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Ethique (17 février 2011)

 

Naître handicapé :

un préjudice ?

Jusqu'ici, la justice considérait qu'une erreur de diagnostic n'était pas responsable de la naissance d'un enfant handicapé. Un jugement rendu récemment par la Cour d’appel de Bruxelles change la donne (1).

Le 21 septembre 2010, la Cour d’appel de Bruxelles estime qu’un enfant peut, par la voix de ses parents, réclamer réparation pour le préjudice d’être né handicapé après un diagnostic anténatal erroné. Autrement dit, il reconnaît comme légitime ce que le tribunal de 1ère instance de Bruxelles avait refusé aux parents de la petite Rukiyé, fillette trisomique lourdement handicapée,  l’erreur médicale ayant été clairement établie.

Certes, précise la Cour d’appel, “l’erreur de diagnostic n’a pas causé le handicap de l’enfant, qui préexistait à cette erreur et auquel il ne pouvait être remédié”. Aussi, “le dommage qui doit être indemnisé, n’est pas le handicap en tant que tel, mais le fait d’être né avec un pareil handicap (...) et devoir vivre handicapé alors que cette situation ne se serait pas réalisée si le diagnostic correct avait été posé.”(2)

En inscrivant dans le Code pénal l’autorisation de recourir à l’avortement thérapeutique, explique la Cour d’appel, “le législateur, a nécessairement voulu permettre d’éviter de donner la vie à des enfants atteints d’anomalies graves, en ayant égard, non seulement à l’intérêt de la mère, mais aussi à celui de l’enfant à naître lui-même”.  Autrement dit, le préjudice, désormais indemnisable de l’enfant handicapé, est indépendant du préjudice indemnisable des parents. 

 

Retour sur l’“affaire Perruche”

Cette décision rappelle évidemment l’affaire Perruche. L’arrêt, rendu par la Cour de cassation française en novembre 2000, posait également le principe de l’indemnisation des enfants handicapés à la suite d’une faute médicale ayant privé leur mère de la possibilité d’avorter.

En 1982, Mme Perruche, enceinte, pensait avoir contracté la rubéole. Le médecin de famille fait procéder à des tests. Une erreur du laboratoire la déclare immunisée contre la rubéole. Mais leur fils naît handicapé. Les parents se tournent alors vers la justice pour demander réparation en son nom et en leur nom. Le 17 novembre 2000, la Cour de cassation accorde réparation à l’enfant du préjudice résultant de son handicap, “dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire ont empêché sa mère d’interrompre sa grossesse”.

Ce jugement jeta un profond malaise dans le corps médical, divisa les juristes et souleva de nombreuses protestations dans la société civile. Des médecins soulignent l'aspiration croissante des parents à mettre au monde “un enfant parfait” et une forte demande d'interruptions médicales de grossesse en cas d'anomalie, même légère. Devant les risques juridiques, de nombreux échographes renoncèrent à leur activité au point de créer des difficultés d'accès au diagnostic anténatal de certaines franges de la population. De nombreux citoyens s’opposèrent à ce jugement, notamment les personnes handicapées et leurs proches, parce qu’elles estimaient, à tort ou à raison, que la Cour de cassation française avait admis, au moins  implicitement, que certaines vies ne vaudraient pas la peine d’être vécues.

Le 4 mars 2002, la loi dite “antiperruche”, met fin à ce débat et déclare: “Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.”

Mais selon les chercheurs français,  Danielle Moyse et Nicole Diederich (3), cette loi a surtout soulagé les praticiens du diagnostic prénatal  de la peur d'être convoqués devant les tribunaux pour des indemnisations si importantes "qu'elles en auraient peut-être rendu l'exercice inassurable et donc... impraticable à plus ou moins long terme".

Mais cette loi ne règle rien quant aux risques de dérive du diagnostic anténatal. Désormais, en France,  seul le handicap dû à une faute médicale (et non le handicap non diagnostiqué) peut donner lieu à réparation.

 

L’angoisse des parents

La jurisprudence internationale, malgré quelques exceptions, rejette généralement  l’action introduite par l’enfant, en réparation du préjudice lié à une malformation congénitale. En Belgique, la doctrine juridique est largement défavorable à l’idée que l’accession à la vie puisse être vue comme un préjudice  (excepté Mons 1993, Bruxelles 2004). Mais c’est la première fois, qu’une Cour d’appel accueille une telle action pour “vie préjudiciable”.

Au-delà des argumentations des juges, une bonne partie de l’opinion publique retiendra que désormais naître handicapé peut être reconnu comme un préjudice et qu’il peut être réparé par une action en justice et une indemnisation, dès lors que cette naissance aurait pu être évitée. Toutefois,  la logique de réparation a des limites, rappellent des associations de personnes handicapées. Il ne suffit pas d’indemniser. Il faut plus que jamais se donner les moyens d’organiser une société qui accueille, aide et intègre. Il ne faut pas confondre responsabilité civile et aide sociale. Derrière les recours en appel il y a l’angoisse de tous les parents d’enfants handicapés: Comment faire face aux soins et aux charges d’entretien et d’éducation que constitue le handicap? Qui prendra en charge ces enfants après le décès de leurs parents? Cette aide doit évidemment relever de la solidarité plus que du recours devant les tribunaux, sauf en cas manifeste d’erreur médicale!

Se posent encore de nombreuses autres questions essentielles. Un tel arrêt ne va-t-il pas à contribuer à un rejet déjà croissant du handicap? Ne favorise-t-il pas le développement d’un droit à “l’enfant parfait”? Ne conduit-il pas les patients à exiger une impossible obligation de résultat en gynécologie? Le véritable problème n’est-il pas dans la manière dont notre société accueille la personne handicapée?

// Christian Van Rompaey

(1) Voir le dossier de l’Institut européen de bioéthique (IEB) sur www.ieb-eib.org

(2) Revue générale des assurances et responsabilités (n°14675, Editions Larcier 2010).

(3) “Vers un droit à l’enfant normal ?”, Editions Eres, 214 p.


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