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Santé publique (23 janvier 2014)


Jeûner, une privation bénéfique ?

© Matthieu Cornélis

Le jeûne ou les cures de détox ont le vent en poupe. Éliminer les toxines, régénérer les cellules, contrer les excès alimentaires, retrouver de la légèreté de corps et d’esprit… Les lendemains de fêtes voient s’intensifier de tels souhaits. Mais finalement jeûner est-ce bon pour la santé ?

Jeûner est un mot “trop plein”, presqu’un “mot valise”. Il peut évoquer pêle-mêle des représentations diverses, indique le docteur Jérôme Lemar qui a réalisé une thèse de doctorat en médecine questionnant le jeûne thérapeutique. “Le jeûne est une pratique millénaire, étroitement liée aux fluctuations des disponibilités alimentaires ou motivée par des raisons traditionnelles, religieuses, politiques.” On pense en effet au jeûne religieux, pratiqué dans les grandes traditions - du ramadan au carême -, avec parfois des accents mystiques, pour accompagner la prière. On pense aux jeûnes militants, aux grèves de la faim, signe de protestation (par exemple de sans-papiers, à Bruxelles, encore récemment) ou jeûne de grandes figures telles Gandhi. On pense aussi aux privations alimentaires involontaires, aux disettes, au drame des famines. On pense peut-être moins au jeûne nocturne, à ce processus naturel que nous pratiquons tous, lors du sommeil, entre le souper et le petit déjeuner.

Mini jeûne quotidien

Lors du sommeil ou dans les périodes séparant les prises de repas, différents mécanismes physiologiques s’activent, explique le docteur Christian Delsupexhe, médecin conseil à la Mutualité chrétienne. “Ils ont pour but de maintenir l’apport nécessaire d’énergie au niveau des organes vitaux, en particulier le cerveau. Ainsi, la sécrétion d’insuline diminue fortement et celle du glucagon augmente. On assiste pendant cette phase initiale principalement à une stimulation de la glycolyse (production de glucose à partir des réserves) et dans une faible mesure à une lipolyse( utilisation des lipides)”. On jeûne là tout naturellement. Pendant une durée limitée, bien entendu. Certains examens médicaux - anesthésie générale, prises de sang…- nécessitent d’être à jeun. Ces “sauts de repas” réclamés avant un examen ou une intervention médicale peuvent être assimilés à un mini-jeûne; ils devront compter minimum 6 heures (la durée varie selon les indications).

Un effet d’euphorie, après quelques jours

On considère un jeûne court entre la 12e heure et le 4e jour de privation de nourriture tout en buvant de l’eau. Là, le corps qui a vidé les réserves de sucres présentes dans le foie, doit absolument trouver une alternative à cet apport en glucose pour alimenter le cerveau. Il va utiliser principalement les protéines présentes dans les muscles. D’aucuns évoquent d’ailleurs la perte musculaire induite par le jeûne. Cette fonte explique en partie la perte de poids. Avis à ceux qui associent privation de nourriture et adieu aux graisses : passer des repas ou ne plus manger ne permet pas de diminuer les graisses, cela renforce l’effet yo-yo. Car, une fois réalimenté, le corps fabriquera des réserves en prévision des privations futures.

A partir du 5e jour, on parle d’un jeûne prolongé. Et ce, jusqu’à trois semaines. Au-delà, il y a un danger vital. Au cours d’un jeûne prolongé, l’utilisation des protéines a tendance à se stabiliser et l’énergie provient principalement de la dégradation des lipides (graisses), avec production de corps cétoniques. Ce processus progressif commence dès le 3e jour de jeûne. Les corps cétoniques créent un état euphorisant, ils peuvent générer une impression de bien-être, de légèreté et couper la faim. “Ils provoquent un état modifié de la conscience”, explique Serge Pieters de l’Union professionnelle des diplômés en diététique (UPDLF). Une sensation grisante observée voire recherchée par certains jeûneurs.

Encadrement médical

Il est bon de savoir que la pratique du jeûne – court ou prolongé – comprend certains risques. Au rang de ceux-ci, la fonte musculaire et l’atteinte au muscle cardiaque que constitue le cœur (une diminution de la force de contraction qui peut se manifester par une hypotension, de l’essoufflement…). Et le docteur Delsupexhe d’évoquer également, la perturbation de l’immunité, les risques accrus d’ostéoporose, la complication inattendue d’un diabète méconnu mais aussi la réactivation éventuelle de conduites anorexiques. Ainsi, un suivi médical apparaît indispensable. Si la pratique du jeûne peut être envisagée chez une personne qui n’a pas de problèmes de santé, et durant une durée raisonnable (maximum 10 jours), elle ne peut pas l’être sans un accompagnement médical consciencieux. À tout le moins, l’avis préalable d’un médecin s’impose. Quoiqu’en disent certains adeptes du jeûne. Selon eux, les médecins – “ne connaissant pas le jeûne” –, préfèreront d’office déconseiller la pratique, et ne pas engager leur responsabilité professionnelle.

