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Des volontaires

pour des médicaments à l’essai (2 janvier 2002)

“La médecine est de plus en plus à la recherche de certitudes sur le plan scientifique et les expérimentations sur l’homme font aujourd’hui partie intégrante de ce processus. Des expérimentations, de médicaments notamment, qui ne se pratiquent pas sans susciter une tension entre, d’une part, le respect de la personne humaine et les risques encourus par les volontaires et, d’autre part, les progrès thérapeutiques que de tels essais peuvent apporter à la collectivité.

Jean-Pierre a 34 ans. Des tests de médicaments, il en a subi plusieurs, il y a sept, huit ans. Mais aujourd’hui, il n’est plus candidat. Normal, il a un boulot à plein temps et il ne lui est plus possible, pour des questions de timing, de participer à de telles études. Pourtant il le regrette : “C’était de l’argent vite gagné et, à mon avis, sans prendre beaucoup de risques. Quand j’ai commencé à participer à ces études, je sortais de l’unif : je suis resté au chômage pendant plusieurs mois. Ensuite, j’ai eu des boulots temporaires, assez mal payés. Ces tests m’ont permis d’arrondir les fins de mois.”

C’est à l’Unité de recherche clinique Pfizer, installée depuis 1992 sur le campus universitaire de l’hôpital Érasme (en Région bruxelloise) que Jean-Pierre s’est prêté à ces expérimentations de nouvelles molécules susceptibles d’être commercialisées sur le marché du médicament, après de nombreuses étapes de testing. Les études auxquelles il a participé pendant plusieurs années consistaient à administrer des molécules à des volontaires sains (voir encadré). L’unité de recherche Pfizer à Érasme est d’ailleurs exclusivement consacrée à ce type d’expérimentations. Selon Gaby Di Matteo, Unit administrator, “Notre unité constitue un cas relativement atypique puisque nous dépendons directement de la firme pharmaceutique pour laquelle nous effectuons les études cliniques. En général, ce sont des sous-traitants qui effectuent ce type de travail pour une diversité de firmes pharmaceutiques. Il existe d’ailleurs plusieurs unités de ce type en Belgique. Quant à Pfizer, la société a préféré créer son propre centre en Belgique, d’une capacité de 30 lits pour des questions de confidentialité, de fiabilité des résultats et de coûts.”

 

Satisfaire aux critères de sélection

 

Jean-Pierre a eu connaissance de ces tests via un copain qui lui a refilé le tuyau. Si le bouche à oreilles est une manière de recruter, Pfizer utilise également des annonces dans les toutes-boîtes, ainsi que des affichages dans les écoles supérieures et les universités. Comme le précise Gaby Di Matteo, “toujours, en ayant obtenu l’autorisation des écoles. Notre réserve comprend environ 6.000 personnes, mais il y en a entre 2.000 et 3.000 réellement actives parmi elles. Nous essayons de diversifier autant que faire se peut notre panel, pour ne pas avoir que des étudiants, lesquels sont par exemple indisponibles durant certaines périodes de l’année. Nous essayons également d’attirer des personnes âgées qui peuvent être des profils intéressants pour certaines études. Mais en général, les volontaires ont entre 18 (jamais en dessous) et 45 ans. Notre système de sélection est basé sur plusieurs filtres : un premier qui consiste en un examen médical et un questionnaire approfondi. Nous refusons évidemment les personnes qui présentent un risque sur le plan médical, mais également celles qui seraient dans un tel état de nécessité que leur jugement ne serait plus libre et ne serait guidé que par l’espoir de gagner de quoi survivre. Ensuite, les personnes qui satisfont à nos critères sont versées dans une réserve de recrutement. Lors d’une étude, nous les recontactons.”

Pour Jean-Pierre, ces étapes se sont déroulées plutôt facilement : après un premier examen, il a été sélectionné puis convoqué pour une première étude. Il a été retenu parmi les candidats ayant réussi le screening plus poussé (soit un électrocardiogramme, des prises de sang, des analyses d’urine, un test d’effort et une auscultation poussée). “J’ai foncé sans vraiment poser de questions. Les produits que j’ai dû avaler ? Une fois, c’étaient des cardiovasculaires, une autre, des médicaments pour la digestion. Je dois dire que je me foutais complètement de ce qu’on me faisait essayer. On recevait des explications sur les buts de la recherche, j’étais juste un peu plus attentif quand ils abordaient la question des effets secondaires. Mais ma motivation première, il faut bien le dire, c’était l’argent. D’ailleurs, je n’ai réalisé que des études à 1.500 ou 2.000 euros, alors qu’ elles étaient généralement plus longues et assorties de périodes d’hospitalisation parfois pendant deux semaines d’affilée. Les prises de sang durant la nuit, c’est plutôt fatiguant, mais bon, on s’occupe bien de nous, le personnel médical est sympa et très pro, la nourriture est OK et des divertissements (télé, jeux vidéo, billard,…) sont prévus. Histoire de faire passer le temps. “

 

Un avis préalable d’un comité d’éthique

 

