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100 ans, cela se fête ! (16 novembre 2006)

 

La solidarité est le fondement de la Mutualité chrétienne

 

 

 

Le caractère obligatoire de notre assurance maladie
n'a pas restreint les libertés de choix des patients et
les médecins ont gardé leur liberté thérapeutique.

 

Les 2 et 3 décembre 2006, l'Alliance nationale des Mutualités chrétiennes fête ses 100 ans. A cette occasion nous avons rencontré le Président, Marc Justaert, et le Secrétaire Général, Edouard Descampe. Ils nous rappellent quelques étapes importantes de cette longue histoire et nous disent leurs préoccupations face aux défis auxquels la Mutualité chrétienne est confrontée aujourd'hui.

 

En Marche :

Quelles sont, selon vous, les moments essentiels de l'histoire de l'Alliance nationale des Mutualités chrétiennes ?

 

Marc Justaert : L'événement le plus important, bien sûr, c'est la reconnaissance officielle de l'Alliance nationale des Mutualités chrétiennes par l'Arrêté Royal de 1906. Ce qui est remarquable, c'est que lors du Congrès de 1911, il a été clairement affirmé que les gens devaient pouvoir choisir librement leur mutualité. On ne voulait pas de "mutualité unique". Dans ces premières années,

Le libre choix de la mutualité et la responsabilité financière sont deux principes fondamentaux qui courent comme un fil vert, tout au long de notre histoire centenaire.

M. Justaert

les mutualités ont aussi fortement plaidé pour leur autonomie financière. Après la deuxième guerre mondiale, cela s'est traduit dans la 'responsabilité financière' au sein de l'assurance de maladie obligatoire. A ce moment-là déjà, les mutualités disaient donc que, sans responsabilité financière propre des mutualités, l'assurance maladie pourrait devenir impossible à financer.

Voilà deux principes fondamentaux: le libre choix de la mutualité et la responsabilité financière, ils courent comme un fil vert, tout au long de notre histoire centenaire.

En 1945, l'assurance maladie devient obligatoire pour les salariés et l'exécution de celle-ci est confiée aux fédérations mutuellistes. C'est une étape importante. Au début, la Mutualité chrétienne était même d'avis d'encaisser elle-même la cotisation pour l'assurance maladie obligatoire. Après beaucoup de discussions, le financement de l'assurance maladie a finalement été intégré dans le financement global de la sécurité sociale.

 

Edouard Descampe : L'introduction de l'assurance maladie obligatoire en 1945 et la mission légale de la gérer qui a été accordée aux mutualités, par le canal de leurs unions nationales, a été très importante pour l'Alliance nationale des Mutualités chrétiennes. Jusque-là, l'Alliance nationale n'était qu'un "petit" secrétariat situé rue Traversière à Bruxelles. Après, la logique s'inverse. La responsabilité se déplace alors progressivement des fédérations vers l'Alliance nationale, du moins pour la gestion de l'assurance obligatoire. C'est un moment charnière dans notre histoire. Une évolution que devait confirmer plus tard la loi du 6 août 1990 sur les mutualités.

 

  La tendance
vers l'individualisation ne se présente pas seulement dans notre secteur.
C'est une tendance
de fond de la société actuelle.

 

Marc Justaert

Marc Justaert : La loi de 1963, qui met en place une procédure de concertation entre les mutualités et le corps médical est une nouvelle étape très importante. Ce modèle de concertation est resté en place jusqu'à nos jours. Nos prédécesseurs ont négocié à ce moment-là avec les dirigeants des syndicats médicaux la mise en place de la nomenclature, le niveau des honoraires, les modalités de paiement, l'amélioration des remboursements…

En 1964, l'assurance maladie est élargie aux indépendants. D'autres étapes se rapportent surtout à l'élargissement et à l'amélioration des soins de santé, avec, à chaque fois, des discussions autour du fait que les coûts augmentaient toujours plus vite que le produit intérieur brut. Depuis le début, la grande préoccupation était de trouver le point d'équilibre entre l'amélioration du système et la recherche d'économies.

Enfin, un système de responsabilisation financière, mis au point en 1963 mais jamais mis à exécution, a finalement été réalisé en 1995. Celui-ci organise la redistribution des moyens entre les mutualités, pour une part en tenant compte de leurs dépenses, et pour une autre part en tenant compte du profil de risque de leurs membres, afin d'éviter que les mutualités ayant beaucoup de membres connaissant de graves problèmes de santé ne soient financièrement pénalisées.

