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La santé des enfants (6 mars 2014)

Un enfant muet… pas totalement

© Amélie Benoist/BSIP REPORTERS

Après douze années de patience et d’exercices progressifs, Paolo, enfant mutique en dehors de son cocon familial, a pu sortir de son silence. Témoignage d’un père, démuni face à un trouble psychologique rare dont souffre son enfant.

Paolo est muet à l’école. Pourtant à la maison, il parle comme tous les enfants”, raconte Sam, son papa. Son fils ne dit pas au revoir ni merci ni bonjour. Ses interlocuteurs se posent des questions lorsqu’ils sont face à lui ; ils sont intrigués ou parfois irrités de son silence. L’enfant baisse les yeux, détourne le regard lorsque quelqu’un lui parle, mais jamais aucun son ne sort de sa bouche. En réalité, il souffre de mutisme sélectif. Un trouble psychologique qui bloque l’enfant lorsqu’il veut parler, mais uniquement dans certaines situations. Si l’enfant se sent en confiance (à la maison par exemple), il sera bavard. Dans un environnement qu’il ne connait pas, en présence d’inconnus ou de plusieurs personnes, il se cantonnera dans le silence.

L’histoire commence lorsque Paolo, âgé de deux ans et demi, entre à l’école maternelle. “L’institutrice nous a un jour appelés pour nous dire que Paolo ne parlait à personne à l’école, ni aux autres enfants ni à elle, relate son papa. Ne nous comprenions pas ce qui arrivait; nous pensions que notre fils souffrait d’un retard de langage”, confie-t-il. Pourtant, Paolo parlait normalement à la maison avec ses parents et les amis de la famille. Mais une fois passée l’enceinte de l’école, il devenait muet.

De diagnostics en diagnostics

Désemparés, Sam et son épouse ont cherché à comprendre. S’ensuivent de longs rendez-vous auprès de spécialistes. De consultation en consultation, les parents ont entendu toutes sortes de diagnostics différents : timidité, retards de langage, troubles psychiatriques graves, autisme... Le Centre PMS de l’école leur a aussi conseillé d’inscrire leur enfant dans l’enseignement spécialisé, ce que les parents n’ont pas souhaité.

Enfin, en première primaire, une psychologue a mis un nom sur le mal-être de Paolo. Après plusieurs séances et recherches personnelles, elle a découvert qu’il s’agissait du mutisme sélectif. Mais elle reconnaissait se sentir démunie dans le traitement de ce trouble. “Nous avons alors contacté une professeure de psychologie de l’enfance à la VUB, Ingrid Ponjaert-Kristoffersen, qui nous a été d’un grand soutien. Elle a notamment rencontré l’instituteur de Paolo ainsi que la direction de l’école pour les sensibiliser aux troubles de notre fils et les conseiller dans l’approche pédagogique et éducative. Par exemple, si Paolo devait faire un exercice de lecture, il s’enregistrait sur une cassette à la maison et la donnait ensuite à l’instituteur, explique Sam. Une psychologue prenait aussi à part Paolo pendant les récréations pour lui donner des exercices à faire. Il prononçait quelques mots petit à petit, c’était encourageant. L’important, avec un enfant mutique, c’est de fonctionner étape par étape. La collaboration entre l’équipe éducative et la psychologue a permis à Paolo de s’ouvrir au fur et à mesure”, s’enthousiasme le papa.

Une vie sociale compliquée

Paolo peinait aussi à avoir une vie sociale. Quand il était petit, il jouait au football en salle mais il restait isolé du groupe. Hors du cadre familial, il ne parvenait pas à s’adresser à autrui. Sam raconte cette anecdote : “Un jour, un marchand de glaces est passé dans la rue. Mon fils avait vraiment envie d’une crème glacée. C’était l’occasion de faire un exercice. Je lui ai donc donné de l’argent pour qu’il y aille lui-même. Il m’a regardé en disant : Papa, tu sais très bien que je ne suis pas capable de faire ça…”.

À l’école, la scène se reproduisait. L’enfant était isolé dans la cour de récréation. Mais après plusieurs années, il s’est ouvert progressivement à ses copains de classe. Sam évoque que “Paolo parlait discrètement aux autres élèves mais dès qu’un enseignant approchait, il se taisait”.

Au passage en humanités, les parents de Paolo ont entamé la même démarche de sensibilisation auprès du corps professoral qu’en primaires. L’adaptation des méthodes d’enseignement a porté ses fruits. Au fil des années, de réels progrès se sont fait sentir. “Aujourd’hui, Paolo est toujours timide, mais on peut affirmer qu’il est sorti de son mutisme”, s’exclame Sam, rayonnant.

