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L’Afrique, cendrier de l’Occident? (7 novembre 2002)

Les jeunes Africains sont dans le collimateur des multinationales du tabac, qui les attirent grâce à des activités culturelles et ludiques. Les gouvernements ferment les yeux et refusent de dénoncer le lien entre tabac et mortalité. Pourtant deux millions d’Africains en meurent par an.

Lire également : Le tabagisme, une épidémie mondiale

Aujourd’hui, de tous les hameaux, les jeunes ont accouru, vêtus de leurs plus beaux habits. Devant un écran géant, un présentateur affublé d’une casquette aux couleurs Marlboro fait gagner des GSM. Dans la foule enthousiaste, des jolies filles distribuent gratuitement des cigarettes allumées. Des centaines de mains se tendent…

À quelques nuances près, cette scène est quotidienne en Afrique subsaharienne, offerte par les multinationales du tabac qui tentent de convaincre les Africains, en particulier les jeunes, que “fumer, c’est cool”. Slogans chocs et offres en tous genres renforcent des images plus que suggestives “Fine et le rythme est en toi”, “Jouez et gagnez des vêtements de rêve avec Bond Street”, “Rothmans King Size, nouveau look, même saveur : le meilleur tabac que l’argent peut acheter.” En dix ans, le nombre de fumeurs en Afrique a progressé de 33 %, le taux le plus élevé du monde !

Au Niger, une enquête sur le tabagisme des jeunes, menée en 2001 par l’ONG “Santé publique” dans 25 écoles de Niamey, dresse un état des lieux alarmant : “22% des élèves de 13 à 15 ans sont fumeurs. Pire, ils commencent à fumer de plus en plus tôt…”, selon les indiscrétions d’un des enquêteurs. “Sans cigarette, je ne sais pas si je vivrais”, affirme Moustapha Omorou, 22 ans, un étudiant.

 

Dans les cyber-cafés

 

Malmenées en Occident par des réglementations anti-tabac de plus en plus restrictives, les grandes firmes se rabattent sur l’Afrique, un marché de 700 millions de consommateurs potentiels, constitué pour moitié de jeunes de moins de 20 ans. “Pour elles, l’Afrique est un territoire vierge, affirme Me Mahamane Ibrahima Cissé, président de SOS Tabagisme-Mali, qui a dénoncé les manœuvres des multinationales du tabac en Afrique lors de la 1ère Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac, en septembre à Montréal. “Il n’y a pratiquement pas de règlements et très peu de programmes publics de lutte anti-tabac. En Afrique francophone par exemple, seuls le Sénégal et le Mali ont adopté des lois, peu respectées au demeurant.” Au Niger, c’est un arrêté vieux de dix ans qui interdit la promotion du tabac, mais dans la capitale comme en brousse, la publicité s’étale sans complexe. “Les jeunes, victimes d’une forte exposition médiatique, succombent de plus en plus nombreux. Le quart d’entre eux fume déjà au Niger et au Burkina Faso, près du tiers au Mali et en Mauritanie”, ajoute Mahamane Cissé.

Les compagnies de tabac mènent une politique agressive de parrainage d’activités culturelles et ludiques, alors que les États doivent opérer des coupes claires dans leur budget. “Les manifestations culturelles et sportives ont besoin de sponsors mais les ministères n’ont pas d’argent, dit Elhadj Adam Daouda, secrétaire général de l’Association de défense des consommateurs du Tchad. Elles se tournent vers les fabricants de cigarettes !”

Nouveau terrain de chasse des firmes : les quelque 200 cybercafés de Lomé assidûment fréquentés par les jeunes. Affiches et prospectus les y convient à des soirées-spectacles dans des boîtes de nuit. Les internautes qui viennent naviguer quelques heures sont harcelés par e-mail. “Ils sont invités à des soirées où les importateurs font la fête en distribuant des cigarettes déjà allumées, parfois à des jeunes de moins de 15 ans.”, révèle Ghislain Aledji, chargé de programme à l’Association togolaise de lutte contre l’alcoolisme et les autres toxicomanies (Atlat). Autre innovation : les bars-tabac, parrainés par Bond Street, une des marques les plus prisées par les jeunes à cause des billets de tombola qui se trouvent parfois dans les paquets.

 

Des adultes responsables, disent-elles

 

Les gouvernements ferment les yeux, arguant que les cigarettiers donnent du travail à beaucoup de monde : cultivateurs, employés de manufacture, vendeurs à la criée, etc. Ces emplois qui aident à résorber un chômage endémique n’expliquent pas tout, selon Inoussa Saouna, président de SOS Tabagisme-Niger : “Il y a beaucoup d’affinités entre les compagnies de tabac et les politiciens, dit-il. Avec les brasseries, elles sont les plus importants bailleurs de fonds des partis politiques en Afrique. Elles exercent aussi une forte influence sur l’administration publique.”

Manifestement, ces firmes n’éprouvent aucun état d’âme. d’Altadis, né en 1999 de la fusion de l’ex-SEITA française et du groupe espagnol Tabacalera, on peut lire cette très vertueuse affirmation : “Nous nous adressons à des consommateurs adultes responsables de leurs choix…”. La suite de la phrase tempère toutefois fortement son début : “ … dans le cadre législatif et réglementaire des pays où nous sommes présents”. Et de poursuivre : “La prévention et l’information sur le tabac relèvent en premier lieu de la responsabilité des autorités sanitaires.”

