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Psychologie (21 mars 2013)


Le rêve, une aide pour sa propre vie

© Serge Dehaes

Oubliez Freud et son interprétation psychanalytique des rêves tournée vers le passé. L’ethnopsychiatre français Tobie Nathan propose un nouveau regard sur l’imaginaire de nos nuits(1). Nous pourrions y puiser des pistes pour l’action, y voir “des brouillons pour nos lendemains”.

Il y a peu, Tobie Nathan questionnait un patient, lui demandant s’il rêvait. Réponse: “Non, je dors très bien”. “C’est la preuve, estime l’ethnopsychiatre, professeur de psychologie à l'Université de Paris, que les rêves sont encore jugés parasites. On ne s’y attarde pas trop. Ils gênent.

Chaque rêve est unique parce que chaque rêveur l’est aussi. Il n’y a pas de symbolisme ni de décodage automatique universel. Comprendre un rêve, c’est construire la pensée propre à chaque rêve”, dit-il. Tout l’art de l’interprétation va donc consister à comprendre l’univers spécifique du rêveur, sa singularité dans son univers socioculturel, son métier, sa langue, sa religion, ses coutumes, afin de l’interpréter au plus près de sa réalité.

Rêves créateurs

Le sommeil paradoxal est une période d'intense activité cérébrale et de faible tonus musculaire, permettant au cerveau de régénérer ses cellules et d'explorer des possibles. A cet égard, Tobie Nathan cite les intéressants travaux de recherche menés par Jacques Montangero, docteur en psychologie (Suisse), sur les résolutions de problèmes… pendant les rêves. Voici ce que celui-ci a expérimenté dans son laboratoire : des personnes ont été sollicitées pour résoudre des énigmes logiques. Celles qui n’y parvenaient pas ont été invitées à dormir. Le chercheur les a réveillées en pleine phase de sommeil paradoxal. Conclusion: les chances de résoudre l’énigme au réveil sont accrues. “Les constituants du rêve sont des fragments désarticulés d’images, de notions, de souvenirs stockés dans la mémoire, explique Tobie Nathan. Le rêve permet un assemblage nouveau, une nouvelle cohérence. Nous passons une partie de notre nuit à déconstruire, à réduire à l’élémentaire et à reconstruire. Le rêve est créateur de mondes possibles.

D’ailleurs, c’est suite à un rêve que le chimiste allemand a découvert la structure moléculaire du benzène. C’est un rêve aussi qui a conduit à la découverte de la machine à coudre par Elias Howe (rêve d’hommes armés de lances trouées)… L’écrivain Van Vogt, quant à lui, faisait sonner son réveil pendant ses rêves, pour s’en inspirer.

On ne nous en demande pas tant…Tobie Nathan nous propose, simplement, d’exploiter la force de nos rêves. Ceux-ci ont en effet une réelle utilité, notamment de constituer une aide à la décision. “Un rêve qui n'est pas interprété est comme une lettre qui n'a pas été lue”, comme le dit la tradition talmudique. “Un rêve est une aide pour sa propre vie ; il est un guide pour soi-même et pour son entourage. Mais attention: pas d’interprétation du rêve sans interprète des rêves, sans un interlocuteur : si le rêveur interprète son propre rêve, il tournera en rond”, met en garde Tobie Nathan(2). Qui ajoute : “Le rêve n’a pas de signification objective. Il y a autant d’interprétations que d’interprètes”. Le tout est de ne pas dévoiler ses rêves à n’importe qui.

Bien analyser nos rêves peut nous aider à développer notre connaissance de nous-mêmes, à lever des blocages, à aller mieux. Le rêve peut ainsi devenir un véritable outil thérapeutique”, affirme de son côté Jacques Montangero qui a mis au point une méthode d’interprétation des rêves – basée sur la description, les souvenirs et la reformulation – “pour remonter à leur source et en retrouver la signification personnelle(3).

Rêves prémonitoires

Les rêves peuvent véhiculer des mises en garde que nous ne nous formulons pas encore à l’état de veille. L’étude menée par la psychologue Charlotte Beradt entre 1933 et 1939 est saisissante à cet égard. Cette dernière a recueilli les récits de rêves d’hommes et de femmes ordinaires qui subissaient l’oppression nazie à ses débuts. Elle voulait montrer à quel point le nouveau pouvoir pénétrait dans l’intimité des personnes, faisant vaciller les piliers habituels de leur pensée. “A la lecture de ces rêves, on s’étonne de la véritable intuition, de la faculté à connaître le futur que manifestaient ces personnes, relève Tobie Nathan. Le rêve scanne une ambiance, en tire des conclusions et les met en scène.” D’où son conseil, être attentif à certaine rêves: ceux qui mettent en scène le monde du travail (qu’avons-nous scanné dont nous ne sommes pas encore conscients?), les rêves de paralysie (par quoi sommes-nous arrêtés?), les rêves d’effondrement (qui évoquent souvent un manque de loyauté subi, voire une trahison). A chacun de se pencher sur les détails du rêve, le décor, les personnages, les défunts qui y apparaissent. Le rêve est en quelque sorte un lieu de rendez- vous, de rencontres, où on échange des informations, où on se parle. Ce n’est donc pas anodin.

