Maladies
(3 mai 2007)
Se
libérer de ses phobies
On peut avoir peur de la foule, de parler en public, de certains insectes,
des lieux fermés… C’est généralement normal ! Mais quand ces peurs
envahissent la vie quotidienne et altèrent les relations aux autres, on
parle alors de phobies. Pour vivre normalement, il est cependant possible de
trouver une aide.
Quand certaines peurs envahissent la vie quotidienne et altère les relations
aux autres,
on parle de phobies .
"Je souffre d’agoraphobie (phobie des espaces publics et/ou de la foule)
depuis 20 ans. Ca a commencé par des vertiges au supermarché. Je pensais
d’abord que j’avais une «mauvaise faim», mais même en grignotant quelque
chose, cela ne disparaissait pas. Puis les malaises sont apparus quand je
prenais les transports en commun, puis dans la rue. J’ai alors décidé de
consulter un médecin. Mon généraliste m’a prescrit une cure de magnésium, en
me conseillant de manger davantage le matin : traitement inutile. J’ai
consulté alors un neurologue, craignant une maladie au cerveau. J’ai passé
différents tests et examens, mais là non plus, rien ! Je suis sortie aussi
avec une prescription de magnésium et de calcium mais la cure terminée, rien
n’avait changé ! Pire : les crises d’angoisse étaient de plus en plus fortes
et fréquentes, au point que j’évitais de prendre les transports en commun et
d’aller dans les lieux publics… Comme l’angoisse provoquait des
palpitations, j’ai consulté un cardiologue qui, après différents examens,
m’a rassurée sur l’état de mon cœur. Je n’avais donc toujours aucune
explication. Une amie m’a conseillée de consulter son médecin. De chez lui,
c’est avec une prescription d’antidépresseurs et un congé de maladie que je
suis sortie ! Et la situation empirait encore : je ne voulais même plus
sortir, avec des attaques de panique jusque dans mon lit ! Quand j’ai repris
le travail, j’étais épuisée de devoir constamment aller pleurer dans un coin
et me passer de l’eau sur le visage pour reprendre mes esprits.»
Peur ou phobie ?
Ce témoignage montre à quel point les phobies peuvent envahir la vie de tous
les jours et être encore mal diagnostiquées. «Deux mécanismes différencient
la phobie de la simple peur, même intense», explique le Professeur Alain
Luts, psychiatre, directeur de la clinique des Troubles anxieux aux
Cliniques St-Luc à Bruxelles. «Tout d’abord, l’évitement : la personne
phobique trouve tous les moyens et subterfuges pour éviter la situation qui
la terrorise. Ensuite, les mesures dites «contraphobiques» : cette personne
osera contrer l’objet de ses angoisses avec l’aide d’une personne de
confiance. Par exemple, la personne qui a une peur phobique de la foule,
mais qui acceptera d’affronter un centre commercial bondé si elle est
accompagnée».
Autre spécificité : la phobie est incontrôlable… En effet, les personnes
phobiques savent pertinemment que leurs angoisses sont disproportionnées :
ceux qui n’osent plus monter en avion savent que c’est le moyen de transport
le moins meurtrier; les «arachnophobiques» savent que les araignées de chez
nous sont inoffensives. Mais ces arguments rationnels ne les rassurent pas.
Dans certains cas, les personnes phobiques seraient les victimes
impuissantes d’un dérèglement du mécanisme primaire - et nécessaire - de la
peur : l’amygdale, une petite glande du cerveau en forme d’amande chargée de
donner l’alerte en cas de danger, réagit trop promptement. Dans d’autre cas,
comme l’agoraphobie, par exemple, le système qui permet à l’individu de
s’orienter dans l’espace serait lui aussi perturbé, selon le
neurophysiologiste Alain Berthoz. «Sur une route en rase campagne,
l’agoraphobe panique par manque de points de repères», estime ce professeur
du Collège de France. Cependant, ceci relève de suppositions, car les
mécanismes impliqués dans la phobie sont méconnus.
Cool hier,
phobique aujourd’hui !
Comme le montre aussi le témoignage ci-dessus, la phobie peut apparaître à
tout moment, sournoisement. «Une phobie peut apparaître sans que l’on s’y
attende et s’emballer. Cela peut naître d’une situation traumatisante, ou
ressentie comme humiliante, soit d’un état d’anxiété fort. Elle peut aussi
disparaître avec le temps, et revenir ensuite… Par exemple, on rencontre des
étudiants dont les phobies s’accentuent au moment du blocus, puis
s’estompent après la fin des examens», poursuit le Pr Luts.
