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Les hauts et les bas de la maniaco-dépression (7 juin 2001)

La maladie maniaco-dépressive est un trouble de l’humeur appelé trouble bipolaire ou cyclothymique car elle se manifeste classiquement par phases successives: l’accès maniaque, l’accès dépressif et la phase normale. Gros plan sur une maladie trop souvent stigmatisée.

“La maladie maniaco-dépressive est très spécifique et ne peut être assimilée à l’ensemble des problématiques dépressives”, explique d’emblée le Dr Schepens, chef du service psychiatrie de l’hôpital St Pierre à Ottignies. “Le diagnostic n’est pas facile à établir car lorsqu’on traite la personne dans l’urgence, on ne sait pas toujours ce qu’elle a vécu auparavant. Or, c’est la succession de périodes dépressives et/ou maniaques qui détermine cette maladie”.

Classiquement, la maladie se manifeste en effet par des troubles cycliques de l’humeur avec des phases maniaques et des phases dépressives. Entre ces phases, la personne vit plus ou moins normalement. Les cycles subissent généralement des influences saisonnières. Typiquement, il s’agit d’accès dépressifs à l’automne avec rémission ou transformation en accès maniaque au printemps mais les phases peuvent se succéder plus ou moins rapidement selon les individus, certains connaissant au moins quatre accès en un an (on parle alors de cycle rapide). La durée des intervalles entre deux épisodes est également très variable d’une personne à l’autre et chez un même sujet; elle peut être de plusieurs années. Alors qu’habituellement ces phases se suivent, il arrive que des symptômes dépressifs soient enchevêtrés à des symptômes maniaques. La fréquence des accès tend à augmenter avec l’âge.

En phase maniaque, la personne est exubérante, exaltée, impulsive. Elle est mégalomane et surestime ses capacités. Facilement irritée, sarcastique et colérique, elle perd toute inhibition et tout tact, ce qui peut avoir des conséquences fâcheuses avec l’entourage... La pensée est tellement accélérée que le flot verbal ne peut suivre le rythme, et la personne passe d’un sujet à l’autre. Le maniaque est en agitation constante. Il entreprend plusieurs projets de front sans prendre le temps de les examiner. Cette excitation psychomotrice s’accompagne de troubles du comportement avec familiarités excessives, activité sexuelle débordante et achats inconsidérés. Un syndrome délirant peut accompagner cet état. L’insomnie est constante mais ne s’accompagne d’aucune fatigue. Le maniaque se sent vraiment bien et n’a pas de conscience morbide de son état.

En phase dépressive, à l’inverse, l’individu est mélancolique, triste. Il perd tout goût de s’amuser et n’éprouve plus de plaisir dans la plupart des activités. Il pleure sans contrôle, se dévalorise et se culpabilise. Il n’arrive pas à formuler sa pensée, à se concentrer. Toute activité devient pénible. Même les actes quotidiens sont des corvées qu’il essaie d’éviter. Anorexie et baisse de la libido sont fréquents. Le dépressif reste souvent couché mais il est anxieux et souffre d’insomnie, préoccupé par ses idées pessimistes. Durant cette phase, le risque suicidaire est majeur, la souffrance psychique étant indescriptible.

Une maladie endogène

La psychose maniaco-dépressive est une pathologie endogène c’est-à-dire que la vulnérabilité à la maladie est largement déterminée par des facteurs génétiques (1). Alors qu’elle est de 3 à 4 pour 1.000 dans la population générale, l’incidence augmente à 15 % dans une même famille. Cela étant, il n’y a pas d’aspect inéluctable ou systématique dans la transmission de la maladie. On admet également que certaines situations ou événements “stressants” favorisent la survenue d’accès dépressifs ou maniaques: deuil, accouchement…

Les premières manifestations de la maladie apparaissent avant la 35ème année, généralement dans la vingtaine.

