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Femmes (18 novembre 2010)

 

Reportage à Bruxelles

Christophe Smets, photographe, et Céline Gautier, journaliste, donnent à découvrir 25 portraits de femmes confrontées à la pauvreté dans une exposition intitulée “Regards sur la pauvreté de femmes”. Chaque portrait est accompagné par l’image d’un objet choisi par la personne photographiée et d’un texte évoquant ses rêves, ses envies, les choses qui lui tiennent à cœur. Loin d’un misérabilisme ou sensationnalisme déplacé, les portraits sont empreints de beaucoup de dignité et de pudeur, décrivant avec une sensibilité toute en retenue une réalité ténue, perceptible à quelques détails infimes. L’exposition propose des rencontres pleines d’humanité grâce à une photographie sociale, engagée et militante. Morceaux choisis...

 

Regards sur la pauvreté des femmes

© Christophe Smets
2010 est l’Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.La Belgique s’est fermement engagée à faire de ce combat l’une des priorités majeures de sa présidence de l’Union. Depuis des mois, des chiffres hallucinants défilent sous nos yeux : à Bruxelles, près de 30% de la population n’a pas de revenus suffisants pour vivre dignement. On parle de “risque de pauvreté” car la réalité ne peut se mesurer plus précisément. Toutes les études se rejoignent également pour souligner que la pauvreté touche principalement les femmes, confrontées plus encore que les hommes au chômage, au travail partiel ou précaire, aux pensions minimales, aux charges de famille…

Nous avons voulu aller au-delà de ces chiffres et de ces études quantitatives. Pendant des mois, nous avons poussé les portes des maisons d’accueil, des refuges d’urgence, des restaurants sociaux. Nous nous sommes arrêtés dans les parcs et dans les gares. Nous avons rencontré des dizaines de femmes, des petites dames âgées aux fins de mois difficiles aussi bien que des sans-abris qui luttent pour offrir un toit à leurs enfants – la précarité “ordinaire” des grandes villes autant que l’extrême pauvreté(1).

Une vingtaine d’entre elles ont accepté de témoigner à visage découvert, de faire entendre leur voix et d’être prises en photo. Elles nous ont parlé de la difficulté à trouver un logement, même insalubre, quand on n’a pas de revenus fixes, des listes d’attentes pour les appartements sociaux, des frais médicaux qui engloutissent tout, mais aussi, de la santé, mentale et physique, souvent fragile, quand on manque du nécessaire. A chacune d’entre elles, nous avons également demandé ce qui était cher à ses yeux. Qu’est-ce qui a encore de la valeur quand on n’a presque rien? Elles nous ont présenté leur trésor : un bébé, un carnet de notes, la photo d’un père, un objet qui ne vaut rien mais qui parle au cœur, un sac vide, un symbole. Voilà leur luxe. Des morceaux de vie.

 

La rue plutôt que l’hôpital psychiatrique

Fatiha, 29 ans, nous donne rendez-vous en rue. Chez elle. Dans l’un des sacs plastiques qu’elle emporte partout, se trouve son objet le plus précieux au monde : “La seule chose qui a de l’importance pour moi, c’est une carte postale que j’ai reçue de mon ami Michel. C’est un homme de 64 ans que j’ai rencontré une nuit, dans la rue. J’ai d’abord cru qu’il voulait me violer, j’étais sur la défensive, mais il voulait juste savoir si tout allait bien. On a sympathisé. Depuis deux ans, il me soutient, moralement et financièrement. Il m’a payé un GSM pour que je puisse l’appeler en cas de problème. Régulièrement, il vient à Bruxelles et m’emmène dans un magasin pour que j’achète quelque chose à manger. Qui peut croire que ça existe encore une telle gentillesse?” Fatiha a fui ses parents, inquiets pour sa santé. “J’avais perdu 15 kilos. Le médecin parlait d’anorexie. Je ne voulais pas en entendre parler. J’ai préféré vivre dans la rue plutôt que de retourner dans un hôpital psychiatrique. Maintenant, j’ouvre les yeux. C’est dur d’accepter qu’on a un problème, de faire un travail sur soi.”

Aujourd’hui, Fatiha remonte la pente, se reconstruit socialement grâce aux associations de terrain qui organisent des repas, des visites, des sorties. Elle rêve de se sentir mieux dans son corps, de retravailler un jour, d’avoir un appartement. “Mais je dois y aller pas à pas, sinon, je vais m’effondrer à nouveau.”

 