 

En Marche : C’est donc au siècle dernier que nous avons évolué vers une assurance maladie obligatoire qui se généralise à toute la population, ou presque.

 

Edouard Descampe : Oui et ce qui est remarquable, c'est d'observer que ce caractère obligatoire n'a pas restreint les libertés. Au contraire. Le patient est resté libre de choisir son médecin. Le médecin a conservé sa liberté thérapeutique. Les gens sont restés libres de choisir leur mutuelle. Notre système d'assurance maladie a réussi à faire cette synthèse entre l'obligation et le respect des libertés. Ce qui n'a pas toujours été évident à défendre et à réaliser. À certains moments, le danger d'un service national de santé, comme le modèle britannique où il n'existe pas de liberté de choix du médecin ou celui d'une mutualité unique, comme le modèle français, a été bien réel. Nous n’en sommes heureusement jamais arrivé là.

 

En Marche : Dans la deuxième moitié du siècle dernier, l'Alliance nationale a également soutenu de manière très active le développement de différents mouvements.

 

Marc Justaert : Effectivement, l'Alliance a fait preuve d'un grand dynamisme dans le développement du mouvement social. Je pense aux cures d'air préventives, et plus tard à Jeunesse & Santé, l'Aide aux Malades, l'Union Chrétienne des Pensionnés. La mutualité a toujours pu compter, et compte toujours, sur de nombreux volontaires.

 

Edouard Descampe : Ce développement de nos mouvements est le résultat d'un échange constant d'idées entre l'Alliance nationale et les fédérations mutualistes. A un certain moment, tout le monde a compris qu'une structure nationale donnerait aux initiatives régionales plus de possibilités de développement et plus de dynamisme. On a donc très vite ressenti la nécessité de les organiser au plan national.

 

En Marche : Certains affirment aujourd'hui que confronté à la réalité de la concurrence commerciale, le métier de base de la mutualité sera de moins en moins l'assurance obligatoire et de plus en plus le bien-être, la prévention plutôt que la santé au sens complet du terme.

 

Pour nous, l'assurance maladie ne peut pas être confiée au secteur commercial parce que son fondement est la solidarité générale et que c'est précisément le métier de base de la Mutualité.

E. Descampe

Edouard Descampe (indigné) : Je trouve cette position totalement fausse ! C'est une attitude d'inspiration commerciale et marchande, bien dans l'air du temps qui vise à cantonner les mutuelles dans un rôle périphérique. Le souci de l'encadrement des malades et tout particulièrement des malades chroniques qui ont besoin de soins lourds et récurrents sera à l'avenir de plus en plus nécessaire. La gestion professionnelle de l'assurance maladie exige aussi des experts proches des réalités sociales. C'est là précisément que l'on aura besoin des mutualités ! C'est donc tout le contraire.

 

En Marche : Certes, mais la concurrence commerciale ne risque-t-elle pas de nous entraîner dans une stratégie que nous ne voulons pas ?

 

Marc Justaert : Ce danger existe effectivement, et je le regrette. Parce que, si on nous oblige à faire du bénéfice commercial, nous ne pourrons pas faire autrement que de recourir à la sélection des risques. Et cela est à l'opposé de nos principes fondamentaux. Notre position est claire et reste claire. Fonctionner "hors commerce" fait partie de notre mission. C'est pour nous une valeur importante. Nous voulons continuer à travailler en tant qu'organisation sociale qui exécute l'assurance maladie et qui, de plus, aide et soutient ses membres. C'est dans cet esprit que travaillent nos services d'assistance sociale. Leur philosophie de base est que derrière chaque dossier se trouve une personne qui a droit à une information correcte et à un accompagnement efficace.
Les autorités doivent soutenir à leur juste valeur le travail des organisations sociales non commerciales qui apportent une plus-value dans leur travail.

Va-t-on continuer à organiser les soins de santé comme un service d'intérêt général ou le laisserons-nous de plus en plus au secteur privé commercial ? La santé publique et les allocations d'invalidité sont des missions sociales importantes d'intérêt général. Va-t-on les confier aux organisations qui travaillent sans but lucratif ou allons-nous les confier au circuit commercial ? C'est une question clé et un choix de société fondamental !

 

Edouard Descampe : Les personnes âgées, les malades chroniques et les personnes handicapées ne sont pas un groupe cible intéressant pour le secteur commercial. Qui donc alors voudra s'en occuper ? Il est très grave que certains théorisent un tel choix pour l'avenir des mutualités !

