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Du droit à l’éthique

La naissance peut-elle être un préjudice ?

Un enfant né handicapé, à la suite d’une erreur de diagnostic prénatal, a t il le droit d’être indemnisé ? Telle est la question à laquelle vient de répondre, par l’affirmative, la haute juridiction française à la requête des parents de Nicolas Perruche, né en 1983.

Les parents avaient demandé réparation du fait que s’ils avaient été correctement informés des risques liés à la rubéole de la mère, ils auraient refusé de mettre l’enfant au monde.

E n 1982, enceinte et atteinte d’une rubéole, Josette Perruche demande à son médecin de vérifier si cette maladie peut être dangereuse pour l’enfant qu’elle porte. Si oui, elle annonce son intention d’avorter. Les analyses indiquent que la mère est immunisée. L’enfant naît en janvier 83. Très vite, apparaissent des troubles neurologiques graves, surdité, troubles de la vue et cardiopathie, des symptômes qu’une expertise attribue à la rubéole. Les parents assignent alors en justice le médecin et le laboratoire.

En janvier 92, le tribunal d’Évry reconnaît qu’il y a eu faute, les parents n’ayant pas été correctement informés. Il ordonne le versement d’indemnités. Toutefois, la cour d’appel de Paris, si elle confirme la réalité de la faute, conteste qu’il y ait préjudice indemnisable pour l’enfant : le handicap est la conséquence de la rubéole, transmise par sa mère. Médecin et laboratoire ne peuvent être la cause de la maladie.

Si la justice française a donc reconnu sans problème le préjudice des parents et condamné le médecin et le laboratoire à verser des dommages et intérêts, il n’en a pas été de même quand les parents ont porté plainte au nom de leur fils, réclamant pour lui des indemnités du fait qu’il était né handicapé alors que, bien informés, les parents auraient refusé sa naissance.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris est cependant cassé en 96 par la Cour de cassation qui estime, au contraire, que c’est bien la faute médicale qui est génératrice du dommage subi par l’enfant. L’affaire est alors renvoyée devant la cour d’appel d’Orléans qui refuse l’avis de la Cour de cassation. En 99, cette juridiction (dans un arrêt dit “de rébellion”) confirme le premier jugement de la cour d’appel de Paris et rejette toute possibilité d’indemniser l’enfant parce qu’un être humain n’est pas titulaire du droit “de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre”.

Les parents déposent alors un second recours car, pour eux, le lien entre la faute médicale et la rubéole est évident. Le jugement est prononcé le 17 novembre dernier. Il tient en quelques mots : “Attendu que… les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme P... avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues”.

Du droit à l’éthique

L’arrêt à peine rendu, celui-ci a été abondamment commenté en tous sens.

Une bonne partie de l’opinion publique, et, bien sûr, tout particulièrement les personnes handicapées et celles qui leur sont proches ont surtout retenu, au-delà des argumentations fines des juges, que désormais naître handicapé pouvait être reconnu comme un préjudice qui pouvait être réparé par une action en justice et une indemnisation. L’Avocat général Sainte-Rose résumait ainsi la question posée à la Cour : “Un enfant atteint d’un handicap congénital ou d’ordre génétique peut-il se plaindre d’être né infirme au lieu de n’être pas né ?” On assiste en effet, constate-t-il, “à la montée d’un contentieux indemnitaire lié à la naissance d’un enfant non désiré ou qui cesse de l’être car, en raison de son état de santé, il ne répond plus à l’attente de ses parents. Ceux-ci considèrent cette naissance, médicalement assistée, comme un préjudice dès lors qu’elle aurait pu être évitée.”

La Cour a-t-elle donc admis, comme le prétendent certains, une action en wrongful life, une notion juridique anglo-saxonne qui désigne une action en indemnisation du préjudice de l’enfant, intentée par l’enfant ou ses prétendants légaux en vue d’obtenir réparation du dommage causé par une vie préjudiciable ?

En réalité, la Cour de cassation n’a pas dit explicitement que le préjudice subi par Nicolas serait celui d’être né handicapé. Cela aurait effectivement signifié que la naissance pouvait être en elle-même un préjudice et que la mort ou l’inexistence devenait préférable à la vie, ce qui serait contraire au principe fondamental du “respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”, pour reprendre les termes du code civil français. De plus, pour les plaignants, l’action en justice ne visait qu’à obtenir réparation d’une faute médicale qui a privé les parents du choix de pratiquer ou non un avortement thérapeutique et de prétendre au soutien auquel ont droit les parents et l’enfant handicapé.

“Sous couvert d’indemniser…”

Toutefois, on s’en rend compte, la logique de réparation a aussi des implications éthiques qui ont trait au droit à la vie, à l’avortement, à l’eugénisme et à la solidarité que doit la société aux plus faibles. Le débat dépasse donc une simple question d’indemnisation. Pour les contradicteurs, comme la juriste française Catherine Labrusse-Riou “l’arrêt de la Cour de cassation “donne le message d’une société qui, sous couvert d’indemniser, discrimine et rejette, alors qu’il faut plus que jamais apporter celui d’une société qui accueille, aide et se donne les moyens de le faire. La dignité impose la non-discrimination des êtres humains selon leur état biologique ; le devoir de solidarité justifie la discrimination positive à l’égard des plus déshérités.” Selon elle, cet arrêt confond deux plans d’action très différents : “…la justice, écrit-elle dans le quotidien Le Monde (23/11) dans un article contresigné par de nombreux professeurs de droit privé et public, n’est pas la compassion et la voie de la responsabilité civile n’est pas celle de l’aide sociale. En confondant les deux plans, l’arrêt institue la vie humaine elle-même comme un préjudice réparable, ce qui, a contrario, signifie que l’être humain handicapé aurait dû ne pas naître.”

