International
(1er mai 2008)
La réponse
des mutuelles de santé au défi de la pauvreté
Le 30
mars dernier, une manifestation contre la hausse du coût de la vie était
durement réprimée à Dakar. Non loin de là prenait fin un atelier de travail
sur les mutuelles de santé organisé par le service de coopération
internationale de la Mutualité chrétienne et ses partenaires d’Afrique de
l’Ouest. L’occasion, dix ans après le lancement du programme d’appui aux
mutuelles de santé en Afrique (1), de poser la question de
l’impact du mouvement mutualiste dans un contexte mondial de pauvreté
croissante.
A
Baoura au Bénin, une séance d’éducation à
la
santé est aussi l’occasion de
se
mettre en ordre
de
cotisations.
A
quelques jours du quarante-huitième anniversaire de l’indépendance du
Sénégal, la presse était sur le qui-vive dans la capitale. Et ce n’était pas
pour commenter les festivités à venir mais plutôt ce qui allait les ternir,
soit la répression musclée par la police d’une manifestation organisée par
l’Association des consommateurs du Sénégal pour protester contre la hausse
récente du prix du riz, de l’huile et du savon.
De tels rassemblements,
également baptisés «émeutes de la faim», se multiplient actuellement en
Afrique de l’Ouest ainsi qu’ailleurs dans le monde, notamment en Haïti, aux
Philippines ou encore au Pakistan.
Dans un entretien récent
au journal Libération, Jean Ziegler prédisait “une très longue période
d'émeutes, de conflits, des vagues de déstabilisation régionale
incontrôlable, marquée au fer rouge du désespoir des populations les plus
vulnérables” (2).
Ce point de vue vient
s’ajouter aux nombreuses voix qui s’élèvent face aux conséquences sociales
souvent dramatiques des politiques du Fonds monétaire international (FMI)
dans les pays aux prises avec le remboursement de la dette.
Entre autres mesures
adoptées dans le cadre des programmes d’ajustement structurel, la
dévaluation du franc CFA en janvier 1994 et la réduction drastique des
dépenses publiques ont eu un effet direct sur l’état de santé des
populations en réduisant l’accès et la qualité des soins.
L’initiative de Bamako,
adoptée en 1987, se voulait une politique de relance de la stratégie des
soins de santé primaires. Vingt ans après, on constate notamment que la
facturation directe des soins aux usagers a créé une importante barrière
financière au sein de la population, en marginalisant davantage certains
sous-groupes déjà très vulnérables, alors même que cette initiative
cherchait à renforcer l’équité (3).
En 2001, l’OMS
établissait une corrélation évidente entre l’état de santé de la population
et la croissance économique d’un pays. Les plus démunis sont, sans surprise,
les premières victimes. Incapables d’assumer leurs dépenses de santé, quand
eux ou leur famille sont touchés par la maladie, ils ne peuvent obtenir les
soins qui leur permettraient de reprendre des activités rémunératrices ou
mettent un frein à celles-ci pour pouvoir se soigner.
Face à ce constat, les
acteurs africains du secteur de la santé et les mouvements sociaux ne
cessent de se mobiliser pour trouver des solutions au double défi de
l’amélioration de la santé des populations et du financement durable des
soins de santé.
L’appui de la Mutualité chrétienne aux mutuelles de santé
C’est dans ce contexte
socio-économique difficile, caractérisé par l’irrégularité et la précarité
des revenus des populations, que les premières mutuelles de santé ont vu le
jour en Afrique de l’Ouest. Parmi d’autres initiatives d’économie sociale,
elles ont pour but de renforcer le capital humain, le capital social et la
solidarité pour lutter contre la vulnérabilité des populations dans le
domaine de la santé.
En 10 ans, Promusaf a permis l’émergence effective de nombreuses
mutuelles de santé en Afrique. |
Leur mise en place s’est
notamment appuyée sur la tradition d’entraide mutuelle bien ancrée en
Afrique et s’est également inspirée de la philosophie du mouvement
mutualiste tel qu’il existe en Belgique.
Pour apporter un soutien
technique, méthodologique et financier aux initiatives mutualistes
naissantes et les appuyer dans la recherche d’une solution durable à cette
problématique, la Mutualité chrétienne, l’ONG Solidarité Mondiale et le BIT-ACOPAM
(4) ont uni leurs efforts dès 1995. Trois ans plus tard, le
programme Promusaf voyait le jour et s’implantait au Bénin, au Burkina Faso,
au Mali et au Sénégal.
Depuis 2003, le Promusaf
est intégré dans un programme (5) plus large introduit
auprès du Fonds belge de survie, dont la deuxième phase quinquennale a
débuté en 2008. Ce dernier combine les activités génératrices de revenus, le
microcrédit et les mutuelles de santé pour lutter contre la pauvreté de
manière intégrée, à travers la mise en réseau et l’organisation de synergies
entre ces initiatives.
Dix ans après le
lancement du programme, les partenaires africains et belges réunis à Dakar
ont saisi cette opportunité pour faire le point sur la situation des
mutuelles de santé dans la sous-région et définir ensemble les orientations
futures et les priorités d’action.
Ce moment d’échange
était d’autant plus important que l’équipe d’encadrement à Bruxelles avait
connu ces derniers mois plusieurs changements. Pour Aboubakar Koto-Yerima,
du Promusaf Bénin : “L’atelier est venu répondre à un souhait des
coordinateurs nationaux d’avoir un temps de rencontre pour réfléchir aux
défis et aux enjeux du développement des mutuelles de santé dans nos pays
respectifs.”
