre 20 et 30.000 personnes effectuent une liposuccion ou
lipoaspiration et 10.000 femmes ont recours aux implants mammaires. Selon
l’enquête de Test-Achats, effectuée en 2009 auprès de 1.250 patients de 18 à
64 ans, 16% des femmes et 8% des hommes ont déjà soumis leur corps aux
bistouris dans un but esthétique.
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© Marc Detiffe |
Mais peu
importent les chiffres. Ce qui est certain, c’est que la chirurgie
esthétique est devenue un phénomène de société. Placée au cœur
d’émissions de téléréalité et de séries télévisées, surmédiatisée
par des stars et pseudo-célébrités, vantée dans les magazines,
s’affichant en grand sur le net, la chirurgie esthétique – et la
médecine esthétique aussi d’ailleurs(1) – n’est
plus cantonnée à une élite féminine soucieuse de gommer les traces
du temps qui passe. Les jeunes femmes et mêmes les adolescentes ne
sont pas en reste. Quant aux hommes, ils sont de plus en plus
nombreux à passer sur le billard. Enfin, il n’est pas rare de voir
des personnes s’endetter lourdement pour s’offrir la ou les
opérations dont elles rêvent.
Dérives
mercantiles
Née au début du 20ème
siècle, la chirurgie esthétique – qui utilise les mêmes techniques que la
chirurgie réparatrice – s’est développée grâce aux progrès de l’anesthésie
locale et des techniques chirurgicales. Mais depuis plusieurs années déjà,
la Société royale belge de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique
s’insurge “contre les dérives commerciales de la chirurgie esthétique,
devenue un produit de consommation, voire de surconsommation”. “De plus en
plus de médecins, pas toujours qualifiés, ont découvert les facettes
lucratives de cette branche de la chirurgie plastique”, regrette son
président, le Professeur Paul Wylock. Le Docteur Denis Goldschmidt, l’ancien
président, va plus loin encore et dénonce: “Des cliniques et centres
privés, parfois véritables supermarchés esthétiques, s’ouvrent un peu
partout dans notre pays et recrutent à grand renfort de publicités et
promotions. On y trouve notamment des médecins français interdits de
pratique dans leur pays depuis qu’une législation y réglemente de manière
stricte les interventions de chirurgie esthétique (en 2005, ndlr). Ces
pratiques mettent les patients en danger et on peut parler d’un véritable
problème de santé publique. Malheureusement, elles perdurent, se développent
même, car il n’existe toujours aucune réglementation en Belgique”.
Trois
propositions de loi
Après plusieurs années
de consultation du milieu médical pour tenter de concilier les points de vue
– et intérêts – des praticiens concernés, trois propositions de loi ont été
déposées au Sénat, l’été passé, à l’initiative de Dominique Tilmans,
sénatrice MR. Elles portent sur trois axes : la publicité relative aux
interventions à visée esthétique, la réglementation des installations
extrahospitalières où sont pratiqués des actes invasifs d’esthétique
médicale et les compétences requises pour poser ces actes.
La première proposition,
concernant la publicité, pourrait être adoptée prochainement au Sénat.
“J’espère que nous aurons enfin une législation qui bannit la publicité
racoleuse, trompeuse et comparative en chirurgie et médecine esthétique”,
plaide Dominique Tilmans qui ne compte pas s’arrêter là: “Les
établissements extrahospitaliers où sont actuellement pratiqués ces actes ne
sont soumis à aucune exigence. Il est plus qu’urgent de leur imposer, selon
les types d’actes réalisés, des normes techniques et d’encadrement”.
La question des
compétences des praticiens est également centrale. Et la plus sensible. Pour
l’heure, malgré l’existence de la chirurgie plastique, discipline médicale
reconnue, la pratique des interventions chirurgicales esthétiques n’est
absolument pas régulée, ce qui explique bon nombre de dérives et met en
péril la santé et la sécurité des patients. Tout diplômé en médecine peut
théoriquement réaliser n’importe quelle intervention, les seuls freins étant
sa responsabilité professionnelle et son éthique personnelle.
Fruit d’un subtil
compromis, la proposition de loi tente de mettre un peu d’ordre dans les
qualifications requises. Nous n’entrerons pas ici dans les détails.
L’intention est de réserver les actes chirurgicaux aux chirurgiens
plasticiens mais aussi aux spécialistes (ORL, ophtalmologues, dentistes,
gynécologues…) qui pourraient (continuer à) opérer leurs régions anatomiques
spécifiques. Quant aux dermatologues et médecins généralistes, ils ne
pourraient plus pratiquer de lipoaspirations que dans certaines limites et
sous le respect de conditions strictes.
Même si ces propositions
de loi sont sans doute imparfaites, elles ont le mérite d’exister. Encore
faut-il qu’elles soient adoptées au Parlement puis exécutées par le
gouvernement le fédéral… quand nous en aurons un.
