Maladies : La
fibromyalgie
(21 octobre 2010)
Une maladie invisible, des douleurs réelles
Bien
que faisant beaucoup parler d’elle, la fibromyalgie reste encore mal
connue, voire incomprise. Contrairement aux idées reçues, il est
possible de traiter cette affection complexe et d’améliorer la qualité
de vie des patients.
A
65 ans, Annie est aujourd’hui pensionnée.
Il y a 15
ans, le diagnostic de la fibromyalgie est tombé. “Je souffrais depuis
de longues années déjà de douleurs partout dans le corps mais au
fil du temps, cela devenait de plus en plus dense et difficile à
supporter, témoigne Annie. Je travaillais comme femme de ménage
en hôpital et je mordais sur ma chique. Mais à un certain moment, je
n’ai plus pu faire face et je suis passée à mi-temps. C’était encore
trop et je suis finalement tombée en incapacité de travail complète. Au
début, mon médecin me disait que c’était dans ma tête car il ne trouvait
aucune lésion ni infection. J’ai eu l’occasion de lire un article sur la
fibromyalgie qui m’a interpellée. J’ai alors consulté un rhumatologue
qui a pris mes problèmes au sérieux et posé le diagnostic après divers
examens. Avec le recul, je pense que le décès de mon mari a révélé et
amplifié la maladie qui s’annonçait. Depuis, j’ai appris à vivre avec
elle, c’est-à-dire au jour le jour, en me ménageant, car on ne sait
jamais comment on se sentira le lendemain, voire l’heure qui suit”.
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©
SMarc Detiffe |
L’histoire de
Valérie est différente : son médecin généraliste a assez vite
suspecté une fibromyalgie sous le faisceau de divers symptômes.
Cette jeune maman, puéricultrice hyper-dynamique, a commencé à
ressentir des douleurs au cou, aux bras et aux épaules, il y a deux
ans. S’en sont suivis des consultations chez des spécialistes et de
nombreux examens pour exclure certaines pathologies comme
l’arthrose, l’ostéoporose. Quand le diagnostic a été confirmé par le
rhumatologue, Valérie s’est effondrée. Elle connait la maladie car
sa maman en souffre aussi, depuis de très nombreuses années.
“C’est terrible de me dire qu’à mon âge, je ne peux plus être active
comme je voudrais. Depuis toute petite, je suis épileptique mais
j’ai toujours essayé de mener une vie normale. Sans doute ai-je trop
tiré sur la corde. Mon corps a dit stop. Il me fait souffrir en
permanence”.
Des symptômes multiples
La fibromyalgie
affecte entre 2 et 3% de la population, dont une majorité de femmes
(70 à 80% des cas), principalement entre 35 et 45 ans. Elle est
caractérisée par des douleurs musculo-squelettiques diffuses dans tout
le corps et par une fatigabilité accrue à l’effort. Ainsi, certains
jours, une activité comme monter les escaliers, peut paraître quasi
insurmontable.
A ces douleurs
chroniques, fluctuantes en intensité et en localisation, s’ajoutent
d’autres troubles : sommeil non réparateur, raideurs musculaires -
surtout au lever et après une station prolongée assise ou debout –,
troubles digestifs ou urinaires... Citons aussi des maux de tête, des
troubles de l’attention et de la mémoire, de l’anxiété et une plus
grande sensibilité au bruit, à la lumière, au froid et à l’humidité…
Tous les patients ne
présentent pas l’ensemble des symptômes que l’on vient de décrire. Ils
peuvent, par ailleurs, en souffrir à des degrés très divers, même si la
fibromyalgie n’est pas une maladie évolutive au sens premier du terme.
Un diagnostic difficile
“Si le médecin
traitant suspecte chez un patient la fibromyalgie à partir de signes
cliniques, il faut que le diagnostic soit confirmé par un spécialiste
(ndlr : rhumatologue, spécialiste en médecine physique, neurologue,
interniste…) qui connaît bien ce syndrome(1),
affirme le Dr Etienne Masquelier, spécialiste en médecin physique et
réadaptation aux Cliniques universitaires de St-Luc et de Mont-Godinne(2).
Autant la fibromyalgie a été sous-diagnostiquée, autant il faut
éviter qu’elle soit sur-diagnostiquée”.
Le spécialiste
établira son diagnostic sur base de plusieurs critères combinés :
l’histoire personnelle et familiale du patient, l’examen clinique de 18
points sensibles sur le corps (établi par le Collège américain de
rhumatologie), l’analyse des symptômes associés, des examens médicaux,
des tests d’endurance et d’effort…
“Poser un
diagnostic différentiel prend nécessairement du temps, plaide le Dr
Masquelier. Bien entendu, il est important de pouvoir écarter
l’éventualité d’autres affections organiques mais à l’inverse,
l’existence d’une maladie associée comme une hyperthyroïdie, une
dépression ou une sclérose en plaque ne doit pas exclure un diagnostic
de fibromyalgie. Ce syndrome devrait être diagnostiqué par ses
caractéristiques propres et non par exclusion de toutes les pathologies
possibles.”
