Médicaments ( 3 mars 2011)
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Mediator®, un traitement qui a vécu bien trop
longtemps
Ce
médicament aux consonances digne d’un film de science-fiction vient de
polariser l’attention des autorités françaises et des médias dans
l’Hexagone. Il est au centre d’un véritable “scandale sanitaire”
(1), dénoncé aujourd’hui avec virulence mais laissé
dans l’ombre de longues années durant.
Autorisé à la vente en France, il y a plus de trente ans, le Médiator® était
à l’origine prescrit en tant qu’hypolipidémiant (destiné à faire baisser les
corps gras dans le sang).
En 1990, il bénéficie d’une nouvelle indication en diabétologie:
“adjuvant au régime adapté pour les personnes diabétiques en surcharge
pondérale”. Il entre peu à peu dans les prescriptions comme
“coupe-faim”. Les choses mettront du temps à se gâter pour cette spécialité.
Ce n’est qu’en novembre 2009, qu’une suspension de vente la marquera
finalement. 300.000 personnes suivaient alors un traitement au Mediator®, en
France. Réunion européenne de pharmacovigilance, enquêtes officieuses puis
officielles, rapport de toxicité à propos de métabolite similaire, alerte
aux mésusages… auraient pu alerter bien avant. Comble du comble, pendant que
le médicament conservait sa légalité en France, d’autres pays européens
prenaient des mesures d’interdiction. En Belgique, par exemple, la
Commission du médicament refusera par deux fois – dont la première en 1978 –
l’autorisation de mise sur le marche. L’attention était portée sur l'effet
anorexigène de la molécule (Benfluorex), et l’efficacité du médicament était
sujette à contestation.
Des
victimes par milliers
D’après une étude remise
à l’Agence française de la sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps),
fin 2010, le Mediator® serait à l’origine de plus de 500 décès en France et
de l’hospitalisation de quelque 3.500 personnes souffrant de lésions des
valves cardiaques. Les observations de valvulopathies chez des patientes
parfois jeunes, la pneumologue Irène Franchon les signalait de longue date,
sans effet. Dans un livre “Mediator® 150 mg”(2),
elle rapporte l’histoire de sa pugnacité contre le Mediator® face au monde
complexe du médicament. Détail significatif: le titre initialement prévu
“Mediator® 150 mg. Combien de morts” a subi la censure, la firme
pharmaceutique Servier, productrice du Mediator, s’inquiétant du discrédit
qu’un tel sous-titre aurait pu engendrer.
Des
leçons à tirer
Aujourd’hui, les
rapports d’enquête tentent de démêler les responsabilités, de tirer les
enseignements du parcours − trop long − du Mediator® sur le marché français
depuis son autorisation en 1976. Ainsi en janvier dernier, l’Inspection
générale des affaires sociales remettait un rapport critique(3).
Le laboratoire Servier se voit particulièrement mis en cause: son
comportement et sa stratégie, pendant 35 ans, n’ont eu de cesse de
poursuivre la commercialisation, malgré “le décalage avec la réalité
pharmacologique” du Mediator®; au point de littéralement “anesthésier
les acteurs de la chaîne du médicament”.
Le dispositif de
pharmacovigilance a lui aussi failli. Il n’a pas instruit suffisamment les
cas d’effets indésirables graves. Accorder la plus grande attention à ces
effets, voilà un élément parmi d’autres que l’organisme “Prescrire” avance
pour éviter un Mediator bis. L’association, reconnue pour son indépendance
et sa fiabilité, avait donné l’alerte de longue date dans ce dossier.
Aujourd’hui, elle prêche en faveur de changements fondamentaux: “Ces
désastres de santé publique auraient pu être évités. A trois conditions.
D'abord, à condition de toujours penser en termes de balance
bénéfices-risques pour les patients : pourquoi prendre le moindre risque
quand il n'y aucun bénéfice tangible démontré? Ensuite, à condition
d'accorder la plus grande attention aux effets indésirables décrits dans les
essais cliniques, d'appliquer des raisonnements de pharmacologie de base, et
d'analyser les publications spécialisées de pharmacovigilance du monde
entier. Enfin, à condition de toujours faire bénéficier le doute au patient,
et non à la firme: car on ne rendra pas la vie aux morts du Mediator®,
malgré les procès qui ne manqueront pas d'être intentés à la firme
pharmaceutique Servier”. (4). Et de rappeler aux
oreilles des soignants, mais aussi des agences sanitaires, des sociétés
pharmaceutiques et des responsables politiques, un principe de base en
médecine: “d'abord ne pas nuire”.
// Catherine Daloze
(1) Dossier du Figaro sur
www.lefigaro.fr
(2) I.Franchon, “Médiator 150 mg : sous titre censuré”,
éditions-dialogues.fr, Brest, 2010.
(3) Le rapport IGAS du 15 janvier 2011 est disponible
sur www.afssaps.fr/
(4) Prescrire – 10 décembre 2010 –
www.prescrire.org/
La vie légale d’un médicament
De
sa conception, à sa consommation, en passant par sa mise en vente, tout
médicament suit une trajectoire balisée. Autorisations et contrôles sont
autant de passages obligés, censés éviter les abus et les dérives. Suivons
brièvement ce parcours.
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A l'origine, se trouve le brevet.