L’arrêt de la Cour de cassation soulève encore de nombreuses autres questions essentielles pour les médecins et les patients. Ne va-t-il pas à contribuer à un rejet croissant du handicap ? Ne favorise-t-il pas le développement de la demande pour “des enfants parfaits” ou, tout au moins, des enfants indemnes de malformations majeures ou mineures ? Ne conduit-il pas les patients à exiger non plus seulement une obligation de moyens mais une obligation de résultat, surtout en gynécologie ? N’encourage-t-il pas la judiciarisation des rapports entre médecins et patients ? Les femmes ne subiront-elles pas de plus en plus la pression de certains médecins ou assureurs afin qu’elles recourent à l’interruption de grossesse dès que le gynécologue aura décelé une anomalie ? …

Derrière ces questions, il ne faudrait cependant pas oublier que les deux recours en appel introduits par les parents de Nicolas, nous parlent avant tout d’une angoisse qui est celle de tous les parents d’enfants handicapés : comment faire face aux soins et aux charges d’entretien et d’éducation que constitue le handicap ? Qui prendra en charge ces enfants après le décès de leurs parents ? Cette aide doit évidemment relever de la solidarité nationale et non de recours devant les tribunaux !

Christian Van Rompaey

( 7 décembre 2000)

Les textes de l’arrêt peuvent être consultés Internet de la Cour de cassation www.courdecassation.fr 

(Choisir la rubrique agenda puis dans arrêts sélectionnés consulter l’arrêt du 17 novembre 2000 (99-13.701) - Professions médicales et paramédicales.)

Et en Belgique...

En Belgique, selon Michel Westrade, juge au tribunal de travail de Tournai, 3 décisions rendues par les juridictions belges peuvent éclairer ce débat.

• Le premier cas concerne une vasectomie suivie d’une grossesse. Trente-sept jours après l’opération, l’épouse tombe enceinte d’un cinquième enfant. Celui-ci naît en bonne santé. Mais le couple saisit la justice. Il reproche au chirurgien et au médecin de famille une information insuffisante sur le fait que, quelques mois après l’opération, des cellules vivantes peuvent encore être présentes.

Le tribunal de première instance d’Anvers (le 17 janvier 1980) reconnaît au plan des responsabilités que l’existence d’une brochure de vulgarisation n’empêche pas que des renseignements médicaux doivent être donnés. Selon le tribunal, le chirurgien a été négligent quant à l’octroi des soins postopératoires requis pour ce type d’intervention. Sa responsabilité quasi-délictuelle est engagée. Pour ce qui est du dommage, la plus grande partie de la demande a été rejetée. Seul fut accordé un dommage moral de 50.000 F .

Cette décision manifeste bien la tendance à admettre certaines exceptions à la règle qui veut qu’il n’y ait, en matière de responsabilité médicale, qu’une obligation de moyens.

Une obligation de résultat existerait lorsque la science actuelle ne pose aucun problème quant au but à atteindre, quant au résultat visé. C’est le cas pour la vasectomie.

• Le tribunal de première instance de Courtrai (3 janvier 89) devait connaître d’une action intentée contre un gynécologue après une stérilisation effectuée sur une femme, mais suivie d’une grossesse et, onze mois à peine après l’intervention, d’un accouchement.

Dans l’état actuel de la science et de la technique, il est admis qu’un risque de grossesse continue à exister après la stérilisation, si minime soit-il.

Il appartenait au médecin de prouver qu’il avait informé le couple qu’il pouvait toujours exister une chance, même faible, de grossesse. Par sa faute, ce médecin a enlevé au couple la chance de prendre les mesures nécessaires de prévention d’une grossesse possible. Le lien causal entre cette faute et le dommage est ainsi établi.

Quant au dommage moral, il ne saurait en être question. Cela démontrerait que l’enfant peut être considéré comme un fardeau. La réclamation d’un dommage matériel n’a cependant pas cette signification. Les parents sont en effet justifiés à réclamer la réparation du dommage matériel consécutif à la grossesse, la naissance et l’éducation. Les frais médicaux et les inconvénients liés à la stérilisation manquée doivent être indemnisés.

• Le tribunal de première instance de Mons a connu d’une action intentée contre un gynécologue par les parents, tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fils, né gravement handicapé. Il était fait grief au médecin de ne pas avoir pris au sérieux des données révélées par une échographie, de ne pas avoir informé les parents de la signification des dites données et de ne pas avoir pratiqué des examens complémentaires qui auraient révélé le diagnostic certain de malformation.

Dans une décision rendue en 1993, le tribunal de première instance de Mons a désigné un expert afin d’être en mesure de déterminer notamment s’il y a eu faute dans le chef du médecin, et si le dommage allégué par les demandeurs peut constituer un préjudice certain et légalement réparable.

De cette décision, qui a été frappée d’appel, retenons qu’elle considère qu’ “aucun principe de droit ne fait obstacle à ce qu’il puisse être soutenu en justice, qu’en raison des conditions concrètes dans lesquelles elle doit être vécue, la vie d’une personne gravement handicapée lui est préjudiciable”. C’est, à notre estime, la première fois qu’est ainsi reconnue, en Belgique, une action en wrongful life (voir ci-dessus)

( 7 décembre 2000)