Jetant un regard sur les années antérieures et les épreuves endurées, il convient que par moments, son épouse et lui perdaient espoir. Mais les échanges avec d’autres parents dans le même cas les ont aidés à surmonter cette épreuve. Ils n’ont jamais baissé les bras, considérant comme une victoire les moindres progrès de leur enfant. “Nous avons pu compter sur la compétence et la collaboration de nombreuses personnes. Avec de la patience et du temps, notre fils a pu sortir de son mutisme sélectif”, conclut Sam. L’année prochaine, Paolo, âgé de 18 ans, entamera des études supérieures… de langues.

//ENTRETIEN : GAUTHIER VINCENT

 >> Pour en savoir plus 

> L’association française Ouvrir la voix fournit de nombreuses informations sur le mutisme sélectif. Elle aide les professionnels, parents et enfants qui y sont confrontés à y faire face. Elle a été la première, en francophonie, à renseigner le public sur ce trouble. Infos sur www.ouvrirlavoix.sitego.fr Une version complémentaire belge en néerlandais est disponible sur www.selectiefmutisme.be

> Plus d'infos (en français) par email : mutismeselectifbelgique@gmail.com

Le mutisme sélectif, un trouble méconnu

Le mutisme sélectif, qu’est-ce que c’est ?Un trouble chez l’enfant qui l’empêche de parler dans certaines situations. Tandis que dans d’autres, il s’exprimera tout à fait normalement”, répond Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre et professeur émérite à l’UCL, qui ajoute aussitôt : “J’ai rarement été confronté à des enfants mutiques dans ma carrière. C’est un trouble rare qui ne touche qu’un minuscule pourcentage de la population.

C’est ce qui explique que peu d’études ont été réalisées sur le sujet. Des psychiatres américains estiment que 7 enfants sur 1.000 souffriraient de mutisme sélectif. Jean-Yves Hayez souligne que les causes de ce trouble psychique demeurent mystérieuses. Selon lui, il pourrait s’agir “d’un ensemble de choses : des angoisses importantes vis-à-vis du monde social, un traumatisme par rapport à l’école, un choc provenant par exemple d’un déménagement, ou encore une opposition passive par rapport à une autorité”. La société américaine de psychiatrie considère également ce trouble comme lié à l’anxiété.

Agir efficacement

Le mutisme sélectif se développe surtout dans le milieu scolaire et peut être accompagné d’autres troubles telles que la phobie scolaire ou la phobie sociale. En effet, les enfants mutiques peuvent éprouver de la peur ou de l’anxiété lorsqu’ils se retrouvent à l’école. Par la suite, le stress, des nausées, des tremblements... peuvent apparaître, ce qui va pousser l’enfant à ne plus vouloir fréquenter de milieu social.

Vers 10-11 ans, l’enfant commence doucement à sortir de son mutisme si une prise en charge précoce a été effectuée. Un travail comportemental avec l’enfant est nécessaire, indique le professeur Hayez. Dans le cadre scolaire, l’instituteur est confronté à un challenge. D’un côté, il ne doit pas brusquer l’enfant ni le forcer à parler. D’un autre, il ne doit pas le laisser dans son coin mais plutôt le faire participer aux activités. C’est un enseignement spécifique que l’enseignant doit s’efforcer de donner. En effet, obliger l’enfant mutique à parler, alors qu’il connait un véritable blocage n’arrange rien”.

Des solutions existent

L’important semble d’instaurer un cadre progressif pour que l’enfant se rende compte de ses progrès. Y compris de manière ludique. En collaboration avec l’université d’Utrecht, des parents d’enfants mutiques ont ainsi créé un jeu en ligne permettant au jeune de dépasser son mutisme. Dans ce jeu, le héros va devoir traverser différentes épreuves. Mais pour avancer, il devra utiliser sa voix...

Une autre méthode utilisée s’appelle le sliding-in ou exposition graduée. Cette technique consiste à démarrer une discussion en tête à tête avec l’enfant. Une tierce personne s’immisce alors doucement dans la conversation. L’enfant va progressivement s’habituer à cette présence extérieure. Ainsi, il n’aura plus peur de discuter et interviendra avec plusieurs personnes à la fois.

Quant au traitement médical, plusieurs écoles existent : “Selon moi, la patience est la solution, explique Jean-Yves Hayez. Outre-Atlantique, les psychiatres américains utilisent d’autres méthodes dont la thérapie cognitivo-comportementale. Ils hospitalisent les enfants, utilisent des médications et fonctionnent avec un système de punition et de récompense. D’après eux, ce système complexe amènerait l’enfant à parler. Mais je pense qu’il faut plutôt agir directement sur le comportement de l’enfant avec des méthodes adaptées, sans prescription médicamenteuse.

Le mutisme sélectif reste un trouble mystérieux et très peu connu des spécialistes. Mais il n’est pas une fatalité. Aidé par son entourage et encadré par des professionnels de la santé et de l’éducation, l’enfant mutique pourra dépasser son trouble. Toutefois, il demeura sans doute timide toute sa vie…

//GV

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