 

Marc Justaert : Laisser à la responsabilité de l'Etat les gens qui ont besoin de soins lourds et aux mutualités uniquement les questions 'plus légères', comme cela se passe en France, n'est pas un bon choix.

 

En Marche : N'est-ce pas la tendance qui se dessine pourtant sur le plan européen ? Ne plaide-t-on pas en certains lieux pour un modèle européen de mutualité qui irait dans ce sens ?

 

Nos volontaires sont l'antidote de l'individualisme.
Ils sont dynamiques, actifs, connaissent ce qui se vit sur le terrain.
Cette capacité de mobilisation m'impressionne beaucoup.

E. Descampe

Edouard Descampe : Un modèle européen pour la mutualité, ce n'est pas pour demain ! La situation diffère beaucoup d’un pays à l’autre. En France, il y a une séparation entre la Caisse d'assurance maladie et les mutualités. Ce qui est dommage. Car les mutualités tendent à s'occuper de problèmes périphériques. Les mutualités allemandes peuvent se comparer aux mutualités belges. Elles exécutent l'assurance maladie obligatoire et, par conséquent, tout comme nous, se préoccupent des problèmes fondamentaux de santé publique. Elles sont aussi davantage liées aux syndicats. En Grande-Bretagne, l'Etat s'occupe de la santé publique de base et les assurances complémentaires sont dans les mains du secteur privé commercial. Pour nous, l'assurance maladie ne peut pas être confiée au secteur commercial parce que son fondement est la solidarité générale et que c'est précisément le métier de base de la Mutualité.

 

En Marche : La question aujourd'hui est bien de se demander si cette notion de solidarité a encore un sens pour les jeunes et les gens en bonne santé qui préfèrent choisir "à la carte" l'assurance santé qui leur convient ?

 

Edouard Descampe : C'est bien entendu la question cruciale. La possibilité du libre choix est tentante et risque de faire passer les gens "en bonne santé" vers les sociétés d'assurance commerciales et les mutualités "soft". Conserverons-nous donc uniquement les membres qui ont besoin de soins lourds et d'un solide encadrement, tandis que les gens en bonne santé feront du shopping en fonction de leurs besoins du moment ?

 

Marc Justaert : La tendance vers l'individualisation ne se présente pas seulement dans notre secteur. C'est une tendance de fond de la société actuelle. Cela s'observe aussi bien dans le comportement électoral que le comportement d'achat des gens. Mais nous ne pouvons accepter cette tendance vers l'individualisme.

Ainsi, on crée une santé publique à deux vitesses. Les gens qui ont assez de moyens financiers trouveront ce qu'ils recherchent dans le circuit commercial et les autres devront se contenter d'une forme de protection sociale de base proposée par l'Etat. Alors nous connaîtrons la situation des Etats-Unis, avec une assurance santé minimum pour les gens qui ont peu de moyens, et des assurances commerciales privées pour ceux qui disposent suffisamment de moyens financiers ou bénéficient d'une assurance de leur employeur. Nous ne sommes pas pour ce modèle parce que nous pensons que les gens ne peuvent y trouver leur avantage à long terme. Ce n'est pas le choix le plus facile, naturellement.

 

En Marche : Les gens se comportent de plus en plus en tant que consommateurs, à la recherche de la meilleure opportunité. Comment pouvons-nous, comme mutualité, ramer contre ce courant puissant?

 

 

Je suis persuadé que le primat du commercial
ne tiendra pas dans la durée et que les gens s'apercevront que cette tendance est superficielle

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  Edouard Descampe

Edouard Descampe : Les mutualités ont un statut juridique propre et un statut fiscal original. Au niveau européen, elles font l'objet de discussions depuis longtemps. Les mutualités ne sont-elles pas perçues comme différentes des assurances commerciales? Nous avons un cadre réglementaire clair qui précise ce que peuvent et ne peuvent pas faire les mutualités organisées sur la base de la solidarité, notamment en refusant la sélection des risques. C'est à partir de là que nous pouvons justifier notre spécificité. Si nous nous laissons aller à faire de la sélection de risques, à mettre en place des primes proportionnelles aux risques, à mettre fin à certains contrats après des sinistres coûteux, comme le font les sociétés d'assurance commerciales, il sera alors très difficile de défendre notre statut original de mutualité.

J'ai surtout peur de la mentalité libérale et individualiste qui se glisse de plus en plus dans notre société. Certaines mutualités se permettent d'attirer uniquement les membres en bonne santé, les plus intéressants parce que moins coûteux. C'est la mentalité consumériste qui se contente de demander : combien vais-je payer et que vais-je recevoir pour ce prix ? Dans ce raisonnement, il n'y a pas de place pour la solidarité, et cela met gravement péril nos systèmes de protection sociale.

