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Psychologie (5 décembre 2013)


À l’écoute de la souffrance psychique

© Reporters
 24h sur 24, dans la confidentialité 

Télé-Accueil propose une écoute à toute personne en difficulté sur le plan moral, social ou psychologique et qui souhaite en parler dans l’anonymat et la confidentialité. Le numéro d’appel gratuit unique à former est le 107. Il est accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Par ailleurs, à l’initiative de Télé-Accueil Bruxelles, le site internet www.chat-accueil.org est ouvert tous les soirs de 19 à 23 heures aux appelants chatteurs.

Les permanences sont assurées grâce à une équipe de volontaires, hommes et femmes, qui bénéficient de formations, de supervisions et d’un encadrement par des professionnels.

Les six centres régionaux de Télé-Accueil (Bruxelles, Charleroi, Namur/Brabant wallon, Liège, Luxembourg, Mons/Hainaut) sont en recherche constante d’écoutants volontaires intéressés par l’humain, la relation et l’écoute. Une disponibilité de 16 heures par mois en moyenne leur est demandée dans des permanences variées. Les personnes intéressées peuvent contacter le centre de leur région. Plus d’infos sur le site de la Fédération des centres de Télé-Accueil : www.tele-accueil.be

7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, les personnes qui vont mal et ressentent le besoin d’en parler peuvent trouver une oreille attentive auprès des écoutants bénévoles de Télé-Accueil. Que viennent chercher les appelants au “107” et qu’y trouvent-ils? Quelle place occupe le service d’écoute dans les soins? Une recherche très intéressante menée par Télé-Accueil Bruxelles éclaire ces questions.

Solitude, accident, deuil, déprime... En formant le 107, beaucoup de personnes cherchent un soutien ponctuel, temporaire. D’autres font un bout de chemin plus long avec le service d’écoute en appelant plus ou moins régulièrement selon les aléas de la vie. D’autres encore, affectés par la maladie mentale, intègrent dans leur quotidien l’appel à Télé-Accueil. Ce sont les “habitués”, comme les désignent les écoutants.

La santé mentale est au cœur de quatre appels sur dix, constate l’Observatoire social de Télé-Accueil Bruxelles. Paranoïa, dépression, mélancolie, perversité, phobies, schizophrénie, délire, etc. ne sont pas rares dans les appels”. L’Observatoire s’est penché en particulier sur ces appels où sont perçus des éléments de la psychose(1). Objectif ? Témoigner de cette réalité vers l’extérieur et aider les écoutants à peaufiner leurs attitudes d’écoute par rapport à la souffrance psychique. Le récent rapport de recherche intitulé “A l’écoute de la folie(2) croise une centaine d’instantanés de vie relatés par des écoutants bénévoles avec des réflexions apportées par des spécialistes(3).

Dire, redire, redire encore

Quelqu’un à qui parler 24h/24…” Le slogan de Télé-Accueil résonne parfois comme une invitation pour les appelants psychotiques chez qui la parole remplit un large espace souvent désertifié par la maladie mentale. Un inconnu, citoyen ordinaire, est en ligne à toute heure du jour et de la nuit pour recueillir le besoin de dire, redire, redire encore. La répétition. Voilà bien une caractéristique commune aux personnes en souffrance psychique.

Répétition d’appels tout d’abord. Pas nécessairement longs, quelques minutes à peine parfois. Mais des appels réguliers, voire compulsifs. Pour certains – notamment les personnes victimes de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) –, les coups de fil sonnent comme des rituels. Appeler les rassure, calme l’angoisse, aide à démarrer la journée ou à retrouver le sommeil au milieu de la nuit. Répétition du contenu, du discours aussi. A l’image d’un disque rayé. Un éternel retour à l’identique. Une mouvance sans direction. L’appelant parle beaucoup, raconte toujours les mêmes problèmes, répète ses hallucinations, ses certitudes inébranlables ou son sentiment “d’être un déchet”, déverse d’une manière immuable les mêmes plaintes ou la rage de ce qui le dépasse...

Les appels et discours répétitifs peuvent incommoder, décourager les écoutants, même s’ils ne nient pas l’effet positif qu’ils procurent aux appelants par leur écoute bienveillante. “La répétition a un sens. Les scénarios qui se répètent à l’infini expriment à la fois une grande souffrance et une volonté tenace de dénonciation du mal subi”, avance Télé-Accueil. Livrer ce qui hante le monde intérieur, répéter ses plaintes, ses angoisses, sa solitude insupportable, les difficultés relationnelles, peut aider, telle une béquille, à vivre un peu mieux au quotidien, à se repérer, à avancer vers un changement. Certains écoutants comparent ce type d’appel à une pulsion de vie face au néant, au vide. Une sorte de tentative de s’amarrer, de se raccrocher au monde extérieur. Et s’il s’agit de se relier par un fil téléphonique, pourquoi pas ?, se demande l’association.

Des codes de relation différents

Le besoin de parler des appelants en souffrance psychique est évident. Mais le plus souvent, ils ne s’adressent pas vraiment aux écoutants. Ils n’attendent pas réellement de réponses et encore moins de conseils. Les écoutants, de leur côté, ont l’impression qu’il n’y a pas de dialogue ou que ce dialogue est biaisé, ce qui peut les dérouter. “Ces appelants ont besoin d’un interlocuteur qui serve d’ancrage à leur discours, constate Myriam Machurot, formatrice à Télé- Accueil Bruxelles. L’écoutant incarne ce rôle de secrétaire, de dépôt”. Un rôle pas facile à tenir car même s’il ne dit pas grand-chose, l’écoutant doit néanmoins signifier sa présence, accuser réception du message, marquer de l’intérêt pour les dires.