Un projet thérapeutique global

“La maniaco-dépression est une maladie chronique qu’il ne faut pas dramatiser car elle est contrôlable”, précise le Dr Schepens. “Elle exige un projet thérapeutique global avec un suivi médical et psychologique systématique au long cours. L’objectif majeur est d’éviter les rechutes et si elles arrivent, de les prendre en charge au plus vite pour éviter le cycle infernal. L’adhésion du patient à ce projet est dont essentielle. Il faut qu’il suive de manière stricte le traitement médicamenteux indispensable pour équilibrer l’humeur. Il faut aussi qu’il tire la sonnette d’alarme dès qu’il identifie les symptômes annonciateurs de crises. Cela n’est d’ailleurs pas toujours évident car certains patients désirent revivre les phases maniaques où ils se sentent si bien”.

Le traitement médicamenteux est fondamental pour traiter la maniaco-dépression. Il est de deux sortes: le traitement propre aux accès et le traitement de fond qui vise à prévenir les récidives, réduire l’intensité et les excès des phases et obtenir un équilibre de l’humeur.

Dans les accès maniaques, le traitement fait classiquement appel aux neuroleptiques tandis que les antidépresseurs sont à la base du traitement des accès dépressifs. “Traiter chaque phase aiguë quand elle arrive est indispensable mais insuffisant “, assure le Dr Schepens. “Le traitement médicamenteux de fond repose essentiellement sur les thymorégulateurs, dont le lithium est le chef de file. Mais étant donné les risques d’altération rénale à long terme du lithium et les contre-indications (2), on utilise de plus en plus souvent le Tegretol et le Depakine, dont les indications premières concernent l’épilepsie mais qui donnent de très bons résultats. Au plus le traitement est intégré sur base des régulateurs, au moins la personne aura besoin de traitements annexes”.

Si les médicaments sont essentiels, il faut impérativement y adjoindre une psychothérapie de soutien, comme dans toute maladie psychiatrique. Mais des psychothérapies plus structurées peuvent également être indiquées pour contribuer à un meilleur équilibre de la maladie. Selon les cas, il peut s’agir de psychothérapies individuelles ou de groupe, de thérapies familiales, de psychanalyse… Par ailleurs, la participation à des groupes d’entraide peut s’avérer enrichissante dans la recherche d’un équilibre personnel (3).

“Il faut en tout cas éviter de réduire la prise en charge de la personne en souffrance aux seuls aspects médicaux”, affirme le Dr Schepens qui conclut. “Si le psychiatre doit être le référent et la personne de confiance du patient, l’idéal est d’établir une collaboration étroite avec d’autres professionnels de la santé mais aussi avec les proches du patient. Car le soutien de la famille et des amis est déterminant dans la manière dont la personne va prendre en charge sa maladie “.

Joëlle Delvaux

( 7 juin 2001)

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(1) Dans le cerveau des personnes atteintes de maniaco-dépression, le système biochimique de transmission des messages et celui du régulateur d’humeur fonctionnent mal. Des chercheurs américains ont découvert qu’un des gènes reliés à la maniaco-dépression serait situé sur le bras long du chromosome humain n° 18. Ce gène est lié au récepteur de la mélanocortine, une protéine qui interagit avec un important régulateur d’hormones dans le cerveau.

(2) Les contre-indications principales sont l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, l’hypothyroïdie, le régime sans sel, le premier trimestre de la grossesse.

(3) Du côté francophone, il n’existe qu’un seul groupe d’entraide spécifique aux personnes atteintes de maniaco-dépression. Une réunion a lieu tous les premiers jeudis du mois à Bruxelles. Elle est ouverte aux personnes maniaco-dépressives et à leurs proches et amis. Renseignements: Tél.: 02/479.37.83. le jeudi, de 19 à 21h.

L’asbl Similes, association de familles et d’amis de personnes souffrant de maladie mentale, organise quant à elle des groupes de parole pour parents, amis et personnes souffrant de maladie mentale. L’asbl donne également des conseils et informations juridiques et sociales. Pour tout renseignement ou pour connaître les sections locales de Similes, contacter la Fédération Similes francophone, rue Ducale 81 - 1000 Bruxelles - Tél: 02/511.19.08. Fax: 02/503.47.15 . site internet: www.similes.org

 

Témoignage

“Ma famille m’a sauvée”

Francine est âgée de 42 ans. Mariée, mère de deux enfants âgés de 14 et 12 ans, elle est institutrice maternelle. Elle témoigne de sa maniaco-dépression au quotidien.

