Drogues
(20 décembre 2012)
“À vot’santé !” Vraiment ?
Et moi, suis-je
“accro” ? |
Faut-il bannir
l’alcool de la célébration des événements importants de la vie? Après tout,
un petit verre ne peut pas faire de tort, dit-on souvent…
L’Asbl Question
Santé et la Société scientifique de médecine générale (SSMG) se sont
associées pour l’édition toute récente d’un dossier faisant le point sur les
différentes facettes de la consommation d’alcool dans notre pays, exemples
très concrets et quantitatifs à l’appui. Quels sont les balises et signaux
d’alerte à avoir à l’esprit? Qui peut aider celui ou celle qui se sent
hésitant ou en situation de fragilité face à l’alcool? Est-il possible
d’avoir une consommation contrôlée? |
Au fil d’une vingtaine de pages bien
tassées et sans moralisme, le dossier, consultable sur
www.mongeneraliste.be, éclaire le lecteur sur les modalités d’un usage
prudent de l’alcool, au quotidien comme dans les occasions festives. Il
suggère diverses fiches pour “se tester” soi-même. Et, si nécessaire, pour
se faire aider ensuite par un intervenant spécialisé. On y parle, également,
du contexte familial et professionnel de l’usage d’alcool.
>> Infos :
02/512.41.74
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© Reporters/Image Source |
À force de
parler des accidents mortels liés à l’ivresse au volant, on en oublierait
presque que l’alcool et la santé forment, très souvent, un mauvais couple au
quotidien. Une consommation prudente reste possible, mais à des conditions
draconiennes, souvent ignorées ou niées. Plongée dans les zones grises de
l’absorption de nos petites “douceurs” liquides.
L’alcool est une drogue dure.
Au même titre que l’héroïne. Martelée par les alcoologues dans les lieux de
prévention et de sensibilisation aux assuétudes, cette affirmation ne cesse
pourtant d’étonner le grand public. Celui-ci oublie que le caractère licite
de l’alcool, lié à une vaste acceptation sociale et culturelle, n’empêche
pas ce produit de menacer son consommateur de le faire tomber dans une
relation de dépendance très tenace, ni d’exercer - bien avant ce stade - des
effets négatifs sur sa santé.
Si la drogue
“alcool” est communément classée “dure”, c’est plus concrètement parce que,
“chez la personne dépendante, le corps réclame sa dose avec la même
pression et la même intensité que l’héroïne”, explique le Dr Raymond
Gueibe, psychiatre et alcoologue à la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies. Pas
convaincu? Relisez, alors, les dernières interviews de Jean-Luc Delarue. Peu
avant sa mort, le célèbre animateur télé y a clairement reconnu qu’il lui
avait été bien plus difficile de se libérer de son assuétude à l’alcool que
de celle à la cocaïne, autre drogue plutôt répertoriée “dure”.
Là s’arrête la
comparaison. Car, à la différence de l’héroïne, l’alcool prend généralement
tout son temps pour enlacer sa victime et la faire tomber dans la dépendance
psychologique. “Dix ans en moyenne pour un homme, à raison de plus de
trois verres par jour ; cinq ans pour une femme, à raison de plus de deux
verres”, précise le spécialiste. Beaucoup de consommateurs,
heureusement, ne connaîtront jamais les affres de la dépendance physique
(sueurs, tremblements…), ni même la “simple” dépendance psychologique (“vivement
ce midi - ou ce soir - pour boire mon petit verre et me sentir bien…”).
Beaucoup de
consommateurs, vraiment? D’après une enquête menée en Belgique sur le
terrain de la médecine générale(1), 25 à 30% des hommes et
10% des femmes vivent dans la dépendance à l’alcool ou ont développé une
consommation à problèmes ou à risques. Le problème n’est pas mince. “L’alcool
suscite ou aggrave de très nombreuses pathologies, s’inquiète le Dr Thomas
Orban, alcoologue et vice-président de la SSMG. Il est, chez nous, le
troisième facteur de morbidité après l’hypertension et le tabagisme. En
termes de santé publique, il représente un problème majeur”.
Abstinences
hebdomadaires
Mais où commence la
consommation à problème? Comment savoir, lorsqu’on est simplement amateur du
“petit verre” dans des circonstances banalement festives, si l’on est déjà,
peu ou prou un consommateur à risque, ne fût-ce que pour bien plus tard? La
réponse de l’Organisation mondiale de la santé est, à première vue, très
claire. L’OMS recommande en effet, pour s’assurer une consommation “à
moindre risque”, de ne pas dépasser pour les usages réguliers 3 à 4 unités
d’alcool en moyenne par jour pour un homme et, pour une femme, 2 à 3 unités
quotidiennes(2). Mais avec un complément important :
pouvoir s’en passer au moins un jour par semaine. “Si possible deux!”,
précise aussitôt le Dr Gueibe. Avec de telles quantités, on est, pour
beaucoup de gens, bien en-deçà du seuil d’ivresse ressentie ou de symptômes
visibles. Pour les consommations occasionnelles, l’OMS recommande de ne pas
dépasser 4 unités par occasion.
Mais que signifie
“à moindre risque” selon ses experts? Réponse : à ces doses-là (et tenant
compte de l’interruption prescrite !), un individu en bonne santé ne risque
pas de tomber dans une forme de dépendance ni de développer les maladies
traditionnellement associées à la consommation d’alcool sur un long laps de
temps : celles qui minent le foie (surcharge graisseuse -la stéatose-, la
fibrose, la cirrhose…), celles qui s’attaquent au système nerveux (troubles
du sommeil ou de la mémoire, dépression, angoisses…) ou diverses formes de
cancer (bouche, larynx, pharynx…: surtout en association avec le tabac).
