Hôpitaux (20 mars 2008)
La médiation hospitalière
trop peu
connue
Tous
les hôpitaux disposent d’un service de médiation destiné à rétablir le
dialogue entre le patient et le prestataire en cas de plainte, et à trouver
une solution amiable. Une récente enquête du CRIOC témoigne de la
méconnaissance de cette fonction par les patients et des difficultés
rencontrées sur le terrain par les médiateurs. Elle révèle aussi une
communication souvent problématique entre personnel soignant et patient.
L’absence de communication
entre le prestataire de soins et le patient
est une source importante de conflits.
Depuis
la fin des années ’90, en Europe du Nord, la question des droits des usagers
du système de santé s’est progressivement installée dans la législation.
L’objectif était clair : améliorer la qualité des prestations des soins de
santé par le renforcement, voire le rétablissement de la relation de
confiance entre le patient et le professionnel de soins.
Est ainsi apparue de
manière explicite une nouvelle fonction: la médiation hospitalière. Il
s’agit clairement d’encourager le patient à chercher une solution à son
insatisfaction ou à son désaccord avec un professionnel de soins à travers
le dialogue, en vue d’aboutir, si possible à un accord amiable.
En Belgique, la loi
relative aux droits du patient date du 22 août 2002 (1) et
l’arrêté royal qui fixe les conditions auxquelles la fonction de médiation
doit répondre a été pris un an après (2). Dans la pratique,
les services de médiation sont assez récents dans la plupart des hôpitaux et
doivent faire face à de multiples questions et défis.
Des services méconnus
Afin d’évaluer le
fonctionnement de ces services, le Centre de Recherche et d'Information des
Organisations de Consommateurs (CRIOC) a mené une étude qualitative auprès
de patients d’une part (sous forme de groupes de discussion), et de
médiateurs d’autre part (sous forme d’interviews) (3).
Il en ressort tout
d’abord que la plupart des patients ignorent tout simplement l'existence des
services de médiation. Les patients ayant rencontré des problèmes et qui en
ont fait part à des représentants de l'institution hospitalière n'ont que
très rarement été informés de la possibilité d'y recourir.
“Les patients se
trouvent en général en situation de dépendance par rapport au corps médical
et, se sentant trompés alors qu’ils sont en état de faiblesse, ont tendance
à développer des stratégies conflictuelles impliquant immédiatement la
direction ou une instance officielle (ordre des médecins), ce qui rend
difficile toute conciliation”, explique Elisabeth Taupinart, auteure de
l’étude. “Il est important que la médiation intervienne très rapidement
avant que le conflit n’atteigne un stade irréversible. Il faut mieux faire
connaître la loi et la fonction de médiation auprès du grand public et des
patients, sans doute de manière davantage proactive qu’elle ne l’est
aujourd’hui. Le service devrait aussi être beaucoup plus visible et
accessible au sein de l’hôpital”, poursuit-elle. Force est de constater
en effet que malgré de récentes dispositions légales en la matière, de
nombreux services de médiation ne sont tout simplement pas mentionnés dans
les documents d’accueil de l’hôpital ni indiqués dans les bâtiments. Comme
le souligne Karen Mullie, juriste à l’Alliance nationale des Mutualités
chrétiennes, il est primordial de faire connaître aussi le travail du
médiateur au corps médical et au personnel de l’hôpital pour que les
patients qui expriment un plainte ou sont confrontés à des problèmes
puissent être dirigés le plus rapidement possible vers ce service. Toutes
les parties ont vraiment intérêt à ce que le service de médiation fonctionne
bien.
Problèmes
de communication
L’enquête du CRIOC
confirme ce que les rapports des médiateurs ont déjà mis en exergue : la
grande majorité des plaintes, y compris d’ordre financier ou thérapeutique,
met en évidence un déficit de communication entre le prestataire de soins et
le patient. “Informer le patient sur le déroulement de l’opération, les
risques ou les conséquences d’un traitement fait pourtant partie du rôle
fondamental du médecin”, assure Karen Mullie. “Cela évite pas mal de
problèmes et de conflits par la suite surtout si cette information a pu se
faire avant l’hospitalisation, hors du stress que celle-ci représente et du
sentiment de vulnérabilité et de dépendance qui habite le patient à ce
moment-là”.
Aux yeux des médiateurs,
une meilleure gestion de la communication avec l’ensemble du personnel
hospitalier pourrait circonscrire bon nombre de problèmes.
Une fonction neutre?
L’enquête du CRIOC
montre aussi que les patients sont très dubitatifs quant à l'efficacité du
service de médiation qu’ils n’estiment pas assez indépendant de la direction
hospitalière. Les patients recherchent en général un allié qui les
reconnaisse dans leur droit et sanctionne le prestataire alors que le
médiateur doit faire preuve d’une neutralité et d’une impartialité stricte,
comme stipulé dans la loi. Une obligation qui n’est pas sans poser questions
sur le terrain. “Le médiateur ne pourrait-il pas prendre position en
faveur du patient dès lors qu’un droit n’a pas été respecté?”,
s’interroge Karen Mullie. “Le médiateur intervient dès le départ dans une
relation déséquilibrée entre le médecin et le patient. Son rôle n’est-il pas
de procéder à un rééquilibrage avant de rétablir la communication” ?