// Joëlle Delvaux
(1) La médecine esthétique s'intéresse à la correction
des déformations esthétiques par des procédés médicaux non chirurgicaux
(injections essentiellement...).
Un patient averti en vaut deux! |
Quelques conseils avant de pratiquer une intervention de chirurgie
esthétique.
1.
Avant
toute décision, s’interroger sur ses motivations, sur les raisons
profondes qui incitent à recourir à une intervention chirurgicale
esthétique. En parler, le cas échéant, avec un psychologue. Lorsque
les attentes sont irréalistes, disproportionnées ou que l’on est
psychiquement très fragile, la souffrance psychologique peut être
bien plus grande après l’intervention qu’avant. Bien s’informer
aussi sur les risques inhérents à l’opération, les douleurs
postopératoires, les complications éventuelles, le coût... Peser le
pour et le contre et envisager les alternatives possibles.
2.
Demander
conseil à son médecin traitant. Bien placé pour connaître les
qualités requises pour l’intervention envisagée, il a généralement
des contacts privilégiés avec des médecins spécialistes en qui il a
confiance. Selon le type d’intervention, en parler aussi à un
spécialiste de référence (gynécologue, dermatologue, ophtalmologue,
ORL…).
Consulter, à
toutes fins utiles, la liste des chirurgiens plasticiens reconnus
(1). Cela ne permettra pas de savoir quelles
sont les spécialités et qualités chirurgicales de chaque médecin,
mais de s’assurer qu’il a reçu une formation adéquate et complète
(six années de spécialisation en plus des sept années de médecine).
3.
Se méfier
des publicités diffusées sur internet ou dans les journaux par des
institutions ou médecins qui se disent spécialisés dans les
interventions esthétiques. La publicité et la médecine ne font pas
bon ménage. Se méfier aussi des cliniques où le médecin n’est
rencontré que le jour-même de l’opération. Rien ne peut remplacer
une consultation préalable avec lui. C’est lui qui doit interroger,
examiner et informer le patient. C’est lui qui doit réaliser
l’opération, assurer les soins postopératoires à court et à long
terme, gérer les aléas et les complications éventuelles.
4.
Bannir
les opérations réalisées à l’étranger dans le cadre du tourisme
esthétique dans la mesure où les conditions précitées sont rarement
remplies.
5.
Se méfier
d’un médecin qui propose de pratiquer l’opération dans les jours qui
suivent le premier rendez-vous. Un médecin sérieux doit laisser au
patient au moins deux semaines de réflexion.
6.
En cas de
doute, demander un deuxième avis médical.
7.
En cas de
prise en charge dans une institution non-hospitalière, s’assurer que
le médecin est enregistré auprès de l’INAMI (2).
Et ne pas hésiter à se faire décrire les dispositifs de sécurité
(stérilité, matériel de réanimation, possibilités d’hospitalisation
en cas de problème, etc..).
8.
Exiger un
devis des frais à sa charge lors de l’intervention chirurgicale,
avec mention des actes prévus et des tarifs... Exiger aussi des
informations précises sur l’opération elle-même, les jours d’arrêt
de travail à prévoir, les risques de complications, le suivi et les
soins postopératoires…
// JD
(1) Infos auprès de la Société Royale belge de
chirurgie plastique: www.bspras.org
(2) Votre conseiller mutualiste peut vous
renseigner à ce propos. |
Remboursement : une zone grise à éclaircir
En
principe, seules les interventions chirurgicales reconstructrices
– qui visent à corriger
les anomalies ou malformations congénitales ou acquises à la suite d’un
traumatisme ou d’une maladie – font l’objet d’un remboursement par
l’assurance soins de santé obligatoire. Les actes de chirurgie esthétique,
quant à eux, sont entièrement à charge du patient.
Néanmoins, d’après le
Centre fédéral d’expertise en soins de santé (KCE), en 2006, l’INAMI aurait
pris en charge 32.000 interventions se situant aux confins des deux
disciplines, pour un coût qui a doublé en onze ans (1). Il
s’agit principalement des réductions mammaires, des corrections des
oreilles, du nez et des paupières, et des plasties abdominales (correction
du relâchement cutané du ventre).
Dans cette zone grise,
selon le type d’intervention et le praticien consulté, tantôt le
remboursement est appliqué sans condition, tantôt il est soumis à l’accord
du médecin -conseils de la mutualité qui estime si une gène fonctionnelle
justifie l’intervention. Mais les critères actuels de remboursement sont
flous. Actuellement, un groupe de travail au sein de l’INAMI s’attelle à
fixer des critères précis de remboursement. Ainsi à l’avenir, si certaines
interventions devraient ne plus être remboursées par la sécurité sociale,
d’autres au contraire pourraient l’être.
// JD
(1) “La chirurgie plastique: absence de critères clairs pour
le remboursement et besoin de protection contre les mauvaises pratiques” –
Etude du KCE – Juillet 2008 -
www.kce.fgov.be
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