International
(4 décembre 2008)
Les
sous-munitions ont perdu la guerre
Grâce à sa prothèse, Khtoeup Veb peut à nouveau travailler dans les champs.
Chaque année plus de 5000 patients bénéficient des services de centresde
réadaptation physique gérés
par Handicap International.
Liban,
1999. Ahmad a 5 ans. Le jour de son anniversaire, sa famille se rend dans un
parc public. Pendant qu’il joue avec son frère, ses parents disposent les
bougies sur le gâteau. Il n’aura pas le temps de les souffler. Attiré par
ses couleurs vives, Ahmad ramasse un objet qui lui explose au visage. Il
vient d’être tué par une bombe à sous-munitions.
"Mon
fils n’était pas un terroriste, ni un criminel. C’était un enfant qui
voulait s’amuser et profiter de la vie”, nous explique Raed Mokaled lors
d’une conférence de presse organisée par la section belge de Handicap
international, à l’occasion du lancement de l’exposition Fatal Footprint,
l’empreinte fatale (voir encadré).Depuis cet accident,
Monsieur Mokaled est devenu “Ban Advocate”, avocat de l’interdiction,
et parcourt la planète pour essayer de dissuader les responsables politiques
du monde entier de continuer à utiliser l’arme qui a tué son fils.
Qu’est-ce qu’une arme à sous-munitions?
Une bombe à
sous-munitions (BASM) est un conteneur (missile, obus, roquette…) dans
lequel on introduit entre une dizaine et plusieurs centaines d’autres
bombes, plus petites, appelées sous-munitions. Une fois lancé, le conteneur
va s’ouvrir et disperser ses bombes de petit calibre, non seulement
au-dessus de la cible, mais aussi aux alentours, sur un territoire très
vaste.C’est dire leur danger
pour les civils, pendant un conflit, bien sûr, mais aussi des années plus
tard. La paix revenue, les petites bombes non explosées continuent en effet
à mutiler et tuer hommes, femmes et enfants qui vaquent à leurs occupations
quotidiennes: les agriculteurs travaillant dans leurs champs, les mères de
famille en quête de bois pour cuire le repas ou les enfants qui les prennent
pour des jouets. Outre les drames humains qu’elles provoquent, elles font
aussi obstacle à la reconstruction post-conflit, retardent le retour des
réfugiés dans leur pays et constituent des entraves pour le développement
économique et social des régions infestées.Employées pour la
première fois par l’Allemagne et l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale,
ces armes ont ensuite été massivement utilisées par les Américains au Laos
et au Vietnam. Depuis lors, au moins 25 pays à travers le monde, de
l’Afghanistan à la Bosnie en passant par l’Ethiopie et l’Irak, le Kosovo et
le Liban, ont été le théâtre de leurs drames.
Une convention
révolutionnaire
Signée à Oslo, ces 3 et
4 décembre 2008, par plus d’une centaine de pays (1), la
Convention sur les armes à sous munitions (CCM, Convention on Cluster
Munitions) va changer la donne. En vertu de ce texte, juridiquement
contraignant, chaque Etat signataire s’engage en effet à ne plus produire,
acquérir, stocker, conserver, transférer ni employer d’armes à
sous-munitions. S’agit-il d’un catalogue
de bonnes intentions supplémentaire, qui prendra la poussière sur les
étagères déjà bien fournies du droit international? “Non, c’est une
convention très forte qui aura des effets réels sur le terrain, nous
répond Hildegarde Vansintjan, responsable du plaidoyer à Handicap
international Belgique. Par certains aspects, elle est même
révolutionnaire, dans la mesure où elle contient des dispositions concrètes
et précises concernant l’assistance à fournir aux victimes. L’article 5
stipule, par exemple, que chaque Etat partie prodiguera aux survivants “des
soins médicaux, une réadaptation et un soutien psychologique ainsi qu’une
insertion sociale et économique”. Il faut aussi souligner que le terme
“victime” lui-même y est défini dans une acception très large, puisqu’il
désigne “les personnes directement touchées par des armes à sous-munitions,
ainsi que leur famille et leur communauté affectées” (article 2)”.
Les bémols
Les Etats-Unis, la
Russie, la Chine et l’Inde ont jusqu’ici refusé de signer cette convention,
de même qu’Israël, la Corée du Nord, l’Iran ou le Pakistan. Cette attitude
ne risque-t-elle pas de réduire comme une peau de chagrin les effets du
texte?“Il est vrai que
plusieurs pays, parmi les plus importants, n’ont pas encore adopté le traité,
concède Stan Brabant, directeur de l’unité politique à Handicap
international Belgique. Mais l’usage de ces armes par des pays non
signataires va devenir très problématique, voire impossible, car les
obstacles liés à leur transport, à leur entreposage et à leur utilisation
vont se multiplier. Le ministre britannique des Affaires étrangères a par
exemple déjà averti que ‘même sans avoir signé la convention, les Etats-Unis
ne seront plus en mesure d’entreposer de telles armes sur le territoire du
Royaume-Uni.’” Sans compter l’opprobre
qui va entourer leur utilisation. Plus personne désormais ne pourra
considérer ces armes comme légitimes. Les “non signataires” feront l’objet
de stigmatisation de la part de la communauté internationale.