Ce dernier –
spécifique à chaque pays – annonce la possible naissance d'un
médicament, aux yeux des laborantins, en tout cas. Pour le patient,
il reste encore inconnu. Le brevet scelle, en fait, la propriété
intellectuelle de la firme pharmaceutique sur la nouvelle molécule
qu'elle a enregistrée. La durée des brevets s'étend sur vingt ans,
auxquels peuvent être ajoutés cinq ans, si les autres procédures qui
doivent suivre (lire plus loin) sont jugées trop longues. Une fois
l'échéance du brevet atteinte, la molécule pourra être fabriquée par
d'autres firmes que la “firme mère”. C’est la naissance du
médicament générique. Ainsi, l'enregistrement de brevets constitue
un enjeu de taille pour les firmes pharmaceutiques soucieuses de
préserver leurs intérêts économiques. Et, on assiste à la mise en
oeuve de stratégies défensives en matière de brevet
“principalement afin de bloquer le développement de nouveaux
produits”, comme l’indique un rapport de la Commission
européenne sur le secteur.
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Mais là ne s'arrête pas l'histoire.
Tout médicament conçu industriellement ainsi que toute spécialité
pharmaceutique à usage humain, destinés à la commercialisation doivent
recevoir une autorisation de mise sur le marché (AMM pour les spécialistes),
sorte de pass pour apparaître dans les rayonnages des pharmacies. En
fonction du type de produit ou des intentions de la firme, la procédure se
déroulera soit au niveau européen, soit au niveau national – auprès d'un ou
de plusieurs états membres.
Ainsi, depuis 1995, les
médicaments destinés au traitement du VIH/Sida, du cancer, du diabète, de
maladies neurodégénratives, de maladies rares (dites orphelines) ou dérivés
de la biotechnologie – soit la grande majorité des nouveaux produits -
devront obligatoirement emprunter la voie européenne via l'Agence européenne
des médicaments (1). Au niveau national belge, les AMM sont
délivrées par le ministre en charge de la Santé publique, sur avis de
l'Agence fédérale des médicaments et produits de santé (AFMPS)
(2) et plus précisément de la Commission médicaments de l'Agence. Les
représentants de différents disciplines médicales et scientifiques examinent
le dossier remis par la firme demanderesse. Outre les informations
adminsitratives, ce dossier doit démontrer la qualité, la sécurité et
l'efficacité du médicament. Posologies, indications et contre-indications
thérapeutiques, résultats des essais cliniques doivent être décrits avec
précision par la firme qui entend commercialiser le produit. Dans cette
étape décisive de la vie d'un médicament, les plus vigilants rappelent
l'importance de tenir à l’œil l'influence qu'exercent les industries
pharmaceutiques sur les experts. Il s'agit de traquer les conflits
d'intérêts, de tenter de garantir un maximum d’indépendance. Pas évident,
dans un contexte où comme en France avec Servier (lire ci-dessus),
l’industrie entretient des liens étroits avec l’Etat, forte de sa grande
valeur ajoutée, économiquement parlant.
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Mais la première autorisation de mise sur le marché n’est pas éternelle.
Elle expire au bout de cinq ans. Son renouvellement peut être demandé,
pour une période illimitée cette fois. Par ailleurs, toute modification de
dosage, de forme, de mode d'administration, de même que toute extension ou
modification des indications thérapeutiques s'assortira d'une nouvelle
demande d'AMM. A tout moment, une AMM peut se voir suspendue ou retirée par
le ministre de la Santé.
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Suivront les étapes de fixation d’un prix et d’admission au remboursement
par la sécurité sociale.
Ici, intervient la Commission de remboursement des médicaments (CRM) de l’Inami,
à laquelle participe notamment la Mutualité chrétienne(3)
aux côtés d’autres experts. Raisons médico-scientifiques et budgétaires
président aux débats. Là aussi, chaque membre de la CRM doit déclarer ses
conflits d’intérêts par rapport aux différents dossiers.
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Une fois ces différentes étapes franchies, le médicament entamera son
véritable parcours de vie pour les patients.
Non sans surveillance.
Dans la jargon, ce suivi est baptisé pharmacovigilance. Elle concerne
plusieurs acteurs, dont les patients eux-mêmes qui ne doivent pas hésiter à
signaler, à leur médecin ou auprès de Test-achats(4), les
effets indésirables qu’ils constatent lorsqu’ils consomment le produit
prescrit. Un système de fiches permet aux professionnels de la santé de
notifier toute constatation ou suspicion à l’adresse du Centre belge de
pharmacovigilance pour les médicaments à usage humain (CBPH). De leur côté,
les industries ont pour obligation de désigner une personne de référence qui
assurera, durant les cinq premières années, la pharmacovigilance pour chaque
produit autorisé. Notification d’éventuels effets indésirables, évaluation
constante des risques doivent être transmises au CBPH. Se forme ainsi un
réseau de vigilance, dont le fonctionnement efficace dépend cependant de
chaque maillon de la chaîne.
// CD
(1) www.ema.europa.eu
(2) www.afmps.be
(3) Au sein de la MC, il existe une cellule médicaments
permanente de cinq personnes. Un investissement d’importance.
(4) Test-Achats : rue de Hollande 13 à 1060 Bruxelles -
02/542.33.93 -
www.contactmedicaments.be
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