Santé mentale (2
août 2012)
Filmer aurait aussi
des vertus thérapeutiques
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Les réalisateurs y
mettent tant d'énergie, d'espoir et d'idéal que leurs films ne peuvent
qu'aider à vivre, en fin de compte. “Je filme pour vivre”, affirmait Robert
Bresson, le maître à filmer de bien des cinéastes contemporains. Des propos
que F.J. Ossang, lui aussi cinéaste expérimental à sa façon, décline en un
“Je filme pour ne pas mourir”.
“Nous filmons parce
que le cinéma peut sauver des gens”, affirment les frères Dardenne. La
fiction permettrait de donner leur chance à des personnages, et on sait
combien ils peuvent être démunis, blessés et blessants dans leurs films. Par
ricochet, ces films peuvent rendre espoir en l'humain à ceux qui fréquentent
leur univers cinématographique.
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Un autre de nos
compatriotes, a choisi la fiction pour aborder la dysphasie (Philippe
Blasband avec La Couleur des mots), une problématique à laquelle il est
confronté. Philippe Blasband met en avant le pouvoir d'identification et
d'empathie des images de fiction. Thérapie, le cinéaste Lars Von Trier
avance franchement le terme pour son Antéchrist. Déprimé pour cause de
deuil, il trouve dans ce film qui traite justement de cette thématique, une
“raison de ne pas rester couché à regarder le plafond”. “Le cinéma m'a aidé
à sortir de ma léthargie”, affirme-t-il. Le cinéaste palestinien Raed Antoni
va un cran plus loin encore en consacrant tout un film, Fix me, à sa
psychothérapie. “Il me semblait que la relation entre cinéma et
psychothérapie était un terrain de recherche et d'expérimentation
intéressant. Dans le cinéma, comme dans la psychothérapie, ce qui importe,
c'est le chemin, c'est le processus qui nous fait sentir vivants.” Il a tenu
à ce que la fiction infiltre son Fix me, parce qu’il y voit un chemin
détourné qui mène particulièrement bien à soi ; et que les spectateurs
empruntent plus volontiers que celui, plus aride, du documentaire.
//VJ
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Le cinéma comme thérapie
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© Photononstop/Reporters |
Si les
personnages de films ont pu inspirer quelques individus déséquilibrés –
comme ce tueur d’Aurora qui invoquerait le Joker dans Batman
–, si la fiction semble faire partie de leur délire, le cinéma peut avoir
des effets bénéfiques sur le plan psychologique. Aujourd’hui, des
thérapeutes proposent à des patients de recourir au 7èmeart pour se sentir
mieux. Cette approche porte le nom de “cinémathérapie”.
La cinémathérapie débarque sous nos latitudes.
Pour preuve, elle s’affiche actuellement sur les écrans. Dans
Paris-Manhattan de Sophie Lellouche, Alice Taglioni entreprend de
soigner ses clients (elle est pharmacienne) à coups de films, refilant des
chefs-d'œuvre de Lubitsch aux déprimés et de Woody Allen à ceux que la
gravité ou l’agressivité rattrapent. Le courant vient d’Outre-Atlantique. Il
s’appuie sur les travaux de théoriciens du cinéma qui ont mis à jour des
mécanismes d’identification du spectateur. L’un des premiers à avoir publié
en français sur le sujet est le psychologue Jean- François Vézina. Avec
Se réaliser dans un monde d’images, il signe un plaidoyer pour le bon
usage des histoires filmées(1).
Voie de
guérison
“Les films
peuvent nous aider à devenir le sujet de notre histoire, un sujet qui a une
parole originale puisée à même des histoires collectives. Ainsi, dans
l’enfance, les histoires nous aidaient à dormir. A l’âge adulte, les
histoires sont là pour nous éveiller.” Rien à voir avec une culture de
la distraction qui nous détournerait de nous-mêmes, le cinéma pourrait aider
à “guérir psychologiquement”. Jean- François Vézina l’affirme : “Il
peut aider une personne à apprivoiser son histoire, à développer son point
de vue original sur le monde et à vivre une vie qui a du sens, malgré les
perturbations et les chaos inévitables de l’existence”.
