Maladies
(21 octobre 2010)
“Voyage
au pays du cancer”
D'abord, elle a
choisi le titre. C'est avec lui qu'elle a toujours commencé ses récits.
“Ce n'était rien, c'est devenu tout! Voyage au pays du cancer”
sera l'amorce du récit qu’elle entame, le dernier peut-être. Ensuite,
derrière l'en-tête, les épisodes s'enchaîneront au pays des traitements,
des mots savants, au pays des amitiés fortes, du combat, des
dénonciations, des gris-gris en tout genre…
Le récit commence par cette simple phrase:
“je
sais juste qu'il faut que je vous écrive”. Chantal Myttenaere est
auteure. Son premier livre date de près de trente ans déjà
(1). Nouvelles, romans, pièces de théâtre, films, ateliers créatifs,
elle fait œuvre d'éclectique, du haut de ses 57 ans. Mais ici le récit
prend une dimension encore plus particulière. L'urgence le guide.
L'intime le nourrit sans détours. Les tas de feuillets raturés,
torturés, triés d'habitude lors de l'écriture, ne sont plus de mise. En
direct, sur le clavier de l'ordinateur, elle écrit. Elle ne sait si elle
pourra terminer, si elle pourra mettre un point final - ou tout autre
ponctuation - à ce témoignage, “petite pierre à l'édifice pour dire
le combat contre la maladie”. Finalement, après le dernier mot, on
lira un point d'exclamation.
Impertinente rébellion
En plein traitement de
chimiothérapie, Chantal Myttenaere débute ce livre. Elle raconte ses
allers-retours à “la boutique”, nom qu'elle donne à l'hôpital
bruxellois où elle rencontre Dame pneumo, avec qui le courant ne passe
guère, Venus de Willendorf, autre oncologue qui lui aura donné envie de
se battre, mais qui devra la quitter, des malades en errance, des
stagiaires gaffeurs et moralisateurs pour la fumeuse invétérée qu’elle
est… Sans concession, elle raconte.
Comme saucissonnée par
tranches d'organe voire de partie d'organes, comme cachée aux yeux de la
médecine derrière des marqueurs de maladies, derrière des taux, des
mesures de souffrance, elle se fait rebelle, insurgée. Elle veut
“maintenir le guet”, “résister”, pour ne pas avaler – au sens propre
comme au sens figuré – n'importe quoi. Elle s'évade du “laboratoire
vivant”, établit des “plans de cavale”, sans pour autant fuir
la réalité. Elle affronte les nouvelles peu réjouissantes, les examens
douloureux parfois à l'extrême. Elle questionne les experts pour
comprendre ce qu'ils prescrivent, ce qu'ils diagnostiquent. Elle
s'interroge: “La logique de survie a-t-elle encore un sens?” Elle
“oscille”, elle “tangue”, parfois “s'empêtre” dans
la “valse du cancer”, dans ces “pas de danse entre doute et
espoir, entre crainte et vigueur”. Elle se bat pour être respectée,
secoue pour que d'autres le soient à l'avenir.
Sur un cahier, elle note
lors de ses visites à “la boutique”. Comme on dresse un écran
entre soi et l'horreur. Comme on s'accroche à une “bouée pour ne pas
échouer sur un récif tranchant”. Et les mots disent toute l'opacité
de la science, tout l'imaginaire drainé par l'inconnu, tous les lapsus
qui teintent aux oreilles du cancéreux. Tu-meur, expirer, temps mort…
résonnent comme des couperets. IVG se traduit par insuffisance
ventriculaire gauche, et IRM n'a plus rien à voir avec la météorologie
mais relève de la résonance magnétique. Quand on lui demande sa date de
décès, à la place de sa date de naissance, quand on lui parle de
l'autopsie à subir, pensant évoquer une biopsie… l'humour fait
heureusement son office. Parfois cinglant, il ne semble pas lui manquer.
Sans doute même, le cultive-t-elle car, comme lui a écrit un proche:
“L'humour dans le malheur, c'est comme les essuies-glaces, ça n'arrête
pas la pluie mais ça permet d'avancer”.
L’amitié fait barrage
Les écrits de ses
proches, sa “barrière de corail”, viennent soutenir sa lutte. Et
jalonnent son texte. Par petites bribes, ils disent la force de l'amour,
la fragilité de l'humain, l'attachement et ses signes, les peurs aussi,
les créativités débridées. “Je prie Sainte Rita, j'enlace un chêne,
je prends ma petite patte de lapin, je brûle milles chandelles…”:
chacun y va de son remède, de sa marque d'attention, de son commentaire.
Les gouttes d'arbre à thé et le Dafalganâ se conjuguent, “des idées
folles aux raisonnables”. Ensemble, en barrière de corail, ils
apprennent à “regarder venir la mort”. “Comment aurais-je jamais pu,
sans la maladie, imaginer autant d'humanité et de solidarité?”, écrit
émue celle qui dit avoir été sans doute éduquée à l'amitié, consciente
très jeune de l'importance d'entretenir ces liens.
Mais, “Il nous faut
mourir un jour, écrit-elle dans les dernières pages de son récit (…)
La différence entre ce savoir toujours chassé et repoussé dans un
coin sombre de notre être et la maladie, c'est la signature de la mort
dans un corps cancéreux, une trace indélébile inscrite dans un temps
certain et qui ne peut être relégué dans un autre coin, fût-il le plus
sombre qui soit.” Elle avait un pronostic de vie de six mois. Elle
est toujours là.
// Catherine Daloze
>> Chantal Myttenaere,
“Ce n’était rien, c’est devenu tout ! Voyage au pays du cancer”,
Les
éditions de l’Hèbe, 2010, 200 p.
En vente en librairie et auprès de l’éditeur –
www.lhebe.ch
– Prix : 18 EUR + frais de port.
(1) “L'Ancre de Chine” vient d'être réédité aux éditions
De l'Hèbe. Vendu à plus de dix mille exemplaires, dans sa première
édition, le livre raconte le parcours de la grand-mère de l'auteure,
“une vie peu commune, un destin exceptionnel, entre grandeur et
décadence”.
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