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Santé publique (21 mars 2013)


La chicha, aussi nocive que la cigarette

© Belga
Tradition dans les pays du Maghreb, la chicha est devenue dans nos pays du Nord aussi une manière “cool” et “in” de fumer entre amis, sans avoir l’impression de mettre en danger sa santé. Une impression seulement...

Pomme, raisin, menthe, cerise, coco, capuccino…: autant de parfums qui laissent penser que la chicha, ce ne serait pas du tabac que l’on fume mais des vapeurs d’eau parfumées que l’on inhale. La chicha évoque la convivialité entre amis, la fête, la tradition ou l’exotisme, un certain cérémonial aussi. C’est sans doute cela qui explique le succès de la pipe à eau, tout particulièrement auprès des étudiants et des jeunes citadins, et pas uniquement dans les populations d’origine maghrébine.

Ces dernières années, en effet, la chicha s’est popularisée en Occident. De nombreux cafés et bars à chicha se sont ouverts partout en Europe. Et les ados et jeunes adultes sont de plus en plus nombreux à acheter une pipe à eau pour fumer à la maison. En Belgique, l’interdiction du tabac dans les cafés, depuis juin 2011, a réduit le nombre de bars où il est permis de fumer la chicha(1). Il n’empêche : la consommation s’est sans doute déplacée vers la sphère privée comme le pressentent plusieurs spécialistes de la prévention du tabagisme et ce, en l’absence de données statistiques récentes et probantes sur le sujet(2).

La popularisation de la chicha est préoccupante, et ce, d’autant plus que ceux qui l’utilisent sont souvent mal informés, notamment par rapport aux risques sur la santé”, lit-on dans la brochure élaborée par le Fonds des affections respiratoires (Fares) comme outil de sensibilisation des jeunes(3).

Les études sur les répercussions médicales spécifiques de la chicha sont rares, constate l’asbl. Premièrement parce que la chicha, bien que très ancienne, est paradoxalement un objet récent d’étude. Deuxièmement, les chercheurs sont confrontés à un obstacle méthodologique. En effet, les fumeurs de chicha consomment souvent en plus la cigarette ou d’autres produits. Néanmoins, au vu des différentes informations disponibles, il est indiscutable que la chicha implique un risque sur la santé des consommateurs et des fumeurs passifs puisqu’elle produit, souvent en quantité plus grande, les mêmes substances toxiques et cancérigènes que la cigarette”. Voyons cela en détails.

Composants et mode d’inhalation

Le goudron est une matière noirâtre, huileuse, produite par la combustion du tabac(4). Elle est la principale substance responsable des cancers liés au tabagisme. Or, sa production par une seule chicha est de 10 à 100 fois plus élevée - selon la taille du dispositif, la fréquence des inspirations, la nature de l’eau... - que celle d’une seule cigarette. Ceci est dû au fait que le foyer de la pipe à eau est généralement garni d’une quantité de tabac nettement supérieure à celle d’une cigarette. Par ailleurs, un peu plus de la moitié des goudrons ne sont pas retenus dans l’eau et de ce fait, sont inhalés par le fumeur.

Sur les paquets de tabamel (voir ci-dessous), les indications concernant le pourcentage de nicotine contenu dans les tabacs spéciaux manquent souvent de clarté quand elles ne sont pas tout simplement absentes. Or, la nicotine participe grandement à la dépendance physique au tabac, quelle que soit la manière de fumer. S’il est vrai qu’une partie de la nicotine est retenue dans l’eau de la chicha, l’augmentation des volumes inhalés compenserait cet effet. Par ailleurs, la chicha produirait plus de nicotine que la cigarette avec des effets plus lents sur le cerveau.

Incolore et inodore, le monoxyde de carbone (CO) est l’élément du tabac qui présente le plus de risques pour la santé cardiovasculaire. Or, le narghilé est le mode de consommation du tabac où le taux de CO est le plus élevé. Par ailleurs, fumer la chicha dans un endroit non ventilé ne permet pas l’évacuation des produits générés par la combustion, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de charbon de bois à allumage rapide. Ceci a pour effet d’augmenter l’intensité du tabagisme passif subi tant par les fumeurs de chicha que les non-fumeurs.

En ce qui concerne les hydrocarbures aromatiques et les métaux lourds, des études récentes permettent de comparer la production tirée d’un gramme de tabamel aromatisé à celle d’un gramme de tabac à cigarette. Les résultats sont interpellants: la fumée de chicha a la particularité de contenir davantage de ces substances toxiques que la cigarette.

Enfin, le mode d’inhalation est directement en cause dans la nocivité de la chicha. Un peu moins de la moitié des particules qui composent la fumée ne sont pas filtrées dans l’eau. Ce sont majoritairement celles de petites tailles qui sont inhalées par le fumeur. Or ces fines particules s’incrustent d’autant plus profondément dans les voies respiratoires que les inhalations sont profondes, ce qu’ont malheureusement tendance à faire de nombreux fumeurs.

Des maladies associées

Comme l’a mis en évidence l’OMS dans Le tabac : mortel sous toutes ses formes, publié déjà en 2006(5), les effets sanitaires de la pipe à eau sont largement ceux que provoque une exposition à la fumée de tabac, notamment, les maladies pulmonaires et cardiovasculaires et les cancers. Sans parler des autres effets néfastes liés au tabagisme : baisse de la fertilité, risques accrus de détresse respiratoire et de petits poids à la naissance pour le bébé, risque de complication après extraction dentaire... De plus, le partage d’une pipe à eau augmente le risque de transmission de la tuberculose et de virus tels que l’herpès ou l’hépatite C.

