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Ethique (4 avril 2013)

Aide et soins : inégaux selon l’origine ?

© Belga-AFP

Dans le domaine des soins de santé et de l’aide aux personnes, le brassage des nationalités et des origines est de plus en plus large en raison de l’intensité des flux migratoires. Dans ce contexte multiculturel, comment continuer à assurer une aide de qualité, sans stéréotypes ni discriminations?

Vlan! La porte de cette petite maison de Liège se referme avec violence sur Fatima. Derrière, une voix hurle : “Pas d’étrangers chez moi !” Et tant pis pour les services que l’aide familiale, d’origine marocaine, se préparait à assumer chez cette personne immobilisée à domicile. Autre ville, autre situation: Pauline, jeune infirmière dans un hôpital de Bruxelles, ne comprend pas l’énervement de sa patiente face à la disparition répétée de ce caillou posé à côté de son lit. Quelle importance, cette petite pierre, probablement jetée à la poubelle par les femmes de ménage… Personne, hélas, n’a jamais expliqué à Pauline l’utilité de cet objet pour la purification qui précède la prière matinale de certains musulmans. Troisième exemple : François, médecin stagiaire, n’a pu retenir une grimace amusée lorsque cet adolescent africain, arrivé récemment en Belgique, lui a expliqué ses fréquents maux de tête par un envoûtement. Diable! Comment l’aider à présent?

Pas de doute : le brassage des cultures s’est installé durablement dans nos sociétés, y compris dans le secteur du “Care” : hôpitaux, maisons de repos, soins infirmiers, aide à domicile (aides familiales, aides ménagères, aides soignantes…), etc. “En 1976, je soignais une dizaine de nationalités différentes essentiellement issues du sud de l’Europe, résume ce médecin d’une maison médicale à Anderlecht. Aujourd’hui, parmi 4.000 patients de tous les coins du monde, on compte 85 nationalités…” Avec, à la clef, une multiplication des tensions et des risques de discrimination? Pas si vite. Au Centre pour l’égalité des chances, le ton est mesuré. “En trois ans, nous avons ouvert près de 40 dossiers “Care” sur base de critères liés à l’origine : c’est relativement peu par rapport aux discriminations à l’emploi”. Le constat est rassurant, mais le Centre avoue rester peu connu sur le terrain de la santé et des soins, ce qui pourrait expliquer le petit nombre de signalements.

Les soignants discriminés

La discrimination, du reste, frappe aussi les soignants, même si le phénomène semble plus diffus. Ici, ce sont des résidents de maisons de repos qui ne veulent plus avoir affaire à du personnel d’origine étrangère. Là, un service d’aide familiale en Flandre qui, sur son formulaire d’inscription, invite à cocher une case “acceptez-vous des allochtones?” Difficile, en fait, de connaître l’ampleur exacte du phénomène. “Par crainte de perdre un emploi ou leur patient, beaucoup de soignants éprouvent des réticences à s’afficher discriminés, précise Rachid Bathoum, formateur au Centre pour l’égalité des chances. D’autres craignent de renforcer les clichés auprès de leur hiérarchie: ‘le problème vient toujours de nous’. En fait, si l’on se souvient que beaucoup d’aides ménagères et d’aides familiales, souvent issues de l’immigration, exercent un métier particulièrement pénible et peu reconnu, on se rend compte que la vulnérabilité des soignés est indissociable de la vulnérabilité des soignants”.

L’intime mis en péril

Certes, le monde du “Care” n’a pas l’exclusivité de ce genre d’attitude discriminante ou, plus simplement, d’incompréhension. Il a toutefois la particularité de s’adresser au corps ou à la sphère intime des individus, ne fût-ce que parce qu’il s’exerce en partie au domicile privé des gens. Que faire? En appeler aux valeurs de respect et de tolérance ne suffit pas. Au Centre pour l’égalité des chances, on insiste sur le besoin criant de formations à l’interculturel. Objectif : aider le personnel soignant (au sens large) à déconstruire ses stéréotypes, à décoder les langages culturels, à ne plus rester bloqué sur des gestes ou des attitudes qu’il ne comprend pas: non, le port du voile n’est pas nécessairement signe de soumission; non, boire son thé quotidien au troquet du quartier, pour un Marocain, n’est pas nécessairement signe de désintérêt pour sa famille. “Et puis les cultures, c’est mouvant, cela évolue sans cesse…”, appuie Rachid Bathoum.