Partenariats entre le Nord et le Sud
Parallèlement au
programme, le service de coopération de la Mutualité chrétienne a
progressivement mis en place des partenariats entre mutualistes du Nord et
du Sud. Ceux-ci contribuent au renforcement des conditions de travail des
mutuelles de santé et de leurs unions, à la visibilité des mutuelles de
santé et améliorent les conditions de vie des mutualistes là où se sont
développées des activités de microcrédit. C’est notamment le cas à Thiès, où
la mission, renforcée par une délégation de trois personnes de la Mutualité
chrétienne de Verviers-Eupen, s’est rendue pour une visite de terrain auprès
de son partenaire, la Coordination régionale des mutualités de santé de
Thiès.
Jacques Thielen,
directeur de la Mutualité chrétienne de Verviers-Eupen : “Notre
partenariat avec Thiès date de 2001. Trois ans après notre dernière mission,
nous apprécions vraiment la professionnalisation du travail de notre
partenaire, notamment en matière de microcrédit. Entre rencontres avec les
mutualistes sur le terrain et séances de travail à la Coordination, ces
quelques jours sur place ont permis de croiser les regards sur des
thématiques qui nous concernent tous, comme la solidarité et la santé.”
Outre la Mutualité
chrétienne de Verviers-Eupen, huit autres fédérations ont tissé un
partenariat avec l’Afrique. La Mutualité chrétienne de Hainaut Oriental
travaille avec la région de Ségou au Mali ; la Mutualité chrétienne Midden
Vlaanderen est active au Burundi ; celle de Waas & Dender développe des
projets en Guinée. En RD Congo, la Mutualité chrétienne de Hainaut Picardie
est engagée au Sud-Kivu et celles de Mechelen et de Roeselare-Tielt dans le
Nord-Equateur. Enfin, la Mutualité chrétienne de la Province du Luxembourg
est en partenariat avec le Bénin et celle de Liège avec le Burkina Faso.
Un bilan tourné vers l’avenir
Depuis dix ans, la
situation économique ne s’est pas améliorée. Elle s’est même aggravée dans
les pays d’intervention du Promusaf. Avec la chute du prix du coton
(6) au plan international et la hausse du prix des produits
pétroliers et des denrées de première nécessité, le pouvoir d’achat des
populations s’est considérablement érodé.
En dépit de cette
paupérisation continue, les mutuelles de santé enregistrent des progrès
importants grâce à la mobilisation des bénévoles qui enchaînent les
activités pour que les populations vulnérables adhèrent et cotisent.
Le mouvement mutualiste
s’implante progressivement dans la sous-région. Fin mars 2008, le programme
soutenait 150 mutuelles et comptait 100.000 bénéficiaires, contre 35.000 en
2001.
Malgré leur petite
taille, elles prennent en charge une grande partie des dépenses en soins de
santé (ambulatoires et/ou hospitaliers) de leurs membres et leur rendent
d’énormes services dans d’autres secteurs de la vie socio-économique
(activités génératrices de revenus, santé préventive, éducation…).
La mise en réseau des
mutuelles leur permet d’influer sur les questions de santé au niveau local
et national. Au Nord-Bénin par exemple, le plaidoyer mené par l’Union de
Bembèrèkè a entraîné une réduction du coût des prestations dans les
formations sanitaires et une meilleure disponibilité en médicaments
essentiels génériques.
Un partenariat se met
également en place entre mutuelles de santé et collectivités locales. Ainsi,
au Mali, plusieurs mutuelles de santé de la région de Ségou ont reçu des
subventions pour leur fonctionnement ainsi que des locaux pour abriter leur
siège. L’Etat assume également peu à peu son rôle.
Pour les prochaines
années, les défis à relever par le Promusaf sont multiples. A court, moyen
et long terme, ils visent à accompagner et à encadrer au mieux les mutuelles
de santé dans ces étapes de développement, renforcement, consolidation et
responsabilisation.
En dix ans, le programme
a permis l’émergence effective de nombreuses mutuelles de santé dans la
sous-région et à travers leur action, l’amélioration de l’accès des
individus aux soins de santé de qualité, notamment grâce à un dialogue accru
entre prestataires de soins et la communauté. Cependant, les défis qui
attendent d’être relevés sont encore nombreux alors que seul un très faible
pourcentage de la population est couvert par les mutuelles de santé. Pour ce
faire, la mobilisation et l’engagement soutenu de tous les acteurs du réseau
est plus que jamais nécessaire.
Caroline Lesire
Chargée de projets Afrique,
service de coopération internationale
Plus
d’informations :
Chaussée de Haecht, 579 BP 40 - 1031 Bruxelles -02/246.43.30 -
caroline.lesire@mc.be
(1) Le PROMUSAF (Programme d’appui aux mutuelles de santé en
Afrique) a été lancé en 1998 par la Mutualité chrétienne et l’ONG Solidarité
Mondiale au Bénin, au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal.
(2) Propos de Jean Ziegler dans Libération, 14 avril 2008.
(3) Ridde V. et Girard J.-E., Douze ans après l’initiative
de Bamako : constats et implications politiques pour l’équité d’accès aux
services de santé des indigents africains, Santé publique 2004/1, N° 41, p.
37-51.
(4) Le BIT-ACOPAM (Programme d’appui associatif aux
initiatives de développement à la base) a été remplacé par un nouveau
programme multilatéral: le BIT-STEP (stratégies et techniques de lutte
contre l’exclusion sociale et la pauvreté).
(5) Programme d’appui aux initiatives d’économie sociale et
mutualistes comme stratégie de lutte contre la pauvreté et l’insécurité
alimentaire en Afrique de l’Ouest.
(6) Le Bénin, le Burkina Faso et le Mali sont des pays
producteurs de coton.
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