 

En Marche : Dans ce contexte, la mutualité ne doit-elle pas valoriser sa dimension sociale par la participation de milliers de bénévoles dans son organisation ?

 

Comment persuader les gens qui ont des moyens et qui vivent en bonne santé de s'engager pour une mutualité dont le métier de base est d'organiser la solidarité.

M. Justaert

Marc Justaert : Nous restons partisans du bénévolat. Car, à côté de l'exécutant et du cogérant de l'assurance maladie nous sommes aussi un mouvement social qui a la volonté d'être proche des gens et veut tenir compte de leurs soucis et de leurs souhaits. Grâce à la présence des volontaires dans nos instances administratives, nous recevons des signaux importants dans la politique à suivre. Et nous prenons au sérieux la participation des volontaires. Le volontaire dans le Conseil d'administration de la Mutualité chrétienne a beaucoup plus à dire qu'un administrateur dans un Conseil d'administration bancaire, dans une société d'assurance ou dans un hôpital. Il y a une véritable dynamique de la participation parce qu'il y a un plus grand espace pour l'écoute et la parole. Le bénévolat est une valeur que nous continuerons à cultiver.

 

Edouard Descampe : Nos volontaires sont l'antidote de l'individualisme. Ils sont dynamiques, actifs, connaissent ce qui se vit sur le terrain. Cette capacité de mobilisation m'impressionne beaucoup. Et pas seulement dans nos instances. Nous trouvons toujours des volontaires pour soutenir des malades chroniques et des personnes handicapées, pour les transporter, pour les accompagner pour des soins, dans la vie quotidienne ou pour des vacances, pour les faire sortir de leur isolement.

Nous trouvons toujours des volontaires pour organiser nos vacances familiales et les vacances des jeunes. Nous avons un potentiel énorme de dévouement bénévole et c'est notre force. C'est la pédagogie de la micro-solidarité, la solidarité de proximité et celui qui s'engage chez nous comme bénévole comprend aussi la valeur de la macro-solidarité organisée dans le cadre de la sécurité sociale.

 

En Marche : Mais les gens examinent aujourd'hui leur avenir au travers de lunettes individualistes…

 

Marc Justaert : La question est comment convaincre nos contemporains de la valeur de la solidarité. Comment persuader les gens qui ont des moyens et qui vivent en bonne santé de s'engager pour une mutualité dont le métier de base est d'organiser la macro-solidarité et la solidarité de proximité ? Nous devons "vendre" la solidarité en des termes contemporains.

Savez-vous que les malades et les personnes âgées étaient autrefois accueillies au sein de leur famille et soignées chez elles ? Lorsque le contexte social ne l'a plus permis, la solidarité générale a permis de créer des organisations qui s'occupent des soins à domicile. Mais, où va-t-on, si demain on ne souhaite plus financer cette macro-solidarité ?

 

 

Grâce à la présence des volontaires dans nos instances administratives, nous recevons des signaux importants dans la politique à suivre.  Et nous prenons au sérieux la participation des volontaires.  Le bénévolat est une valeur que nous continuerons à cultiver.

 

Edouard Descampe : C'est alors la légitimité de notre sécurité sociale qui serait remise en question. Et ceux qui trouvent que le système coûte trop cher, sont-ils prêts pour autant à soigner eux-mêmes les personnes âgées ou les parents qui ont besoin de soins à domicile ? C'est bien de cela qu'il s'agit.

Je suis persuadé que le primat du commercial ne tiendra pas dans la durée et que les gens s'apercevront que cette tendance est superficielle. Nous ne devons donc pas nous laisser entraîner sur cette pente.

Il est toutefois dommage que toutes les mutualités ne partagent pas cette opinion. Les pratiques agressives et commerciales de certains collègues ne correspondent pas en effet aux missions des mutualités et peuvent nuire gravement à l'image et au rôle des mutualités.

 

Marc Justaert : Les médias jouent sur cette vague individualiste et commerciale. Pourtant, dans toutes les études scientifiques, on souligne l'intérêt de la vie associative comme moyen de répondre à la solitude et de défendre la démocratie. Mais dans la pratique les gens se replient de plus en plus sur eux-mêmes. C'est le dilemme de notre société moderne auquel nous avons à répondre.

 

Propos recueillis par

Greet Meulenaere et

Christian Van Rompaey