Il arrive de rêver que l’on circule déshabillé, état dont on se rend compte avec effroi en cours de route. Sans vouloir généraliser, Tobie Nathan offre cette piste de réflexion, à saisir ou pas : “Nous sommes peu vêtus ou nus, mais nous allons quand même de par le monde. C’est une humilité rêvée. Nous circulons peut-être à la recherche de quelqu’un qui nous vête.” Joli, non? Voilà qui incite à prêter attention à ses rêves, les yeux grands ouverts, aux premières minutes du réveil, pour en perdre le moins possible.

// VÉRONIQUE JANZYK

(1) Tobie Nathan – “La nouvelle interprétation des rêves” (Odile Jacob, 2011).

(2) “Rêver utile” article paru le 29 janvier 2011 dans Le Temps – A lire sur www.ethnopsychiatrie.net

(3) Parmi les ouvrages de J. Montangero: “Comprendre ses rêves pour mieux se connaître” (Odile Jacob, 2007) et “Rêve et cognition” (Mardaga, 1999).

Ces rêves qui bégaient

Les rêves récurrents nous délivrent des messages. Certains évoquent un traumatisme à dépasser ou, de manière moins dramatique, une situation qui stagne. A nous de voir s’il n’est pas temps de réviser ce qu’ils pointent : une manière de vivre. Durant les cauchemars post-traumatiques, la personne revit un scénario qui évoque une agression ou un accident. “Durant la deuxième guerre mondiale, des psychologues militaires américains ont ainsi favorisé la multiplication des rêves, en administrant des substances psychotropes, explique Tobie Nathan. Avec le temps survient un rêve résolutoire. Je pense au cas d’un pilote de bombardier qui a infléchi les éléments de la scène traumatique. Son avion ne s’écrase plus mais atterrit sur un plan d’eau. Tout le monde échappe au danger”.

Un autre exemple de ces rêves qui bégaient, est donné à travers la personne de Juliette, dont l’accès aux rêves est comme barré, sauf à l’un d’entre eux, persistant et survenu pour la première fois des années plus tôt : elle se trouve à Venise, place Saint-Marc. La place est recouverte d’eau et elle voit dans le fond des coquillages par centaines. Une jeune fille est allongée, morte. Eprise d’art, Juliette a alors ses paroles étranges : “Tout est si beau ici”.

Ce rêve, Tobie Nathan le met en rapport avec le célèbre tableau de Botticelli La Naissance de Vénus. Sauf qu’ici Vénus est morte ; son désir est étouffé. “J’en conclus que l’idée du rêve c’est la promesse que s’est faite la jeune fille de ne vivre que pour la beauté et de rester seule. Les rêves sont parfois des noyaux de philosophie personnelle. Dans le cas de Juliette, quelque chose est figé, comme si une décision prise jadis n’avait jamais évolué.

Théories sur les rêves

L’ethnopsychiatrie, une histoire d’interprétation

Tobie Nathan est aujourd’hui considéré comme le “père” de l’ethnopsychiatrie qui propose de traiter les troubles mentaux à partir de la culture du patient. Le dispositif : le patient, accompagné de proches, rencontre parfois une dizaine de professionnels (psychologues, médecins, psychiatres, anthropologues, linguistes). Il s’agit d’un long échange et d’une recherche entreprise en commun, conçue de manière à ouvrir le champ des interprétations et à ne pas les cadenasser. Le nombre d’experts met en quelque sorte à mal l’expertise unique (du médecin) dont nous sommes coutumiers dans les sociétés occidentales.

Distances par rapport à Freud

Le christianisme se méfie en partie des rêves, y voit un exutoire à des désirs suspects. Il a fallu attendre Freud pour que les rêves reçoivent un peu de considération. Mais les travaux du neurologue autrichien, pionnier de la psychanalyse, ne trouvent pas vraiment grâce aux yeux de Tobie Nathan.

Freud évoque l’expression de pulsions pendant le rêve, explique-t-il. Or, le rêve lui-même est pulsion. Rêver est biologique. Comme respirer. Tout le monde rêve, quatre à cinq fois par nuit, au terme de cycles d’une heure trente”.

Pour Freud, le rêve exprime un désir refoulé inconscient de façon codée. Devant une explication trop explicite du désir, le moi pourrait prendre peur et déclencher le réveil. En se livrant à des déformations, le rêve sauvegarde ainsi le sommeil. Selon Tobie Nathan, l'hypothèse de Freud ne rend pas compte du cauchemar. Comment comprendre le sentiment d'oppression que celui-ci suscite et la vivacité avec laquelle on s'en réveille, sinon comme la perception d'une agression cachée ? Le cauchemar nous prévient d’un danger que nous n’avons pas pu ou voulu voir. Tobie Nathan en conclut que le rêve n'est pas un ensemble de symboles à décoder par rapport au passé mais un signal d'alerte appelant une forme de prédiction ou une action à poursuivre.

Par ailleurs, selon Freud, nous partageons tous les mêmes désirs sexuels, refoulés. Le psychanalyste applique dès lors aux rêveurs une grille d'interprétation toute faite, une sorte de dictionnaire des rêves. A l’inverse, en s’appuyant tant sur les grands classiques de l’antiquité que sur les travaux scientifiques récents des neurophysiologistes, Tobie Nathan revendique une extrême singularité des rêveurs et des rêves.


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