L’essentiel est là : l’amour

Christiane n’a malheureusement pas cet optimisme à partager. Elle nous ouvre à grande peine la porte d’un appartement miteux de Schaerbeek, où il n’y a ni chauffage ni eau chaude. Christiane peut à peine marcher. Elle nous laisse regarder, dans la vitrine, une vieille photo noir et blanc d’un jeune guitariste. Son père. “Le jour où il a fermé les yeux, à l’âge de 40 ans, ma mère m’a obligée à me marier pour quitter la maison. Je n’avais que 15 ans. J’étais le canard boiteux, l’handicapée. J’ai vécu l’enfer, les coups, je ne vous raconte pas... Je me suis enfuie.” Toute l’histoire de Christiane est un cri de désespoir. “Je suis gravement malade. Mes médicaments me coûtent 300 euros par mois. Je ne peux plus me soigner et je n’ose pas imaginer comment survivre encore un hiver dans cet appartement. Heureusement que Monsieur est là…” L’homme dont elle parle est son nouveau compagnon, un musicien turc qui a connu son heure de gloire. Passionnée de musique orientale et de langue turque, Christiane l’a vu un jour à la télévision et a juré qu’elle l’épouserait. Une improbable rencontre s’est produite, bien plus tard. L’homme s’est ému du sort de la jeune femme et s’est engagé à l’aider, sans savoir qu’il allait lui aussi s’enfoncer dans les soucis financiers et administratifs et les problèmes de santé. Aujourd’hui,  il partage la vie et les galères de Christiane. “Il a voulu me sauver mais on s’enfonce ensemble.” Dans ce sombre tableau, un instant de pur bonheur : dans la pièce à côté, le musicien bienveillant met un CD dans le lecteur. C’est sa plus belle chanson, un hymne d’amour qui emplit tout l’immeuble. Le cœur de Christiane se réchauffe. “C’est magnifique.” L’un et l’autre ne peuvent plus s’arrêter d’écouter, de chanter, de partager cette passion. Christiane s’accroche à ce qu’elle a de plus précieux : “Je n’ai plus rien, si ce n’est sa compagnie, sa musique, ses sentiments. C’est l’essentiel.”

 

Vivre la précarité dans son corps

“J’ai commencé à écrire des lettres, parce que j’étais trop essoufflée pour parler. Puis, je suis passée aux carnets intimes, aux poèmes. Ce stylo me suit partout.” Habiba est née en mauvaise santé. Elle est tombée gravement malade, sérieusement pauvre. Elle venait de perdre son travail. “Avec l’accumulation des factures de gaz, d’électricité, les médicaments…, j’ai commencé à devoir faire des choix : me soigner ou m’alimenter. Les sorties, les moments de bien-être, ce n’était plus envisageable. Or, s’offrir un cinéma ou un restaurant, ce sont des choses qui permettent de sortir un peu de chez soi, de prendre l’air, de rencontrer des gens… Alors, j’ai fréquenté des associations, pour participer à des repas, des sorties.”

A l’époque, Habiba vit dans un appartement au deuxième étage, plein d’humidité, ce qui est totalement contre-indiqué vu son état. Trouver un logement adapté à ses besoins ? Un parcours du combattant. “Tout ce qui était adapté à mon handicap, soit c’était beaucoup trop cher, soit on me le refusait car je n’avais pas de contrat de travail. Aujourd'hui, j’ai la tête hors de l’eau mais je reste précarisée par ma santé.” Habiba parle d’une voie claire et posée, de ceux qui réfléchissent beaucoup. “J’ai fait des études d’assistante sociale, j’ai de l’expérience professionnelle et une formation complémentaire en sophrologie. J’ai des cartes en mains mais, pour le moment, je ne peux pas les utiliser. Les forces physiques me manquent. Je réfléchis à des moyens de travailler de manière plus légère.” Dans son carnet, Habiba écrit : “La précarité, je la vis dans mon corps. Il faut faire de son corps le meilleur endroit.” Au fil des pages, des rêves de santé. 

// Céline Gautier

 

(1) Ce projet a reçu le soutien du Fonds pour le journalisme en Communauté française.

 

>> L’exposition “Regards sur la pauvreté des femmes” est accessible jusqu’au 30 novembre 2010 au CAL, Campus de la Plaine, accès 2 à 1050 Bruxelles, pendant les heures de bureau. Infos : 02/627.68.11 Elle sera accessible ensuite du 17 au 24 décembre, à l’Hôtel de ville de Saint-Gilles, Place Van Meenen, 39, 1060 Bruxelles. Infos : 02/536.02.11 Pour les lieux d’exposition ultérieurs, rendez-vous sur www.laboiteaimages.be/blog

 

Des risques de pauvreté

En Belgique, 15% de la population vit sous le seuil de “risque de pauvreté”, soit près d’1,6 million de personnes. Cela équivaut à la totalité des habitants de la Région de Bruxelles-Capitale, de la ville d’Anvers et de la ville de Liège réunis.

A Bruxelles, une personne sur trois vit sous ce seuil de “risque de pauvreté”. Le risque de pauvreté est plus élevé chez les femmes (15,8%) que chez les hommes (13,6%).

A Bruxelles, un bébé né dans un ménage sans revenu du travail a deux à trois fois plus de risque de décéder avant un an qu’un enfant né dans un ménage à deux revenus. Le risque de mort subite du nourrisson est cinq fois plus élevé.

Plus le niveau d’enseignement est faible, plus l’espérance de vie en bonne santé est réduite. A 25 ans, une femme ayant un diplôme de l’enseignement supérieur peut espérer vivre encore 47 ans en bonne santé. Celle qui a un diplôme d’enseignement primaire peut espérer vivre 29 ans en bonne santé, soit 18 ans de moins !

En Belgique, les personnes âgées ont un risque de pauvreté nettement plus important que dans le reste de l’Union européenne. Parmi les plus de 75 ans, presqu’une personne sur trois est en situation de pauvreté financière. Les pensions belges figurent parmi les plus basses des pays industrialisés.

Le “capital santé” des personnes vivant dans la pauvreté se détériore plus vite et plus tôt, ce qui les rend plus vulnérables aux maladies liées au vieillissement comme les maladies cardiaques ou l’ostéoporose pour les femmes.

Source : www.luttepauvrete.be

 


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