Une cascade d’évènements
La fibromyalgie est
une affection complexe aux causes multiples. Malgré qu’elle soit
loin d’être cernée, il existe de plus en plus d’arguments scientifiques
suggérant l’existence de perturbations du système nerveux central
(notamment en ce qui concerne la gestion du stress et la perception de
la douleur), du système immunitaire et du système hormonal.
Le plus souvent, la
fibromyalgie débute par une douleur localisée et persistante (par
exemple une lombalgie) qui s’étend progressivement dans tout le corps.
Le syndrome peut parfois se déclencher après une infection
(mononucléose, grippe...), un choc physique ou musculaire (accident,
accouchement...) ou un stress émotionnel aigu (deuil, perte d’un
emploi...).
Des facteurs
génétiques, la vulnérabilité psychosociale, le sexe, le stress,
paraissent des facteurs prédisposants. Les traits de caractère
semblent également jouer un rôle. “La fibromyalgie apparait souvent
chez des personnes perfectionnistes, très exigeantes avec elles-mêmes,
hyperactives, multitâches, constate le Dr Masquelier. Cela
pourrait expliquer que la maladie atteint plus de femmes que d’hommes,
surtout à une période de la vie où les charges sont les plus lourdes”.
“Chez certaines
personnes, le mécanisme de gestion du stress, vulnérable par nature,
serait déséquilibré avec, comme conséquence, l’apparition de symptômes
de douleurs diffuses et/ou de fatigue chronique”, avance de son côté
le Professeur Boudewijn Van Houdenhove, chef de clinique de psychiatrie
de liaison, UZ Gasthuisberg, KUL.
Traitements et qualité de vie
Même si l’on ne peut
parler de guérison à proprement parler, la fibromyalgie peut être
traitée, et la qualité de vie des patients améliorée grâce à une
prise en charge précoce et multidisciplinaire. Les médicaments, la
rééducation physique (kinésithérapie) et l’accompagnement
psycho-éducatif pour gérer la douleur et adapter sa façon de vie sont
les trois axes indissociables du traitement. “L’aspect thérapeutique
est un véritable challenge. Il y a des moments de découragement, de
frustration mais il faut établir avec le patient des buts réalistes,
explique le Dr Masquelier. L’information et les conseils éducatifs
sont très importants pour aider la personne à comprendre sa maladie, à
gérer la douleur et à prendre conscience que les différents symptômes
nécessitent des changements de valeurs et une adaptation progressive du
mode de vie plutôt que des réponses thérapeutiques ponctuelles”. Il
s’agit en quelque sorte, par des thérapies cognitivo-comportementales,
d’apprendre à vivre autrement, à mettre des limites, à réorganiser son
quotidien.
La plupart du temps,
les douleurs incitent le patient à bouger de moins en moins, ce qui ne
fait que dégrader sa santé. Rester en mouvement et pratiquer des
activités physiques douces est donc indispensable pour améliorer sa
qualité de vie. D’où la recommandation de suivre, sous les conseils d’un
kinésithérapeute, un programme de rééducation physique qui comporte des
exercices d’endurance et de renforcement, des étirements doux, de la
relaxation, de l’hydrothérapie…
La prescription de
médicaments (antalgiques, antidépresseurs, antiépileptiques) se fera au
cas par cas. Certains patients ont une bonne capacité d’adaptation,
d’autres sont très invalidés ou en très grande souffrance psychologique.
“Un pourcentage élevé de patients sont réfractaires aux médicaments
et cherchent par d’autres moyens à faire face à leurs souffrances,
constate le Dr Masquelier. A l’inverse, hélas, d’autres sont fortement
dépendants des médicaments. Les corticoïdes, anxiolytiques et opiacés
majeurs sont en tout cas à éviter”.
Mobiliser toutes les ressources
Accepter le
caractère chronique de la maladie est la première chose à faire. Cela
demande du temps et nécessite un soutien psychologique qui peut
notamment être trouvé dans des groupes de parole. “Si la douleur et
la fatigue ne me quittent plus depuis des années, du moins, j’ai appris
à l’apprivoiser et à l’intégrer dans mon quotidien, témoigne Dominique.
Quand le corps ne suit plus, il est impossible de conserver toutes ses
habitudes. J’ai donc dû accepter mes limites et découvrir de nouvelles
manières de me réaliser. Je prends appui sur mes ressources. Je ne
néglige aucune piste qui pourrait me faire du bien : techniques de
détente et de relaxation, kinésithérapie, acupuncture, massages,
exercices physiques doux, bains calmants, flottaison... J’ai aussi
repensé mon mode de fonctionnement pour mieux planifier les activités,
gérer mon temps, prévenir les situations de stress”.