// JOËLLE DELVAUX

(1) La seule possibilité, pour les bars, est d’aménager un fumoir qui ne peut excéder 25% de la surface totale du lieu ou de maintenir la consommation uniquement aux terrasses.

(2) Le SPF Santé publique ne dispose pas de statistiques. D’après une enquête de la Fondation contre le cancer (début 2012), 2% des fumeurs utilisent la pipe à eau.

(3) “La chicha… comment en parler avec les jeunes?”, Fares, 2010, sur www.fares.be

(4) Le goudron ne se trouve pas dans la matière sèche du tabac. L’étiquetage “sans goudron”, apposé sur certains paquets de tabac spéciaux est donc fallacieux.

(5) A lire sur www.who.int/tobacco

Comment ça fonctionne ?

© Philippe Turpin/Belpress
Fumer la chicha est une tradition depuis des siècles en Inde, au Maghreb et au Moyen-Orient. La pipe à eau symbolise les moments de temps libre, de détente, de dialogue, de fraternité et de fête. En fonction de son origine, son appellation diffère : narghilé, chicha, shisha, hookah, etc.

La chicha se compose de plusieurs parties : la cheminée, le foyer (appelé aussi fourneau, douille…), le réservoir d’eau (vase, colonne ou corps), la pipe immergée et le tuyau. Un plateau situé entre la cheminée et le foyer permet de récupérer les cendres perdues. Généralement, pardessus, on pose la cloche, sorte de chapeau en métal qui isole et protège du vent le charbon de bois lorsque la chicha est fumée à l’extérieur.

L’utilisateur place sur le foyer le mélange de tabac et de mélasse, dénommé tabamel(1). Il coiffe ce mélange d’une feuille d’aluminium percée de petits orifices et y place un morceau de charbon de bois (traditionnel ou à allumage rapide) qui permet la combustion du tabac. La fumée passe d’abord du foyer au réservoir d’eau, via la pipe immergée. Elle y est filtrée en partie par l’eau. Puis elle remonte dans la sphère supérieure du réservoir pour enfin arriver dans la bouche du fumeur grâce au tuyau flexible.

Le tabamel utilisé dans les narghilés est spécialement conçu à cet effet. Il s’agit d’une pâte humide composée d’environ 30 % de tabac fermenté et 70 % de mélasse. Celle-ci comporte du miel et de la pulpe de différents fruits, destiné s à rendre la fumée plus douce et à lui donner une saveur et un arôme fruités. On trouve dès lors une grande variété de goûts. Le corps du narghilé est rempli d'eau à moitié de sa hauteur, et de l'eau de rose ou d'autres additifs destinés à donner du goût peuvent être ajoutés. L'eau doit être changée régulièrement pour en retirer les résidus.

La dimension de la chicha peut varier, selon les modèles, de 30 à 130 cm. Les formes sont aussi très diverses et les décorations (de la plus "touristique" à la plus raffinée) reflètent les influences de la région où l’objet est fabriqué. Il faut compter de 15 à 50 euros pour une chicha traditionnelle mais les prix peuvent être beaucoup plus élevés. Tout dépend aussi du lieu d’achat.

// JD

(1) Le tabamel est le mélange le plus utilisé. Il existe aussi le tumbâk, un tabac pur provenant d’Iran ou de Turquie, à forte teneur en nicotine, fumé sans additifs sucrés, et le jurâk, un tabac d’origine indienne, fumé parfois en association avec un tabac melassé non aromatisé.

Informer, ouvrir le dialogue

La méconnaissance des méfaits de la chicha arrange bien les cigarettiers car la pipe à eau constitue une porte d’entrée dans le tabagisme pour une clientèle très jeune. “Lors des ateliers sur le tabac que nous animons dans les écoles, la majorité des ados qui fument la chicha – et ils ne sont pas nombreux – disent le faire de manière occasionnelle, entre amis”, explique Hernando Robolled, du service prévention tabac du Fonds des affections respiratoires (Fares). “Certains se sont tournés vers la chicha pour ne pas (ou plus) fumer la cigarette, pensant que la pipe à eau n’est pas nocive. Bien entendu, nous corrigeons les fausses croyances à ce propos”.

Mais informer ne suffit pas, comme le souligne le Fares. On le voit avec la cigarette : en gros, les jeunes connaissent sa nocivité pour la santé, la dépendance qu’elle entraîne. Mais la perception du risque peut être biaisée ou niée surtout si la stratégie adoptée à leur égard consiste à leur faire la morale, à susciter la peur. Des attitudes généralement contre-productives... Donner la parole au jeune, susciter son expression, écouter les questions qu’il se pose, les difficultés qu’il met en avant... : ces éléments participent à la création d’un lien de confiance et à l’ouverture d’un dialogue constructif. Toute une série de choses peuvent être abordées : l’usage simple et problématique de la chicha, les risques de dépendance, les motivations à fumer, les informations et désinformations qui circulent à propos du tabac, les changements de comportements possibles ou souhaitables... Le principe est de reconnaître le jeune comme une personne autonome, responsable de ses décisions et de son comportement, capable de faire des choix éclairés qui tiennent compte des informations, des risques, des avantages... Pas simple. Mais riche.


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