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Médicaments : crise de confiance (3 février 2004)

 

“L’innovation en panne”. C’est sous ce titre que la revue française Prescrire a présenté à Paris, le 20 janvier dernier, son bilan annuel du médicament, comme elle le fait depuis 24 ans déjà. En toute indépendance.

 

Depuis plusieurs années, contrairement aux effets d’annonces de l’industrie pharmaceutique, la revue Prescrire (1) constate l’absence de toute nouveauté importante. Plus grave, la revue française estime que trop de firmes pharmaceutiques font passer leurs intérêts commerciaux avant ceux de la santé publique : “On est loin des ‘40 glorieuses’ de l’industrie pharmaceutique, des années 1950 aux années 1980, qui virent de nombreuses révolutions thérapeutiques, constate la revue Prescrire. Pour pallier à cette situation, les firmes rivalisent d’imagination : imposer des prix de plus en plus élevés; pousser à des commercialisations de plus en plus rapides, et donc hasardeuses; déformer et faire déformer la réalité des données; délaisser et faire délaisser les médicaments anciens, utiles mais jugés insuffisamment rentables; obtenir des aides financières massives des États; développer des politiques protectionnistes, pénalisant l’accès aux soins dans les pays pauvres…”

 

Des rendements décroissants

C’est que l’industrie pharmaceutique est sans doute entrée dans une période de rendements décroissants, comme l’expliquait déjà Philippe Pignarre, chargé de cours sur les psychotropes à l’Université de Paris-VIII, dans un ouvrage récent (2) : “L’idée la plus largement répandue est que nous vivons une période d’intense innovation thérapeutique et que cela expliquerait l’envolée des dépenses de médicaments et, plus généralement, des dépenses de santé. Les laboratoires pharmaceutiques présentent chaque nouvelle molécule comme inaugurant une “nouvelle génération ” dans une classe de médicaments donnés. Les journalistes qui ont en charge la vulgarisation des découvertes scientifiques terminent rituellement leurs articles en annonçant des retombées thérapeutiques inévitables…Ce discours a une seule conséquence : il faut accepter de payer très cher les nouveaux médicaments pour participer au progrès thérapeutique.

Mais l’industrie pharmaceutique tient parallèlement un autre discours qui est contradictoire : les frais de 1a recherche et développement pour mettre au point un nouveau médicament doublent tous les cinq ans, approchant désormais les 800 millions d’euros. On ne peut mieux dire que cette industrie est entrée dans une phase de rendements décroissants. Ce ne sont pas les progrès thérapeutiques que nous feraient payer les industriels, mais le ralentissement du progrès thérapeutique.”

Après tout, est-ce si étonnant qu’après 40 à 50 ans de découvertes, la recherche marque le pas, s’interroge Bruno Toussaint, responsable de la revue Prescrire ? N’y aurait-il d’autres voies à explorer en santé publique que de mettre au point de “fausses” nouveautés que l’on cherche à faire payer très cher ? Peut-on se contenter de mettre sur le marché des produits vedettes (blockbusters) dont le chiffre de vente doit immanquablement dépasser le milliard de dollars (comme le Viagra ou le Zocor) et sur lesquels aujourd’hui repose largement l’industrie pharmaceutique, alors que l’on perçoit mieux aujourd’hui le risque financier une fois que la vedette est mise en bas de son piédestal (voir ci-contre l’affaire du Vioxx) ? Dans son éditorial de février 2005 la revue invite à réfléchir sur de nouvelles pistes pour la santé, plutôt que de crier à la catastrophe.

 

Du neuf à tout prix?

Ne faudrait-il pas, écrit-elle en substance, améliorer les moyens diagnostiques et thérapeutiques existants plutôt que de chercher du neuf à tout prix ? A force de penser en termes médicaux, ne néglige-t-on pas les moyens non médicaux, par exemple sociaux, de prise en charge des patients ? Veille-t-on suffisamment à éviter les traitements et les investigations inutiles ? Beaucoup de maux seraient évités si l’on améliorait l’organisation des soins, la qualité des produits de santé, la communication entre soignants et patients. Il reste aussi tant de choses à faire dans le domaine de la prévention primaire : nutrition, environnement, comportement… Les objectifs de la recherche fondamentale devraient être davantage définis en fonction des besoins de santé et non du bénéfice commercial. Il faudrait en somme “réfléchir aux moyens d’orienter vigoureusement la recherche vers les véritables manques, les maladies et groupes de patients jusqu’ici négligés, dans les pays riches comme dans les pays pauvres et se placer “dans le camp des patients” et de la santé publique”. C’est dans cet esprit que Bruno Toussaint, pose une série d’exigences et de propositions afin d’éviter une nouvelle affaire Vioxx : “L’affaire Vioxx, dit-il, est une affaire sérieuse qui révèle beaucoup de travers.”