Autre ouvrage, tout
récent, à porter sur la cinémathérapie, celui signé par Léa et co-signé par
deux thérapeutes(2). La jeune fille y explique comment
elle va trouver, dans les films, du sens à l’épreuve qu’elle rencontre.
Atteinte de troubles obsessionnels compulsifs (tocs), elle s’est lancée dans
la vision d’une série de films mettant en scène des personnages atteints du
même genre de troubles qu’elle. American Splendor de Berman et
Pulcini (2003), avec Paul Giamatti, lui montre qu’une faiblesse peut devenir
une force. Aviator de Scorcese (2004) avec Leonardo di Caprio
évoque les tocs du célèbre producteur de cinéma et aviateur Howard Hughes. “Le
côté obsessionnel de Hughes en a fait un être exigeant et l’a propulsé au
sommet”, écrit Léa, dont l’optimisme s’accroît après avoir vu Pour
le pire et le meilleur de Brooks (1998) avec Jack Nicholson. “Après
ce film, il m’a semblé que tout était permis à quelqu’un comme moi, même une
histoire d’amour réussie”, commente-telle. Bilan de Léa quant à ses
nombreuses incursions cinés : “Je ne suis pas seule à souffrir de tocs
et ce n’est pas si honteux que ça puisqu’on en fait des films.” Son
état d’esprit a changé. Elle ne nie plus ses troubles. Elle se sent prête à
entamer une psychothérapie.
Filmographie personnelle
Jean-François
Vézina considère qu’une cinémathérapie peut s’entamer seul, comme moment de
développement personnel, ou en groupe avec le soutien d’un psychologue. Ce
cas de figure est particulièrement adapté pour aborder certaines
problématiques, comme les addictions. Les échanges sur le film et entre
participants permettent en effet de faire le focus sur les ressources
mobilisées par les uns et les autres.
Quelle que soit
l’option choisie, Vézina recommande de se pencher sur sa filmographie
personnelle. Autrement dit : lister ses films fétiches. Il va souvent s’agir
de films en lien avec des épisodes de notre vie. “Une autre façon de
faire cette liste, explique- t-il, c’est d’intituler les chapitres
des âges de sa vie à partir des films fétiches”. Par exemple, une
participante à un atelier sur la filmographie personnelle a choisi les films
suivants. D’abord, Emporte-moi, ce film de Lea Pool la ramenant à
l’importance de sa relation avec son père. Elle a ensuite identifié
Dirty Dancing comme le film de son adolescence pour l’éveil du désir et
la passion pour la danse. Pour l’âge adulte, elle a choisi Les Aimants,
un film sur les hasards et les coïncidences dans les rencontres amoureuses.
Le psychologue
invite également à se pencher sur les personnages qui nous touchent et sur
ceux qui nous agacent. Comme ceux d’un rêve, les personnages d’un film
incarneraient des facettes de nous. A quelle part de nous, qu’on l’apprécie
ou qu’elle nous dérange, nous renvoient-ils? Faire sa filmographie
personnelle reviendrait à consulter son club vidéo intérieur et à y puiser
des ressources insoupçonnées. “C’est aller au devant de soi en partant
de ce que l’on a déjà vu”, affirme Léa dans son journal.
Des films à
partager
Reflets de notre
époque, tentative d’évocation du passé, portraits d’humains, le cinéma offre
des repères ou ouvre le débat. Les praticiens de la cinémathérapie possèdent
leur “bible”, “Positive Psychology at the movies”, un catalogue des
films qui traitent de l’amour, du courage, de la persévérance, de la
compassion, de la résilience, de la curiosité, de la sagesse(3)...
On y trouve aussi une sélection de films centrés sur des valeurs
collectives: la justice, la responsabilité, l’éthique, l’esprit d’équipe, la
tolérance. Une manière, après s’être peut-être attelé à sa filmographie
personnelle, de s’offrir une programmation pour élaborer un regard original
et critique sur les autres et sur soi. Un recul que Jean-Louis Vézina
appelle de ses vœux.