Il est vrai par ailleurs
que dans les hôpitaux généraux, le médiateur est nommé et rémunéré par le
gestionnaire de l’hôpital, ce qui peut constituer un frein au respect de son
indépendance (4). D’autre part, une grande partie des
médiateurs cumulent la médiation avec une autre fonction dans
l’établissement hospitalier. Aucune norme de personnel par établissement ni
temps de travail spécifique minimum ne sont d’ailleurs exigés pour cette
fonction qui peut être remplie par la même personne sur plusieurs sites
hospitaliers. Pour mettre fin à certains cumuls nuisibles à la neutralité,
le législateur a édicté l’année passée des règles d’incompatibilité de la
fonction avec celles de directeur, de médecin en chef ou de chef du
département infirmier, pour ne citer que les principales. Il s’agit certes
d’un pas en avant mais l’indépendance du médiateur reste au centre de
nombreux débats (5). Ainsi, dans un avis du 22 janvier
2007, la Commission fédérale “Droits des patients” au SPF Santé Publique
demande de garantir une indépendance plus forte. Elle demande de prévoir une
protection plus importante des médiateurs en leur accordant un statut
spécifique reconnu par la loi, et conserve l’idée d’un financement du
service par l’hôpital. Ce statut devrait prévoir les conditions de
recrutement, la mission, les incompatibilités de fonctions, la déontologie,
les règles de licenciement, les études, la formation (ndlr : pour l’heure,
seul un diplôme d’enseignement de type court est exigé, et aucune formation
continuée n’est prévue)... La Commission propose enfin que chaque médiateur
soit agréé.
“Idéalement, le
médiateur devrait être occupé exclusivement à cette fonction, être
facilement accessible et épaulé administrativement dans ses tâches”,
affirme Karen Mullie qui appelle à ce que la fonction bénéficie d’une
meilleure reconnaissance sociale et d’une coopération accrue avec l'ensemble
du personnel de l'hôpital. “Pour notre part, comme organismes assureurs,
nous estimons que la présence du médiateur au sein de l’hôpital est une
bonne chose car elle améliore l’accessibilité pour les patients et permet au
médiateur de travailler de manière efficace et constructive dans un climat
de confiance. Ceci est d’autant plus important que la communication et le
dialogue sont au centre des plaintes et du travail du médiateur”.
Une fonction en devenir
Les perceptions
négatives qui collent à la peau des institutions hospitalières par des
patients mécontents sont souvent injustement adossées aux médiateurs.
Pourtant, leur action apporte bien souvent des résultats positifs quand
l’intervention est précoce et rapide.
Cela étant, les
médiateurs eux-mêmes reconnaissent que la médiation ne peut plus reposer sur
la bonne volonté du prestataire ou de l’institution ou sur le seul dynamisme
du médiateur. Si l’on veut porter haut le respect des droits des patients et
éviter les dérives judiciaires à l’américaine, il est temps de donner aux
services de médiation hospitalière le statut, la reconnaissance et les
moyens qu’ils méritent …
Joëlle
Delvaux
(1) Depuis le 22 août 2002, la loi relative aux droits du
patient précise huit droits: le droit à des prestations de soins de qualité,
le droit au libre choix du praticien professionnel, le droit à
l'information, le droit au consentement, le droit de disposer d'un dossier
et de le consulter, le droit à la protection de la vie privée et le droit de
déposer plainte auprès de la fonction de médiation compétente.
(2) AR du 8 juillet 2003.
(3) Cette enquête a été réalisée avec le soutien financier
de la Fondation Roi Baudouin et la collaboration de l’UNMS. Le rapport est
disponible au CRIOC au 02/547.06.11. ou sur le site
www.crioc.be
(4) Dans les hôpitaux psychiatriques, la médiation est
majoritairement exercée par les médiateurs des plates-formes de concertation
en santé mentale.
(5) On lira notamment l’excellent dossier “Les droits du
patient en question” paru dans la revue Ethica Clinica n° 48 (2007). Tél.:
081/32.76.60. email :
ethica.clinica@fih-w.be
Quelles plaintes? |
Les plaintes
adressées le plus souvent aux médiateurs concernent la prise en
charge thérapeutique et relèvent du droit à des prestations de
qualité. Cependant, la mauvaise qualité de la relation
"patient/prestataire" est plus souvent mise en cause que le
caractère purement technique des soins prodigués. Il s’agit donc
davantage de demandes d’informations, d’explications et d’écoute.
Viennent ensuite par ordre décroissant les plaintes relatives au
droit à l’information, au droit au consentement libre et éclairé, au
droit de consulter son dossier médical, au droit au libre choix du
praticien professionnel et enfin au droit au respect de la vie
privée.
Les demandes
d’accord financier et la volonté de signaler des problèmes survenus
afin qu’ils ne se reproduisent plus à l’avenir sont les plus
fréquentes. Viennent ensuit les demandes d’excuses.
Quant aux
praticiens incriminés, les plaintes concerneraient davantage les
médecins et les infirmiers que les autres praticiens professionnels.
JD |
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