 

“La vente continue…”

Rappelons brièvement de quoi il s’agit. En 1999, le dossier qui sous-tend l’autorisation de mise sur le marché (AAM) du Vioxx ne comporte pas de preuve d’un progrès thérapeutique tangible, ni en terme d’efficacité, ni en terme d’effets indésirables digestifs graves. En 2000, apparaissent des données défavorables du point de vue cardiovasculaire. Si l’on s’était placé à l’époque du point de vue des patients, comme l’ont fait nombre de revues ou milieux indépendants de l’industrie pharmaceutique, la question était entendue, affirme la revue Prescrire : “dans le cas d’une affection bénigne, pour laquelle on dispose déjà de divers traitements, il n’y avait pas de raison de prendre des risques cardiovasculaires en l’absence de progrès établi par ailleurs”. Si les pouvoirs publics avaient suivi ce principe, il n’y aurait pas eu d’affaire Vioxx. Mais, comme l’a dit Bruno Toussaint : “Pendant la controverse, la vente continue.”

 

Comment éviter de nouvelles affaires Vioxx

Pour éviter de nouvelles affaires Vioxx, dont on commence à compter aujourd’hui les décès par dizaines de milliers dans le monde, les pouvoirs publics, soucieux de santé publique, devraient respecter quelques principes essentiels.

Avant toute autorisation de mise sur le marché, tout médicament doit faire la preuve qu’il représente vraiment un progrès thérapeutique par rapport à ce qui existe déjà. Aujourd’hui, les exigences réglementaires se limitent en effet à démontrer que la balance entre les bénéfices et les risques sont acceptables.

Les Agences du médicament sont trop proches des firmes pharmaceutiques. Ce sont elles qui financent principalement leurs activités. Et beaucoup trop d’experts sollicités par les agences le sont aussi par les firmes pharmaceutiques. Il faut profiter de la situation actuelle où chacun constate à la fois “la raréfaction des progrès thérapeutiques en matière de médicament, et les risques que font courir à la population les stratégies commerciales de grandes firmes pharmaceutiques quand elles ne sont pas suffisamment encadrées.”

Prescrire réclame encore un “accès libre aux données cliniques”. Dès aujourd’hui, les agences pourraient mettre à la disposition des collectivités les données cliniques dont elles disposent. Certes, les études financées par les firmes sont les plus nombreuses. Mais les données issues de ces études de recherche clinique “n’appartiennent pas plus aux firmes qu’aux patients qui acceptent de participer aux essais et, au-delà, à la collectivité qui finance les soins…”

Après la mise sur le marché, les pouvoirs publics doivent surveiller activement, et non seulement par obligation réglementaire, l’apparition d’effets indésirables pour mieux cerner la balance entre les bénéfices et les risques d’un médicament.

 

Enfin, Bruno Toussaint exhorte les professionnels de santé à exercer leur art en toute indépendance (3). L’affaire Vioxx a montré à quel point actuellement les agences du médicament sont sensibles au point de vue des firmes quand il y a doute. Au total, l’affaire Vioxx montre les limites des règles actuelles du jeu de l’AMM : “le manque d’exigence des pouvoirs publics laisse la recherche clinique s’essouffler dans des domaines non prioritaires du point de vue de la santé publique, et laisse les patients exposés aux dégâts de nouveaux médicaments dont la balance bénéfices-risques est encore mal cernée, même dans des domaines où on dispose déjà de nombreux médicaments acceptables… “

 

Christian Van Rompaey

(1) www.prescrire.org 

(2) Comment sauver (vraiment) la sécu. L’exemple des médicaments. Éditions La Découverte – 6,40 EUR.

(3) Depuis une dizaine d’années, des médecins belges qui en ont assez de la publicité pour les médicaments se sont associés afin de défendre leur liberté thérapeutique face aux pratiques des firmes pharmaceutiques. Le G.R.A.S. ou Groupe de Recherche et d’Action pour la santé pratique, notamment, la “publivigilance” afin de modérer les effets secondaires des campagnes publicitaires commerciales mensongères, ambiguës ou contraires à l’éthique médicale.

http://www.grouperechercheactionsante.com 


 

L’affaire VIOXX

 

L’affaire du Vioxx, ce médicament anti-inflammatoire fabriqué par Merck, retiré précipitamment de la vente le 30 septembre 2004 (1) en raison des effets secondaires cardio-vasculaires constatés lors d’essais cliniques, continue à faire des vagues.

Le mardi 26 janvier dernier, le quotidien français Le Monde faisait écho à un article de la revue scientifique britannique “The Lancet” selon lequel le médicament anti-inflammatoire Vioxx pourrait être responsable en 8 ans d’un total de 88.000 à 140.000 cas supplémentaires de maladie cardiaque sévère aux Etats-Unis entre 1999 et 2004. Cette estimation, controversée, est en fait une version révisée à la baisse des premières données rassemblées précédemment par le docteur David Graham, directeur-adjoint du service de sécurité des médicaments de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence du médicament aux Etats-Unis. S’il y a controverse sur le nombre des victimes, et l’extrapolation d’une enquête à l’ensemble de la population américaine, elle donne cependant un ordre de grandeur des dégâts sanitaires. Le groupe pharmaceutique, qui a vendu pour 2,5 milliards de dollars de Vioxx en 2004, a vu sa valeur sur le marché chuter d’un tiers. Le groupe dit aussi avoir constitué au quatrième trimestre 2004 une provision de 604 millions de dollars pour couvrir les frais de justice qu’il aura à assumer.

 

(1) Voir En Marche du 7 octobre 2004 - www.enmarche.be 

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