En Afrique et tout particulièrement au Togo, c’est là où le bât blesse. Malgré le cri de détresse du mouvement anti-tabac, les autorités rechignent à légiférer sur le commerce et la consommation du tabac. Aucune mesure n’a été prise pour interdire sa publicité dans les rues, les médias et autres lieux publics. Comme ses voisins, l’Etat togolais s’est contenté de multiplier les taxes à l’importation pour renflouer ses caisses. Il est en effet l’un des grands bénéficiaires : les droits et taxes sont passés de 41,56 % à 58,29 % entre 2000 et 2001. Ils atteignent la somme 2,5 milliards de F cfa (3,75 millions d’euros).

Toujours d’Altadis, on peut lire : “‘Fine’ a enregistré une nouvelle progression record de plus 38 % en Afrique de l’Ouest portant à plus 155 % son avance sur les trois dernières années. Ce succès confirme la justesse de son positionnement en Afrique de l’Ouest économiquement déprimée et la pertinence des introductions réalisées sur le marché de l’Afrique de l’Est”. Les pratiques de l’industrie sont aussi à la base d’un florissant trafic. “La contrebande est très importante, confirme Me Mahamane Cissé. Au Mali, l’industrie du tabac approche tout le monde, y compris les responsables politiques. Ils se font des amis… Est-ce pourquoi ceux-ci sont si souples avec l’industrie du tabac ?”

 

Des résultats, malgré tout

 

En face, les organisations anti-tabac s’activent, sur les terrains éducatif, législatif et judiciaire. Au Togo, leurs slogans et affiches sont présents : “Luttons pour un monde sans tabac”, “Vivre sans tabac est meilleur”, “Le tabac, la mort”… Mais ils paraissent bien timides à côté des panneaux géants des fabricants de cigarettes. “Jusqu’à tout récemment, il n’y avait même aucune mention du caractère dangereux de la cigarette sur les paquets”, explique Elhadj Adam Daouda. Une mention que, de toute façon, la partie illettrée de la population ne sait pas lire. Pire, les médecins n’y voient rien de mal. “En RDC, bien des médecins ne savent même pas que le tabagisme est un problème”, affirme le Dr. Anik Mulwane, qui a exercé 15 ans à Kinshasa avant de s’établir au Québec.

L’action législative et judiciaire est elle aussi aléatoire. Les firmes ne chôment pas pour entraver toute évolution de la législation qui nuirait à leur expansion. Bien que toute jeune, SOS Tabagisme Niger, créée en 1999, a assigné en justice, en février dernier, cinq sociétés locales représentant Philip Morris (Etats-Unis), BAT (British American Tobacco), Altadis (France et Espagne), Melfinco (Grèce) et le groupe bulgare BTH. L’association demande l’arrêt immédiat des publicités pour les tabacs et cigarettes. Dans le même temps, elle revendique le remplacement de l’arrêté déjà cité par une loi plus complète qui interdise, en plus de la publicité sur les tabacs et les cigarettes sous toutes ses formes, la sponsorisation de certains films ou émissions télévisées, publi-reportages, manifestations sportives et culturelles. De report en report, l’affaire n’a toujours pas été jugée mais une audience est prévue pour le 12 novembre. Et, note Inoussa Saouna, “on remarque un fléchissement dans les offensives publicitaires des firmes du tabac.” Mais lui-même a été menacé.

Les associations sont parfois rejointes par l’administration, mais on trouve souvent, d’un côté, un ministère de la Santé qui a conscience du problème et veut préserver la jeunesse, malgré le manque de moyens. Et de l’autre, un ministère du Commerce qui, calculette en main, estime que toute nouvelle marque qui s’implante, c’est autant d’argent à prendre. “Au Tchad, précise Elhadj Adam Daouda, le tabac rapporte à l’État 4 milliards de francs cfa par an” (environ 6 millions d’euros).

Finalement, la santé des populations est rarement prise en compte. Pourtant, l’OMS estime que près de deux millions d’Africains meurent chaque année à cause du tabac. Beaucoup de fumeurs sont fatalistes. “Après tout, on doit bien mourir de quelque chose”, disent-ils. Le cow-boy américain de Marlboro risque de galoper longtemps encore dans les plaines calcinées du Sahel.

André Lachance,

avec Honoré Blao (Togo) et

Ibbo Abdoulaye Daddy (Niger)

InfoSud - Syfia

 


 

Le tabagisme, une épidémie mondiale

 

Le tabac tue dans le monde 13 400 personnes par jour ou 4,9 millions de personnes par an. Aucune nation, aucune population n’est épargnée. Et les prévisions sont loin d’être optimistes pour l’avenir: en augmentation constante partout dans le monde, la consommation de tabac tuera 8,4 millions de personnes par an d’ici 2020 si des mesures de lutte drastiques ne sont pas mises en œuvre. Un jeune fumeur actuel sur deux mourra de causes liées au tabac. Dans cette hécatombe, les pays en développement paieront le plus lourd tribut puisqu’on y dénombrera plus de 70 % des morts.

Ces données proviennent du nouvel Atlas du Tabac que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de publier. Cet Atlas met en lumière sur un mode éducatif, vivant et attractif divers aspects de cette épidémie mondiale. Sont ainsi illustrés le comportement des cigarettiers, les différences dans la consommation de tabac selon le sexe, les investissements de l’industrie du tabac, les coûts du tabagisme, le trafic illicite et les aspects judiciaires… Il fournit aussi des données comparatives montrant que l’action - ou l’inaction - au niveau d’un pays peut influer sur les efforts entrepris dans un autre pays. Ce précieux outil paraît juste au moment où les États Membres de l’OMS se réunissent à Genève pour la cinquième session de négociation sur le projet de convention-cadre pour la lutte antitabac. Cette convention, qui devrait être adoptée en mai 2003, définira des règles mondiales destinées à juguler la publicité, la promotion, la vente et la contrebande des produits du tabac.

 

Pour plus d’informations, voir le site de l’OMS - http://www.who.int