“J’ai été hospitalisée la première fois en mai 95. Sans m’en rendre compte, j’étais alors dans une période de surexcitation et de suractivités à l’école alors que plusieurs mois auparavant j’avais traversé des moments de dépression. Un jour, un conflit avec un collègue a pris des proportions terribles. J’ai fait un scandale à l’école et n’arrivais pas à me calmer. On a dû m’emmener à l’hôpital. J’entendais mon mari dire que je devenais folle. Moi, je me croyais investie d’une mission divine pour changer le monde.

Après 15 jours d’hospitalisation, de calmants et d’ergothérapie, j’ai sombré complètement dans la dépression. Lentement, je suis remontée à la surface grâce aux antidépresseurs et j’ai fini par reprendre le travail. Comme je me sentais mieux, j’ai stoppé les médicaments… Re-dépression, un an après la première hospitalisation et nouvelle hospitalisation pendant trois semaines. J’y ai vécu une complicité très forte avec un autre malade. Nous nous sentions tous deux investis de pouvoirs divins.

De retour à la maison, je passais mon temps à me saouler et à me goinfrer. J’ai pris 40 kg en quelques mois! Mon filleul m’a supplié d’arrêter de me détruire. J’ai compris alors que j’étais importante pour ma famille et que je devais réagir. J’ai consulté un autre psychiatre à qui je dois d’avoir été le premier à diagnostiquer ma maladie, à avoir trouvé le bon dosage de médicaments et avoir écouté ma souffrance. J’ai compris aussi que ma tante avait eu la même maladie mais qu’on me l’avait toujours caché.

Comme j’étais devenue très grosse, j’ai voulu maigrir avec des coupe-faim mais ceux-ci ont déclenché une suractivité et une troisième hospitalisation pendant laquelle je ne savais plus contrôler mon envie de dépenser. J’ai claqué par exemple 100.000 F en bouquins dans une librairie!

Le retour en famille fut à nouveau une terrible épreuve. Alors que le médecin m’avait reconnu apte à travailler, direction et parents de l’école ne voulaient plus de moi. Ce rejet a été épouvantable. Finalement, on m’a proposé d’être institutrice volante. C’est ce que je fais encore aujourd’hui et j’en suis satisfaite mais j’ai vraiment encaissé beaucoup de méchancetés à cette époque.

J’ai eu du mal à accepter cette maladie car c’est une maladie qui touche l’esprit et car je l’aurai à vie. Mais j’ai tellement peur de revivre l’enfer que je respecte scrupuleusement ma prise de médicaments. J’utilise d’ailleurs une boîte spéciale où tous les médicaments sont rangés dans des compartiments correspondant aux jours de la semaine et aux heures de la journée. C’est vraiment pratique et cela permet de ne pas faire d’erreur.

Mon psychiatre (que je vois très régulièrement) m’a également conseillé de maintenir un rythme de vie régulier pour recréer des habitudes. Ainsi, je ne peux pas faire trop d’activités ou de projets à la fois. J’ai aussi supprimé mes cartes de crédit et la possibilité de descendre en négatif sur mon compte bancaire. Et je dresse toujours une liste de courses avant d’aller dans les magasins.

J’ai aussi appris à identifier les signes avant-coureurs d’une rechute. Mais ce contrôle sur soi-même est éprouvant. De même, je suis parfois irritée de voir mon entourage épier mes moindres gestes ou réactions. Cependant, je comprends que mon mari et mes enfants ne veulent plus vivre le cauchemar enduré des années durant. C’est eux, leur amour, leur soutien, leur compréhension, qui m’ont sauvée”.

Témoignage recueilli
par Joëlle Delvaux

( 7 juin 2001)

A lire aussi comme témoignage: “Maniaco-dépression: l’histoire de Pierre” - par Pierre et Marie-Christine Hardy - Ed. Odile Jacob - 1996.