Une position difficile aussi, car mettre fin à un appel de ce genre relève souvent du défi. “C’est déjà difficile de placer un mot au milieu d’un flot de paroles ou d’un monologue lent et continu. Dire que l’on va terminer, que l’on va en rester là, c’est encore plus compliqué, témoigne un écoutant bénévole. Cela étant, les habitués sont bien au fait de notre cadre d’écoute qui limite chaque appelant à une seule conversation d’une vingtaine de minutes par permanence de quatre heures”.

Certains appels ne sont pas non plus exempts d’agressivité, de violence ou d’insultes. Parfois, les réactions de l’écoutant enclenchent des réponses explosives ; des mots peuvent être pris au pied de la lettre ; l’appelant peut être convaincu que tout ce qui est énoncé lui est personnellement adressé. “Si la personne délire, nous ne cherchons pas à la contredire ni à la ramener dans la réalité car cela ne sert à rien, on le sait. Nous l’écoutons tout simplement”, explique un volontaire.

Un espace de soins ?

L’accessibilité constitue un atout majeur du dispositif de Télé-Accueil. Les usagers peuvent appeler gratuitement dans la posture et le moment qu’ils souhaitent, de l’endroit où ils se trouvent, dans l’état où ils sont – souvent à un moment de crise, de souffrance aiguë – et pour parler de ce qu’ils veulent. La permanence du 107, jour et nuit, rassure. Ce confort de la ligne d’écoute, cette disponibilité totale, sans prise de rendez-vous, représentent un soutien invisible mais réel pour les appelants (peu importe leurs problèmes). Par ailleurs, la possibilité d’une discussion dans l’anonymat permet à de nombreux appelants de dépasser la timidité, la peur, la honte parfois qui les empêchent de s’adresser à des services spécialisés ou d’entreprendre un suivi thérapeutique. Après un temps, court ou long, grâce à cette parole libérée, certains franchiront le pas vers une rencontre physique, un face-à-face avec un thérapeute. Ils dépasseront le “tout, tout de suite” en prenant un rendez-vous, ce qui fait déjà partie d’une autre démarche de soins.

Pour d’autres appelants, par ailleurs suivis par un psychiatre ou un psychologue, l’appel au 107 permet surtout de parler de leur mal-être et de combler le vide entre deux rendez-vous chez le thérapeute. “Le besoin de parler est parfois tel qu’il n’est jamais assouvi”, observe Martine Verhulst, psychologue au centre de jour bruxellois Antonin Artaud. Celle-ci pointe la nécessité, pour certaines personnes, de sans cesse pouvoir s’adresser à un autre, à des autres, d’être entendues quand cela déborde. Multiplier les portes auxquelles elles peuvent frapper est donc plutôt réjouissant, souligne-t-elle.

Télé-Accueil n’essaie pas de soigner mais d’écouter. Il renforce d’une certaine façon le potentiel auto-guérissant de la parole du patient”, ajoute le Dr Ludger Hebborn, psychiatre à l’hôpital Saint-Jean (Bruxelles). Ne faisant pas appel à un métier particulier mais bien à des qualités humaines et des compétences, Télé-Accueil est un service de santé mentale en lien avec le social. On peut l’envisager comme un service d’urgence à domicile, l’urgence étant de parler, et pour les psychotiques en particulier, de redire, de combler leurs vides ou de nouer leurs fils, comme le résume l’Observatoire dans ses conclusions.

//JOËLLE DELVAUX

(1) Les psychoses se caractérisent par un contact difficile, voire une perte de contact avec la réalité. Le plus souvent la personne n’a pas ou très peu conscience de ce qu’elle vit, de ce qui lui arrive. Elle ne parvient pas à prendre du recul par rapport au délire et à ses hallucinations.

(2)A l’écoute de la folie” – Télé-Accueil Bruxelles – octobre 2013.

(3)/span> Voir notamment les Actes de la journée d’étude du 13 octobre 2012 organisée par Télé-Accueil Bruxelles : “T’es fou! C’est celui qui le dit qui l’est”.

Une écoute sans diagnostic

Il arrive que des appelants nomment d’emblée leur trouble ou leur traitement, se présentent par leur pathologie. “C’est pour eux une manière de se donner une identité, d’exister, de déstigmatiser la maladie aussi. Il faut entendre cet appel comme une demande de reconnaissance”, dit Pascal Kayaert, directeur adjoint de Télé-Accueil Bruxelles. Pour autant, les écoutants n’ont pas à établir de diagnostic. Ils ne sont pas des professionnels de la santé ni des spécialistes de la thérapie. Ils ne sont habilités ni à intervenir, ni à résoudre des problèmes ni à assurer un suivi. L’écoute active par des citoyens sans étiquette psy maintient appelants et écoutants sur un même pied, sans posture surplombante. Sans interprétation, sans jugement des propos ou actes relatés, sans mépris ni renvoi vers l’image d’un fou.

L’écoute “ici et maintenant” correspond à la vision au jour le jour que peuvent avoir de leur existence les appelants en souffrance psychique. L’absence de suivi embarrasse certains appelants réguliers lassés de reprendre leur histoire, tandis que pour d’autres, elle offre une nouvelle virginité à chaque appel malgré la répétition : à chaque permanence ou presque, une autre oreille, un autre échange, un autre recul. Une bouffée d’air de part et d’autre du téléphone.


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