Les médecins eux-mêmes n’échappent pas à ce besoin de formation. Or “à part quelques heures ici ou là, les facultés francophones de médecine ne sont pas demandeuses, déplore Vincent Lorant, Professeur de sociologie de la santé (Institut de recherche Santé et Société, UCL)”. Certaines structures, comme les aides et soins à domicile (ASD), forment leur personnel à l’approche et au dialogue interculturels, abordant des questions aussi variées que les habitudes culinaires ou l’attitude face à la mort. Mais, souvent, les moyens manquent. Ainsi, malgré son succès, une formation pilote menée l’année dernière à Bruxelles par le Centre pour l’égalité des chances n’a pu être renouvelée faute de moyens.

Théâtre et jeux de rôle

Comment aller plus loin? Initiatives et idées ne manquent pas. A l’hôpital de la Citadelle à Liège, la cellule interculturelle (lire l'encadré ci-contre), qui a été pilote en Wallonie, compte pas moins de 12 personnes. Ailleurs, des associations d’aide à domicile ont choisi les outils du théâtre, de l’improvisation et du jeu de rôle pour désamorcer les tensions. A Mons, une structure d’aide à domicile invite ses bénéficiaires à signer une charte leur interdisant toute remarque ou intervention discriminatoire envers le personnel. Autre piste : “Pourquoi ne pas conditionner l’agréation des médecins, kinés, ergothérapeutes… à l’obligation d’avoir suivi une formation à l’interculturel?” propose Vincent Lorant(1). Qui, par ailleurs, regrette le manque de moyens alloués par le Centre fédéral d’expertises des soins de santé (KCE) à l’étude des problèmes de santé chez les populations migrantes.

En Ecosse et en Norvège, de véritables plans stratégiques en faveur de la santé des migrants ont été récemment adoptés. Avec objectifs, budgets et échéances. Pas (encore?) en Belgique…

// PHILIPPE LAMOTTE

(1) Des recommandations de ce type (46 au total) ont été formulées par le groupe de réflexion Ethealth (Ethnicity and Health), mis sur pied par le SPF Santé publique pour réduire les inégalités de santé pour les migrants et minorités. Lire, à ce sujet, le numéro d’automne 2012 de “Migrations magazine”. Contact : 02/629.77.34 ou www.migrations-magazine.be

 Les médiateurs culturels à l'hôpital 

Très tôt par rapport à d’autres pays européens, la Belgique a mis en place la fonction de médiateur interculturel. La tâche de ces 90 professionnels, soutenus par le niveau fédéral, consiste à assurer les traductions, mais aussi à désamorcer les quiproquos culturels, voire les tensions interethniques. “En 2011, il y a eu 100.000 interventions des médiateurs, soit dix fois plus qu’à la fin des années nonante, explique Hans Verrept, du SPF Santé publique dans Migrations magazine. Dans huit hôpitaux, des médiateurs sont dorénavant disponibles pour des vidéoconférences, via un système de permanence par le Net”.

Près de vingt ans après leur lancement, le travail des médiateurs interculturels est largement reconnu. Réservés aux hôpitaux généraux et psychiatriques, ils peinent néanmoins à pénétrer le secteur des soins ambulatoires, des maisons médicales et de la médecine de première ligne. Par ailleurs, du fait qu’avoir recours à leurs services en cas de difficulté est facultatif, “les services hospitaliers qui en auraient le plus besoin sont ceux qui y font le moins appel”, regrette Vincent Lorant. Autre faiblesse : ils sont parfois instrumentalisés, l’hôpital masquant un problème interne purement organisationnel derrière une problématique interculturelle. Enfin, dernier bémol : l’origine immigrée d’un médiateur et sa connaissance de plusieurs langues ne suffisent pas, en soi, à garantir la qualité de son travail. Au final, chacun en convient : plus la médiation est défendue par les directions et traduite dans chaque rouage institutionnel, plus elle est efficace.