Comme Dominique,
Karine a également bien compris que c’est tout un ensemble de choses qui
lui permettent de s’en sortir, d’avancer, même si, souvent, elle
traverse des moments difficiles : soutien psychologique, suivi médical
et paramédical régulier, activités physiques modérées mais régulières,
soutien des proches... “Je suis très à l’écoute de mon corps et
veille à alterner les périodes d’activité et de repos de manière la plus
harmonieuse possible. J’ai repris mon travail de formatrice mais j’ai dû
abandonner mon temps plein pour un mi-temps que je preste
essentiellement en matinée. Je me rends compte que ce rythme est encore
trop fatigant et je vais demander si je peux commencer plus tard le
matin pour pouvoir pratiquer mes exercices physiques et étirements avant
d’aller au travail. J’en ai vraiment besoin et au retour, en général, je
m’effondre de sommeil…”
Retrouver un équilibre
Sur le plan
familial, il est important que l’entourage comprenne la maladie,
soutienne la personne et l’encourage, au-delà de la plainte et de la
douleur, à exister en dehors de la maladie. Sur le plan professionnel,
la fibromyalgie n’empêche pas nécessairement le maintien d’une activité
totale ou partielle. Tout dépend bien entendu de la situation de la
personne et des possibilités d’adaptation du milieu du travail. Pour ce
qui concerne la vie sociale, la plupart des patients donnent l’image de
mener une vie quasi normale en adaptant leurs activités. La maladie
impose cependant certains renoncements, comme différer une sortie ou
recevoir des amis. Elle implique également de prévoir des temps de repos
pour bien recharger ses batteries.
On l’a bien
compris : apprendre à gérer le quotidien et adapter son mode de vie est
indispensable pour faire face aux différents symptômes de la
fibromyalgie. Le patient qui s’y engage activement se donne les
meilleures chances de retrouver une vie de qualité.
// Joëlle Delvaux
(1) On parle plus d’un syndrome que d’une maladie au
sens médical du terme car il s’agit d’un ensemble de symptômes dont les
causes sont multiples.
(2) Le Dr Masquelier donnera une conférence sur le thème
de la recherche sur la fibromyalgie le samedi 13 novembre à Namur. (voir
infos dans la rubrique “ça se passe” en p.16)
Un manque de reconnaissance ?
Beaucoup de patients souffrant de fibromylagie témoignent du manque de
compréhension, de l’incrédulité, voire de jugements négatifs dont ils
sont victimes, y compris dans le milieu médical :
“Mon médecin ne me croit pas ou me dit que j’exagère, que je dois
arrêter de m’écouter et de me plaindre”. “Avec mes proches, je me sens
toujours obligée de me justifier sur ce que je fais ou ne fais pas”.
“Les gens ne réalisent pas combien il m’en coûte parfois d’être tout
simplement là, souriante et disponible”. “Mes collègues disent que je
suis tout simplement dépressive et fragile et que je m’invente une
maladie”.
La fibromyalgie est
pourtant un syndrome reconnu par l'OMS depuis 1992, dont la
prévalence est mondiale, toutes couches sociales confondues. “Ce
syndrome clinique hétérogène existe probablement depuis toujours mais
n’était pas diagnostiqué, explique le Pr Masquelier. Bien entendu, les
critères des points douloureux sont imparfaits et doivent être
améliorés. Mais il existe un consensus international avec des preuves
croissantes de légitimité. Malgré tout, la fibromyalgie passe toujours
aux yeux de certains pour une pathologie purement psychosomatique
exprimant un mal-être. Elle reste d’ailleurs présentée de manière
caricaturale et stigmatisante dans le cursus des facultés de médecine”,
regrette le Dr Masquelier.
Par ailleurs, depuis
plusieurs années, la fibromyalgie est reconnue comme maladie par l’INAMI.
A ce titre, elle fait l’objet d’une prise en charge spécifique par
l’assurance obligatoire en soins de santé. Nombre accru de séances de
kinésithérapie remboursées, prise en charge globale et
pluridisciplinaire dans les centres de la douleur chronique,
remboursement partiel de certains analgésiques et développement de la
prise en charge spécifique dans de nombreux hôpitaux…
“Toutes ces
avancées sont incontestables et on ne peut que s’en réjouir, lance
Béatrice Le Paige, Vice-Présidente de l’asbl Focus FibromyalgieBelgique(1).
Elles n’ont pourtant pas grand-chose à voir avec la manière dont les
personnes atteintes de ce syndrome invisible se sentent reconnues par
leur entourage. Par ailleurs, le handicap et l’incapacité de travail qui
découlent de la maladie ne sont pas suffisamment reconnus dans le monde
médical. Il faut tenir compte du fait que certaines personnes
fibromyalgiques arrivent, moins bien que d’autres, à gérer leurs
problèmes en raison d’un handicap modéré ou sévère”.
// JD
(1) Asbl Focus Fibromyalgie – 060/37.88.58. -
www.focusfibromyalgie.be
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