Sans oublier, bien
sûr, les maladies cardiovasculaires, liées à l’hypertension : une matière
controversée, s’il en est! On se souvient en effet de ces études très
médiatisées concluant que la consommation d’un à deux verres par jour peut
avoir un effet bénéfique pour la santé. Hélas pour les consommateurs
modiques, cette relation de cause à effet n’a pas été clairement démontrée.
“Sinon pour le vin rouge, et pour le seul effet coronarien (risque
d’infarctus), précise le Dr Orban. Mais c’est l’unique aspect où la
consommation très modérée d’alcool pourrait avoir un effet positif. Pour
toutes les autres pathologies, boire de l’alcool reste mauvais pour la
santé. Un seul exemple: boire un verre par jour, pour une femme, revient à
voir son risque de cancer du sein légèrement majoré; au-delà d’un verre,
l’évolution est exponentielle”. Quant au Dr Gueibe, il fait remarquer
qu’assez curieusement, l’effet prétendument positif du vin rouge sur le cœur
avait été démontré par un organisme de recherche situé dans… le Bordelais.
Celui du whisky, par une institution implantée en… Ecosse.
Eviter les
pressions
Les critères de
consommation modérée émis par l’OMS ne valent évidemment pas pour des
personnes souffrant d’autres problèmes de santé, mineurs ou majeurs:
migraines, hépatites virales, épilepsies, ulcères d’origines diverses, etc.
Ni, évidemment, pour les femmes enceintes ou les enfants (consommation
recommandée : zéro!). Ces chiffres officiels, d’ailleurs, n’ont cessé
d’évoluer à la baisse ces dernières années. “A la lueur des résultats de
nouvelles études scientifiques, plus pointues, ils pourraient encore
diminuer prochainement”, souligne Raymond Gueibe.
Faut-il s’arrêter
de boire pour autant? En tout cas, ne pas inciter quelqu’un qui ne boit pas
– ou peu – à s’y mettre sous le prétexte d’effets positifs ou agréables,
répondent de concert la SSMG et Question Santé. “Prôner la prohibition
serait vain et absurde, complète Raymont Gueibe. Chaque culture a
besoin d’une drogue. Et la nôtre, depuis des siècles, c’est l’alcool. Mais
une drogue licite demande à être réglementée, surtout en matière de
publicité où presque tout reste à faire. Surtout, il faut sans cesse taper
sur le clou en matière d’information. Après trente-sept années de carrière,
je suis toujours étonné du nombre de gens qui ignorent tout de l’effet de
l’alcool, même à faibles doses, sur leur santé”.
// PHILIPPE
LAMOTTE
(1) Cette enquête
est évoquée dans une récente publication de Question Santé et la SSMG,
consultable sur www.mongeneraliste.be
(lire l'encadré "Et moi, suis-je “accro” ?").
(2) Une unité = 10 grammes d’alcool, soit une bière “pils”,
une coupe de champagne ou un verre de vin de 10 cl, un apéritif de 7 cl, un
verre de whisky de 3 cl ou un verre de pastis de 2,6 cl (à domicile,
précisent les experts, on se sert souvent plus généreusement qu’au bistrot
ou au resto).
Jamais seul face à
l’alcool |
Rien n’est plus
tentant ou facile que le déni des effets de l’alcool consommé en trop grande
quantité. Surtout dans un environnement culturel qui, dans nos pays, le
banalise de mille façons. “Certains consommateurs sont faussement rassurés
parce qu’ils ne sont jamais ivres, explique le Dr Patrick Trefois, de
Question Santé. D’autres pensent être protégés par une pratique du “bien
boire”: ils ne consomment que de ‘bons vins’ ou de ‘bonnes bières’,
uniquement aux repas. D’autres, enfin, se sachant un peu excessifs,
demanderont des contrôles sanguins réguliers à leur médecin, se donnant
l’impression de contrôler la situation”. Bref, le problème, en quelque
sorte, n’existe pas tout simplement: affaire classée! “Le mécanisme du déni
est au cœur du comportement qui mène à l’addiction, complète le médecin. A
ce stade, le consommateur évite tout propos qui l’emmènerait vers un
changement qui lui paraît impossible, impensable et sans objet”.
Une fois
que la personne accepte de se questionner, elle n’est pas seule ni démunie.
“Les médecins généralistes ont une force de frappe considérable pour
informer et accompagner les gens”, estime le Dr Thomas Orban. Il existe par
ailleurs une batterie de tests très simples à réaliser chez soi, en ligne
par exemple, au terme desquels un simple décompte de points permet de se
faire une idée sur son profil de consommation (lire l'encadré "Et moi, suis-je “accro” ?").
Si, par exemple, on ne peut pas se passer facilement d’alcool une ou deux
fois par semaine, le signal d’alarme doit résonner : le stade de la
dépendance est atteint. Dans ce cas, l’aide régulière du médecin de famille
est conseillée.
Le recours à un psychiatre? Pas de chance pour les patients
belges… “Chez-nous, la prise en charge d’un problème d’alcool est souvent
associée à la sphère psychiatrique”, commente le Dr Gueibe, lui-même
psychiatre. Dans d’autres pays, comme en France, c’est plutôt le monde des
gastro-entérologues, ce qui contribue à dédramatiser et à faciliter la
sortie de l’isolement. “La première chose que je dis à mes patients, c’est
que l’alcool, sauf cas extrêmes, ne relève pas de la maladie mentale. Je
leur explique simplement qu’au fond, ils n’ont probablement pas été
correctement informés sur l’alcool et ses effets. Cela rassure, cela détend.
Et le travail sur eux-mêmes peut commencer…” |
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