Si Jean-Pierre n’accordait pas vraiment d’importance aux informations répercutées sur les tests auxquels il était soumis, Pfizer, de son côté, dit respecter, de manière scrupuleuse, toute une série d’étapes préalables à la mise en œuvre de ces tests et semble soucieuse d’apporter une bonne information aux volontaires qu’elle recrute. Comme l’explique Gaby Di Matteo, “Tous nos protocoles d’étude sont soumis à un comité d’éthique indépendant, le CREC (Clinical Research Ethic Committee) qui regroupe une dizaine de membres : des médecins, des laïcs, des juristes, des pharmaciens ou biologistes et un représentant de la société civile. Dans ces protocoles, nous fournissons tous les détails relatifs à l’étude que nous souhaitons mener : objectifs, nature de la molécule, doses administrées, effets thérapeutiques escomptés, effets secondaires attendus, nombre d’examens,… Nous n’avons jamais eu de refus de la part de ce comité éthique, mais des demandes d’aménagement auxquelles nous nous soumettons évidemment. Le protocole contient aussi des informations sur le dédommagement qui n’est en aucun cas calculé sur les risques encourus, mais sur le degré d’inconfort que l’étude va entraîner. Cela peut aller de quelques dizaines d’euros à plus de 2.000 euros selon les études. Enfin nous sommes assurés afin de couvrir d’éventuels dommages, assurance à laquelle nous n’avons jamais dû faire appel. Cela dit, notre assurance, alors que nous n’y sommes pas obligés, s’engage à dédommager tout volontaire qui aurait subi un mal qui découle de sa participation à l’étude, sans qu’il ait à prouver la faute, le dommage et le lien de causalité.”

Pour Jean-Pierre, les cinq étude auxquelles il s’est prêté sont bien déroulées, à part quelques maux de tête, des nausées ou une fatigue excessive. La seule expérience, stressante, mais aussi cocasse (selon ses dires), qu’il ait vécu est celle où l’ensemble des volontaires ont ressenti de violentes démangeaisons, suite à une exposition à la lumière. L’étude a finalement été arrêtée, les cobayes dédommagés et ce test semble n’avoir laissé aucune séquelle.

 

Nathalie Cobbaut

 


 

Plusieurs types d’expériences

 

Il existe quatre phases de test en matière d’expérimentation de médicaments : après avoir été préalablement analysé in vitro en laboratoire sur des tissus et expérimenté sur des animaux, le produit est ensuite soumis à un petit nombre de volontaires en bonne santé. L’objectif ? Évaluer leur tolérance à la molécule, déterminer sa fenêtre thérapeutique, c’est-à-dire le seuil en deçà duquel le produit reste inefficace et au-dessus duquel il devient nocif, ainsi que ses propriétés pharmacocinétiques (soit l’élimination du médicament par l’organisme) et pharmacodynamiques (c’est-à-dire les effets du produit sur le “cobaye”). Il s’agit là de la phase I des études cliniques. Les deux phases suivantes (II et III) consistent en une administration de ces substances à des malades atteints de la pathologie à laquelle est destiné le produit (d’abord à un groupe restreint, ensuite à un plus grand nombre de malades). La phase IV comprend des études ultérieures à la mise sur le marché.

 


 

Et sur les plans éthique et juridique?

 

Il est un fait acquis aujourd’hui, les activités médicales d’expérimentation humaine sont incontournables. En effet, comme le relève Marie-Luce Delfosse, philosophe et chercheuse au Centre interfacultaire Droit, éthique et sciences de la Santé des FNDP, “Que le but visé soit la recherche d’une explication ou d’une efficacité, le recours systématique à l’expérimentation humaine est devenu une exigence interne du savoir médical. Cette recherche médicale constitue donc un secteur où certains êtres humains sont utilisés par d’autres sans qu’un bénéfice en résulte nécessairement pour eux. Au nom de quoi ? En soi, la question n’est pas nouvelle. Ce qui est neuf, en particulier après la Seconde guerre mondiale, c’est que les valeurs de liberté et d’égalité des citoyens n’autorisent plus à se décharger du problème éthique en mobilisant des citoyens de seconde zone : prisonniers, condamnés à mort,…” (1)

La question éthique est évidemment au cœur de cette problématique et le rapport introductif de l’avis n°13 du Comité consultatif de bioéthique relatif aux expérimentations sur l’homme, rendu le 9 juillet 2001, a rappelé certains critères permettant d’évaluer un protocole expérimental. Tout d’abord la légitimité éthique du but, au travers de l’intérêt scientifique des informations que l’on cherche à récolter, l’élaboration d’un protocole adéquat qui se donne les moyens de ses objectifs et l’existence de pré-requis sur lesquels se base la démarche scientifique. Autre dimension importante : la proportionnalité des moyens. L’éventuel risque de l’expérimentation est-il compensé par le bénéfice escompté ? La qualification des expérimentateurs et la qualité de l’environnement dans lequel les études sont réalisées sont essentielles. Enfin, le consentement libre et éclairé des volontaires constitue une des pierre angulaire des préoccupations éthiques que soulèvent ces expérimentations.

En ce qui concerne le droit belge, l’on peut dire que ce dernier est lacunaire : des dispositions se retrouvent éparses dans différents textes. Cela dit il existe des dispositifs normatifs européens et internationaux, que la Belgique a partiellement intégré dans sa législation (notamment la notion de “good clinical practice” et la référence à la Déclaration d’Helsinki). Par ailleurs le Code de déontologie médicale du Conseil national de l’ordre des médecins impose des principes déontologiques aux médecins, ainsi que le recours préalable à l’avis d’un comité éthique indépendant. La loi belge organise également, dans chaque hôpital, un comité d’éthique chargé de veiller à la protection des patients engagés dans un protocole de recherche. Une directive européenne a été adoptée en avril 2001 en vue du rapprochement des dispositions de Etats Membres relatives à l’application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d’essais cliniques de médicaments à usage humain. Mais cette harmonisation n’est pas encore effective.

 

(1) “Marie-Luce Delfosse, L’expérimentation médicale sur l’être humain. Construire les normes, construire l’éthique”, De Boeck Université, 1993, p.53