L’heure est à la
cure cinématographique, s’en plaindra-t-on? Sûrement pas ceux et celles qui,
dans des services de psychiatrie, engagent réflexion et débat à partir de
films. “Les films permettent d’aborder des situations délicates par la
bande, relève Fabienne Schoonheyt, responsable des animations à
l’Hôpital Chêne aux Haies à Mons. Ils permettent de réfléchir à sa
propre manière de gérer une situation, d’enrichir sa manière d’être à
travers ce qui est montré à l’image mais aussi d’échanger avec d’autres
spectateurs. Tant mieux si on parle de cinémathérapie. Ça accrédite notre
travail.”
//VÉRONIQUE
JANZYK
(1) Jean-Louis
Vézina, Se réaliser dans un monde d’images, Editions de L’Homme, 2005.
(2) Léa, Nathalie faucheux et Elie Hantouche, Journal de
Léa, Editions Odile Jacob, 2012.
(3) Ryan Niemec et Danny Wedding, Positive Psychology at
the movies, Hogrefe et Huber, 2008. Voir également:
www.cinematherapy.com
Quel film a changé
votre vie ?
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Quatorze
spectateurs répondent à la question dans le dernier livre d'Olivia Rosenthal(1).
Ils ne sont pas spécialement cinéphiles mais, un jour, une rencontre
décisive avec un film a eu lieu. Angélique s'est ainsi identifiée au
personnage jusqu'au-boutiste de Nathalie Baye dans
La Nuit américaine de
Truffaut. Au point de vouloir, elle aussi, devenir scripte. “Je crois que je
voulais être scripte pour construire quelque chose avec une équipe quand
tout autour de moi était en train de se défaire”.
Truffaut est également à
l’origine de la vocation d’Isabelle, qui se voue aujourd’hui à l’encadrement
d’enfants rebelles. Il est vrai que les Quatre cents coups rend inoubliable
le personnage du petit Antoine Doisnel, gamin de l'assistance publique.
Il
était une fois la révolution de Sergio Leone a infléchi les méthodes
éducatives de Vincent. "Grâce à ce film, je montre à mes enfants qu'il y a
d'autres manières d'utiliser son énergie que s'épuiser dans la compétition”.
Après avoir vu
Rouge de Kieslowski, emballée par cette histoire où une jeune
fille rend le goût de vivre à un homme âgé, Anne-Sophie a écrit une longue
déclaration à l'homme qu'elle aimait en secret.
Béatrice a tellement flashé
sur Brando dans Dernier tango à Paris de Bertolluci qu'elle s'est engagée,
comme Maria Schneider dans le film, dans des histoires d'amour torturées qui
lui auront beaucoup appris sur... ses limites.
Pleurant toutes ses larmes
pendant la projection du Retour de Zviaguintsev, Isabelle s'est vu consoler
par un autre spectateur, l'occasion de faire un bout de chemin ensemble!
Thelma et Louise, road movie de deux femmes en rupture de tout, n'en a pas
fini de faire vibrer la fibre féministe d'Annick.
Quant à l'auteur, Olivia Rosenthal, son apport donne un titre à son livre. “Ils ne sont pour rien
dans mes larmes” évoque Les parapluies de Cherbourg de Demy. Un homme et une
femme, séparés par la guerre d'Algérie, se retrouvent quelques minutes pour
sans doute ne plus se revoir. "Je comprends qu'ils ne sont pour rien dans
mes larmes, ces personnages, confie Olivia Rosenthal. Le cinéma permet
par-dessus tout de s'abandonner, de pleurer, comme si l'abandon était la
condition nécessaire, suffisante, paradoxale d'une future consolation”. Pour
cela aussi, le cinéma est grand.
// VJ
(1) Olivia
Rosenthal, “Ils ne sont pour rien dans mes larmes”, éditions Verticales,
2012.
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