Lorsque la personne vit pour la première fois ses symptômes phobiques, elle
ne l’identifie pas nécessairement : «Le cœur s’emballe; on transpire; on a
la tête qui tourne; on a des nausées, le souffle coupé, une ‘boule’ dans la
gorge, les jambes qui flanchent… Lorsque la personne y est confrontée pour
la première fois, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Comme elle ne fait
pas tout de suite le lien avec la situation dans laquelle se déclenchent ces
symptômes, elle peut consulter plusieurs spécialistes qui sont souvent
incapables d’identifier leurs phobies», renchérit le Pr Luts, qui prône une
plus grande attention de la part des spécialistes à ce qui n’est pas une
simple maladie imaginaire…
Se confronter à la réalitéLorsque la phobie est identifiée, reconnue, il existe un moyen simple pour
empêcher la peur de dicter sa loi : se confronter à la situation redoutée,
le plus tôt possible. L’éviter est un mauvais réflexe, qui conduit au fil du
temps à la phobie. A ce stade extrême de la peur, ce sont les thérapies
cognitives et comportementales - les TCC - qui donnent les meilleurs
résultats, permettant un retour plus rapide à la vie normale. Il s’agit
d’une arme parmi d’autres dans l’arsenal thérapeutique de la clinique des
troubles anxieux.
Le Pr Luts décrit les options thérapeutiques possibles pour aider les
patients atteints de phobies, qui viennent consulter parce qu’ils n’en
supportent plus les implications dans leur vie quotidienne :
«Lorsque les
phobies sont dites simples, c’est-à-dire sans attaque de panique, nous
proposons une psychothérapie seule. Par contre, pour les phobies sociales,
par exemple, nous combinons les psychothérapies avec des traitements
médicamenteux : des bêtabloquants pour des peurs ponctuelles qui se
présentent dans des situations sociales, ou des antidépresseurs pour des
peurs plus régulières». Et d’enchaîner :
«La psychothérapie peut être
analytique, donc de plus longue haleine, pour comprendre d’où vient cette
phobie, car ces symptômes ont un sens et une fonction. Mais le plus souvent,
elle est comportementale et donc s’attaquera davantage non pas à comprendre,
mais à faire disparaître la phobie. Cela passe très souvent par la
confrontation de la personne à la situation qui provoque la phobie». Le
principe des TCC consiste en effet à désensibiliser le patient par rapport à
la situation redoutée, notamment par la réalité virtuelle. Le thérapeute l’y
confronte donc progressivement, comme l’allergologue administre des doses
croissantes de pollen au malade pour y accoutumer son organisme.
Avec ces traitements, le Pr Luts et son équipe approchent des taux de
réussite que l’on retrouve ailleurs : entre 70 et 80% de patients phobiques
parviennent, après traitement, à gérer la situation.
Carine Maillard
Qui sont les phobiques? |
En Belgique, nous ne disposons pas de chiffres de prévalence, mais en
Allemagne, 20% de la population avoue avoir une peur phobique des araignées
et selon la littérature anglo-saxonne, 8% de la population souffrirait de
phobie sociale, cette peur panique de se retrouver face à un public, réel
(comme lors d’une présentation devant des gens) ou supposé (celui qui pense
qu’au restaurant, tout le monde le regarde manger).
«Par ailleurs, en général les femmes sont deux fois plus touchées que les
hommes par les phobies, excepté pour la peur du sang ou des injections où
les hommes sont aussi nombreux que les femmes», explique le Pr Luts. A cette
différence des genres, point d’explication, mais des suppositions, comme une
piste génétique ou hormonale. Il faut dire que les phobies n’intéressent les
chercheurs que depuis peu…
Les personnalités les plus équilibrées peuvent basculer dans la phobie à la
suite d’un événement traumatisant, générateur d’anxiété. Par exemple, un
conducteur est incapable de reprendre le volant après un accident de
voiture. Il y a aussi les phobies liées au travail, comme des infirmières
qui développent une phobie du sang.
Chez les enfants, la phobie sociale peut être à l’origine d’un décrochage
scolaire; il faut donc s’y intéresser au plus tôt ! |
Quelles peurs
phobiques ?
Une étude française a établi une sorte de recensement des principales
phobies.
1. Les animaux et insectes : araignées, souris, serpents mais aussi oiseaux,
chats, chiens et chevaux,
2. le vide et les hauteurs,
3. les piqûres,
4. l’enfermement (claustrophobie),
5. l’eau,
6. la solitude,
7. les orages,
8. le jugement des autres (phobie sociale),
9. la foule et les grands espaces déserts (agoraphobie).
|
|