Contrepoint

© Photo Alto
Soigner les migrants? Aucune différence fondamentale avec les soins prodigués aux populations belges…” Bernard Vercruysse, médecin généraliste à la maison médicale du Nord (Schaerbeek) depuis près de trente ans, ne croit pas à l’élargissement du gouffre culturel qui rendrait la relation de soins plus compliquée qu’autrefois. “A force de travailler avec des populations d’origine étrangère – essentiellement turque – dans ce quartier, et grâce aux éclairages de l’ethnologie, j’ai compris qu’il y a chez tout patient une dimension culturelle qui m’échappe totalement. Et cela, qu’il soit étranger ou non”. A titre d’exemple : “Une femme turque, originaire d’Anatolie centrale, souffrant de diabète, se présente à ma consultation. Idéalement, elle devrait maigrir. Dans cette région, certaines représentations traditionnelles, devenues inconscientes, véhiculent l’idée qu’une femme maigre est une femme que son mari ne parvient ni à nourrir convenablement ni, par analogie vite faite, à la satisfaire, y compris sur le plan sexuel. Un peu comme l’idée – qui reste très vivace chez nous – qu’un bébé qui mange et grossit bien (trop?) est signe d’une bonne mère. Cette représentation n’est plus consciente mais peut être intégrée dans le subconscient. Comment s’étonner, dès lors, que cette femme ne maigrisse pas…? Je dois accepter qu'il y a, dans sa réalité, des inconnues que je ne peux maîtriser”.

Fort bien, mais comment la soigner alors? Et, plus généralement, comment s’adapter à une diversité culturelle toujours plus large? “Avoir une explication culturelle du vécu des patients s’avère moins important que savoir qu’ils vivent quelque chose qui m’échappe. Cette attitude de modestie, qui contraste avec l’attitude de maîtrise absolue qu’on enseigne dans les facultés, ne m’empêche pas de faire usage de ma science. Simplement, je dois m’adapter en permanence à la personne en face de moi. Sortir de la trilogie classique ‘symptôme-examentraitement’ et accepter de la soigner selon une hiérarchie qui est peut-être davantage la sienne que la mienne. Tout en restant attentif aux maladies, car c’est mon rôle”.

Une position inconfortable, voire intenable? “Non, car le patient se sent respecté, compris: ce qui fait la richesse de la relation. Et c’est autant valable pour les Turcs que pour les cadres de nos entreprises! Evidemment, ce travail fait d’écoute et de vigilance est plus lent et peu reconnu par le ‘système’. Mais il a l’avantage de remettre la souffrance à sa juste place, corrigeant ainsi certains travers de la médecine hyperspécialisée. Ce que l’importance du flux migratoire ne fera que révéler toujours plus”...

 Campagnes “grand public”, la quadrature du cercle 

Toucher tous les publics, y compris dans leur diversité culturelle croissante, est une tâche ardue. Ainsi, à l’Institut de recherche Santé et Société de l’UCL, on pointe cette campagne de prévention du cancer du sein dont l’affiche, il y a peu, mettait en scène deux femmes – mère et fille – laissant deviner des poitrines nues; ou encore ce spot TV où deux seins, également dans une campagne de dépistage, demandaient aux femmes de les regarder “droit dans les yeux”.

Pour les femmes issues de diverses cultures, une telle représentation de l’intimité risque d’avoir un effet contraire à l’effet voulu, regrette Marie Dauvrin, aspirante FRS-FNRS à l’Institut. Elles se sentiront non concernées, voire angoissées, par le dépistage. C’est d’autant plus regrettable que la prévention de cette forme de cancer aurait pu être l’occasion idéale de sensibilisation à d’autres pathologies gynécologiques”.


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