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MOC (5 septembre 2013)

Christian Kunsch : “Ayons le courage de ramer à contre-courant”

© Matthieu Cornélis

Après 35 ans de vie mutuelliste dont onze à la tête de la Mutualité Saint-Michel (Bruxelles), Christian Kunsch assume pour quatre ans, depuis le 1er septembre, la présidence du Mouvement ouvrier chrétien (MOC). Succédant à Thierry Jacques, c’est à cet homme de 59 ans, jovial et aux idées claires et déterminées, que revient dorénavant une tâche importante: faire en sorte que la Mutualité chrétienne, le syndicat chrétien (CSC), Vie féminine, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et les Equipes populaires, s’accordent et pèsent de tout leur poids sur la scène politique et sociale belge. Rencontre.

En Marche : Dans quel état d’esprit abordez-vous vos nouvelles fonctions ?

Christian Kunsch : Directeur d’une mutualité, je deviens président d’un mouvement. Il y a à la fois rupture et continuité. Rupture, car j’aurais pu continuer ma tâche à la Mutualité Saint-Michel, où la réalité bruxelloise – celle du multiculturalisme, de la précarité sociale… – constitue un défi permanent en termes de réflexion et de gestion. Plus de 175.000 membres, 200 collaborateurs : on est au four et au moulin quasiment en permanence! Ici, la fonction sera encore plus politique : établir des contacts, du “liant” entre de grandes organisations, nationales et régionales, mais aussi avec les mouvements d’éducation permanente. Pas simple! Mais les instances dirigeantes de la Mutualité chrétienne m’ont demandé avec une certaine insistance de me présenter. J’arrive enthousiaste et motivé. D’autant plus qu’avec le dossier Arco, aujourd’hui en liquidation, certains ont voulu écorner l’image du MOC, et, à travers lui, l’essence même du modèle associatif et coopératif. Or celui-ci mérite plus que jamais d’être défendu bec et ongles. Continuité car, entre la MC et le MOC, nos valeurs de base, c’est chou vert et vert chou! A commencer par la solidarité, l’égalité et la justice sociale.

EM : En novembre 2011, votre prédécesseur, Thierry Jacques, annonçait “un débat approfondi en faveur d’une réflexion critique et politique” autour de la chute d’Arco et du soutien à Dexia Banque. Cela a-t-il été fait?

ChK : Oui sans être conclu. Même si je ne suis pas le plus compétent pour en parler, je peux reconnaître, avec le recul, que des choix inopportuns ont été opérés au moment de la déroute bancaire de 2008. Mais il est toujours facile de les blâmer a posteriori et je me garderais bien de tout jugement en la matière. Historiquement, il est pleinement justifié que la Mutualité chrétienne, la CSC et leurs mouvements d’éducation permanente aient soutenu la caisse coopérative financière qu’était la Bacob (devenue ensuite Dexia) et une société d’assurances comme les Assurances populaires (AP). Certains ont jeté en pâture à l’opinion publique le prétendu scandale selon lequel une banque qui a été en difficulté (Dexia devenue Belfius) et aidée par l’Etat, n’avait plus à être liée conventionnellement avec un mouvement comme le MOC. Certains contestent par ailleurs la garantie de l’Etat accordée aux épargnants détenteurs de parts coopératives, perdant ainsi le sens de l’histoire sociale et coopérative dans ce pays. Il ne faut pas inverser le problème. Le MOC, le groupe ARCO et ses coopérateurs, sont, comme tant d’autres, les victimes du dérapage financier mondial, non les coupables.

EM : Ces dernières années, le MOC a parfois été davantage perçu comme un groupe de pression politique qu’un mouvement d’éducation permanente. Souscrivez-vous à cette perception?

ChK : L’aspect mouvement et éducation permanente doit toujours précéder l’action politique. Si le président s’exprime, c’est parce que le mouvement s’est emparé de certaines questions et les a soumises au débat démocratique selon un agenda qui respecte la consultation et est transparent, ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’agenda politique. Nous ne sommes pas opposés aux politiques mais complémentaires. Simplement, loin des jeux de pouvoir et d’alliances, nous avons notre propre rythme ; et aux raccourcis du café du commerce, nous préférons le “voir, juger, agir” de Cardijn. L’éducation permanente est un travail lent, difficile et peu visible. Concrètement, ce sont nos formations (Isco et Fopes), nos groupes de travail (fiscalité, logement, croissance…) et le travail quotidien de nos fédérations et organisations. Ce travail aboutit à traduire les interrogations d’individus isolés - voire leurs amertumes ou leurs réflexes poujadistes - en un questionnement collectif, puis en une véritable action sur le monde politique.

EM : Les dernières années ont été marquées par la montée en puissance de petits partis très marqués à gauche. Le MOC est-il prêt au dialogue avec eux?