Le sujet, il est vrai, est très controversé. D’autant plus lorsqu’il s’aventure sur le terrain du jeûne à visée thérapeutique (lire ci-dessous). La prudence est de mise.

De même face aux programmes détox très en vogue, il s’agit de ne pas se lancer dans n’importe quelle cure, n’importe comment. Attention particulièrement aux mono-diètes (se limiter à un seul aliment). À ceux qui imaginent mettre leurs intestins au repos, O Positif (l’émission santé de la RTBF radio) redisait récemment : les intestins ont besoin de travailler, sinon ils se dérèglent. Faute d’utilisation du tube digestif, la flore bactérienne peut proliférer de manière inadéquate, ainsi que des toxines. L’absence de mouvement des intestins comporte des risques d’occlusion.

L’occasion de revoir son alimentation

L’attrait pour le jeûne ou la détox met par contre en évidence un constat largement partagé : dans notre mode de vie occidental, on a tendance à trop manger, voire mal. Une observation aiguisée après la période des fêtes. N’est-ce pas là alors l’occasion de revoir son alimentation? Sur ce plan, les messages convergent, il s’agit de réapprendre à boire de l’eau, de donner une place plus grande dans nos assiettes aux fruits et légumes qui apportent vitamines, sels minéraux, antioxydants et contiennent des fibres facilitant le transit intestinal, de se dégager d’une nourriture trop carnée, trop riche en sucres raffinés, et aussi de réapprendre à écouter son corps.

//CATHERINE DALOZE

Débats corsés autour du jeûne thérapeutique

Le jeûne se voit parer parfois de vertus thérapeutiques. Des reportages et publications tels ceux du français Thierry de Lestrade (Arte) en font état. “Dans les pays occidentaux, la médecine moderne ne parvient pas à enrayer la baisse de l’espérance de vie en bonne santé. Face à ce constat la pratique du jeûne, si ancienne, apparaît comme une thérapie nouvelle”, lit-on sur la couverture de son ouvrage qui plaide pour penser la santé autrement.

Ainsi la méthode de jeûne Buchinger, du nom du médecin allemand qui l’a conçue dans les années 50, annonce couvrir un large éventail de soins : s'étendant de l’immunisation aux états d'épuisement chroniques ou aux dépressions, en passant par les maladies du métabolisme et les pathologies articulaires inflammatoires. Elle s’appuie sur une “philosophie de l’autonomisation”, entendant renforcer les capacités d’auto-guérison. Les cliniques Buchinger à Überlingen (Allemagne) et Marbella (Espagne) la pratiquent, mais pas seulement ; d’autres s’en inspirent comme les stages "jeûne et randonnée" qui se multiplient en France, notamment.

Une autre allégation a fait grand bruit récemment. Elle vient d’une recherche californienne menée par le professeur Valter Longo, sur des souris. Elle amènerait à penser que combiner jeûne et chimiothérapie pourrait avoir un effet bénéfique dans le traitement du cancer. Mais attention, insiste la Fondation contre la cancer, “il n’existe pas encore d’évidences scientifiques relatives aux avantages du jeûne en combinaison avec la chimiothérapie. Les études disponibles jusqu’à présent ont été menées en laboratoire, en culture de cellules et sur des animaux”. La Fondation précise également que ces études sur les animaux analysent l’influence de la restriction calorique sur les effets secondaires: “Jusqu’à présent le jeûne ne semble avoir aucun effet sur la mortalité par cancer. L’idée qui prévaut est qu’il faut être dans la meilleure forme possible pour affronter les traitements, bien contrôler son poids en adoptant une alimentation saine et une activité physique suffisante”, conclut la Fondation contre le cancer en mettant en garde face aux risques de malnutrition.

Quant aux effets de “nettoyage”, destruction des déchets présents dans l’organisme, élimination des pesticides, “la notion de détoxification et de purification par le jeûne ne repose actuellement sur aucune preuve solide, précise le docteur Delsupexhe, médecin conseil à la Mutualité chrétienne. Il faut se méfier d’un discours parfois à la limite du raisonnable”. La prudence médicale domine face aux effets du jeûne sur telle ou telle maladie, voire pour certains une grande perplexité. Le nombre important d’indications avancées par quelques partisans des jeûnes thérapeutiques renforce sans doute le caractère polémique du sujet. Et les constatations empiriques manquent d’évaluation scientifique.

La méfiance se corse d’autant plus que la promotion du jeûne thérapeutique s’accompagne parfois d’un discours très militant, allant jusqu’à demander la disparition de la médecine.

//CD

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