ChK : François Martou (NDLR: ex-président du MOC) disait souvent des partis: “Eux, c’est eux. Nous, c’est nous”. Je m’y retrouve bien et cette question est actuellement en débat interne. Il n’y a donc aucune raison pour ne pas dialoguer avec un parti marqué plus à gauche. Mais à deux conditions. Primo, qu’il ne nous plante pas un couteau dans le dos dès le premier tournant: il nous faut du respect. Secundo, que ce parti s’inscrive dans le projet progressiste qui est le nôtre, tant sur les valeurs que sur les processus démocratiques. Car il y a plusieurs manières de sortir de la crise: veut-on le chacun pour soi ou la solidarité ? Nous, nous avons choisi. L’histoire a montré que les projets axés sur la solidarité sont ceux qui résistent le mieux aux crises. Donc, pourquoi se priver d’une discussion avec les partis à gauche de la gauche, sans exclusive, qui vont dans ce sens ? Les piliers, c’est une époque révolue: le temps où l’on prenait les gens du berceau au cercueil en leur disant: “on va te fournir tout ce dont tu as besoin”, c’est fini.

EM : Le Parti Social Chrétien (PSC), naguère, a abandonné son “C”. Les scouts aussi... Mais pas la Mutualité chrétienne! Et le MOC?

ChK : Cette question ne me semble pas prioritaire. Ni aux organisations membres, me semble-t-il. L’Union chrétienne des pensionnés est devenue Enéo. L’Association chrétienne des invalides et handicapés se nomme aujourd’hui Altéo. Mais la CSC, la Mutualité chrétienne, etc. ont conservé leur “C”. Si les aumôniers se font rares dans nos rangs et si la messe n’est plus notre rituel d’initiation, le “C” fait partie de nos gènes. S’il peut paraître désuet de l’extérieur, il fait référence à des valeurs qui, elles, restent d’une actualité brûlante: l’attention aux plus démunis, par exemple. Dès lors, il serait vain de nier notre passé. Que ceux qui veulent faire un bout de chemin avec nous examinent nos actions et notre programme et, en cas d’adhésion, nous rejoignent. Nous sommes ouverts et pluralistes depuis 1978. La priorité, aujourd’hui, c’est la sortie des crises : sociale, économique, financière et environnementale.

EM : Et le “O”, pour ouvrier? Un peu réducteur, voire contreproductif, au regard des thématiques balayées par le MOC?

ChK : Derrière le “O”, on trouve la préoccupation pour les personnes les plus fragilisées. Autrefois, il s’agissait des ouvriers. Aujourd’hui, ils ne sont plus les seuls. Le “O” fait lui aussi partie de notre héritage historique et de nos combats sociaux. Même si ce n’est pas une définition très orthodoxe, j’y vois une volonté de ramer à contre-courant. Ce n’est tout de même pas le plus grand nombre, aujourd’hui en Belgique, qui veut militer pour les catégories les moins favorisées et pour la solidarité ! Regardez l’évolution politique du pays. Le fait que la NV-A s’en est prise au MOC à travers l’ACW (NDLR: l’équivalent flamand du MOC) n’est pas un hasard. Derrière le discours nationaliste de ce parti se cachent des choix qui sont non solidaires. Il veut marginaliser et discréditer ce qui est progressiste. Mais cela démontre bien, a contrario, que l’ACW et le MOC gardent leur pouvoir d’influence.

EM : Des pans importants de la Sécurité sociale (allocations familiales, gestion des maisons de repos et de soins…) ont été défédéralisés. Il y a à peine cinq ans, certains affirmaient qu’un tel “détricotage”, impensable, allait amener la dislocation de la Belgique. Aujourd’hui, plus personne ne parle ainsi. Votre avis?

ChK : Le transfert des compétences m’inquiète. Ce qui fait mal, c’est que ce soit un gouvernement sans la NV-A qui ait introduit cette brèche dans la Sécurité sociale. Certes, sans ce parti mais sous sa pression directe… Le plus inquiétant, c’est le discours “Ouf ! On a colmaté la brèche, on a limité les dégâts”. Même si, l’année prochaine, la NV-A n’obtient pas la victoire électorale pressentie, il faudra travailler sans relâche et, sous la pression des poujadismes ambiants, expliquer et réexpliquer aux gens que la Sécu est un salaire différé. Que leur éventuelle tentation de sortir du système, par le recours aux systèmes d’assurances privées, est dangereuse pour tous, car elle affaiblit l’édifice de la cohésion sociale. Par ailleurs, ce transfert des compétences est acquis, mais pas encore réalisé, loin de là! Il doit impérativement rester l’affaire des partenaires sociaux et d’organisations de gestion comme les mutualités, les syndicats, les caisses d’allocations familiales et non pas confié uniquement à des administrations régionales ou communautaires.

EM : Une attitude un peu corporatiste que la vôtre?

ChK : Non ! Une attitude philosophique : la volonté de rester les garants d’une solidarité aussi fédérale que possible. La Sécurité sociale, financée d’une façon mixte (cotisations sociales et impôts) constitue un système de protection sociale inégalé. A la Mutualité chrétienne, par exemple, nous avons à peine 4% de frais administratifs. Pas mal, non? J’imagine facilement que certains ministres, dans le climat de disette généralisée, puissent voir les transferts financiers comme des mannes bienvenues dans leurs soucis budgétaires, ajoutant ainsi des étoiles à leur casquette. Je dis: danger! Ce n’est pas que le secteur public soit à dénigrer. Mais le partenariat des interlocuteurs sociaux a une maturité puissante. Plus on transfère des compétences, plus on aura des interlocuteurs distincts et les politiques auront immanquablement des logiques, des cultures, des accents différents. Souvenons-nous : c’est seulement après dix ans que la communautarisation de l’enseignement a commencé à faire mal…

//ENTRETIEN :
Ph. LAMOTTE