“Parmi les bémols,
poursuit Stan Brabant, je citerais plutôt l’article 21, dont le
paragraphe 3 prévoit que “…les Etats parties, leur personnel militaire ou
leurs ressortissants peuvent s’engager dans une coopération et des
opérations militaires avec des Etats non partie à la présente Convention qui
pourraient être engagés dans des activités interdites à un Etat partie.”
C’est une formule particulièrement maladroite. Nous resterons dès lors
vigilants pour garantir qu’aucun Etat signataire n’apporte
intentionnellement assistance à un autre Etat pour commettre un acte prohibé
par ce traité. Il
n’en demeure pas moins qu’un pas de géant vient d’être accompli. Savez-vous
qu’il y a dans le monde plusieurs milliards d’armes à
sous-munitions, réparties dans les stocks des différents Etats? Et par la
grâce de cette convention, qui est le fruit de 5 ans de travail acharné,
elles seront progressivement mises hors d’état de nuire. En
2003, quand on a commencé à aborder le sujet, on n’osait même pas appeler à
une interdiction, tant cela paraissait énorme. Ce n’est qu’en 2005 qu’on a
commencé à en parler.”
La Belgique à l’avant-garde
Si la Coalition contre
les sous-munitions, qui rassemble plus de 300 organisations de la société
civile, issues de 80 pays, s’est fortement mobilisée, il faut également
souligner le rôle de pionnier joué par la Belgique. C’est en effet le
premier pays au monde à avoir adopté, dès 2006, une loi interdisant ces
armes. De surcroît, alors que les pays signataires du traité d’Oslo ont 8
ans pour détruire leurs stocks, la Belgique a également pris de l’avance en
ce domaine, puisque cette destruction devrait y être achevée dès le
printemps 2009. Initié par la Belgique,
le processus d’interdiction des armes à sous-munitions a été relayé sur le
plan international par la Norvège, ce qui démontre que les petits pays
peuvent impulser des politiques de grande ampleur. En mai 2008, lors de la
conférence de Dublin, qui avait pour vocation de préparer celle d’Oslo,
certains Etats présents émettaient encore des réserves quant à
l’interdiction complète des armes à sous-munitions. Les Ban Advocates,
personnes issues des communautés affectées par ces armes, ont alors joué un
rôle déterminant pour les convaincre.Dans une actualité
souvent très sombre, où les bonnes nouvelles sont plutôt rares, la signature
de cette convention fait figure de chaud soleil au cœur de l’hiver. Mais le
combat n’est pas terminé pour autant. Il reste à convaincre les pays qui ne
l’ont pas encore signée de franchir le pas. Et à vérifier que les
dispositions concernant l’assistance aux victimes et la dépollution des
sites soient pleinement appliquées. Une belle mobilisation en perspective.
Anne-Marie Impe
(1) Au moment de mettre sous presse, la conférence est en
cours et le nombre final de pays signataires n’est pas encore connu. Il
devrait avoisiner les 107 Etats.
Exposition |
Des rescapés témoignent sous l’œil des photographes |
A quelques pas de la Grand Place de Bruxelles, une soixantaine
d’images réalisées par trois photographes belges de talent
présentent les conséquences des armes à sous-munitions sur la vie
des civils: des victimes innocentes touchées parfois longtemps après
les conflits.
D’énormes
cubes de 2 mètres et demi, illuminés de nuit, ornent la Place de
l’Albertine juste au-dessous du Mont des Arts et à proximité de la
Gare Centrale. C’est donc à un endroit stratégique, qui fera
d’ailleurs partie du parcours “Plaisirs d’hiver” de Bruxelles, que
l’exposition de photographies “Fatal Footprint” d’Handicap
International a pris ses quartiers. Tim Dirven parti au Laos, Gaël
Turine parti en Colombie et en Ethiopie et John Vink au Cambodge
témoignent avec pudeur, avec leur arme de prédilection, l’appareil
photo, en noir et blanc ou en couleur, de la réalité quotidienne des
civils touchés par des armes à sous-munitions ou d’autres engins de
guerre non explosés. Cette exposition n’a rien d’alarmiste et ne
joue pas dans le registre de la dramatisation. Au contraire, elle
permet de voir le courage de ceux qui continuent à vivre avec leurs
blessures. Ainsi, Aynalem Zenebe en Ethiopie que Gaël Turine a
suivie pendant plusieurs jours. “Je ne veux pas que d’autres
personnes connaissent les mêmes problèmes que moi à cause des armes
à sous-munitions” nous dit-elle. Au côté d’une image où sont
déposées dans une bassine verte une série de prothèses de jambe on
apprend qu’Aynalem a eu besoin de 9 prothèses depuis son accident
survenu alors qu’elle avait 7 ans. En Colombie, Eli, Didier, Carlos
ou Luis ont pu retrouver leur membre mais aussi un sens à leur vie
grâce à l’action d’Handicap International sur le terrain. Au Laos,
l’image d’étranges bateaux interpelle le spectateur. Ce sont des
conteneurs de sous-munitions en aluminium qui se transforment en
bateaux de pêche. On esquisse un sourire, avec un pincement au cœur,
devant cette image d’une prothèse de bras et de main qui sèche avec
le linge de maison dans un jardin cambodgien. Les accidents par
manipulation volontaire constituent la majorité des accidents au
Cambodge. Cette
impressionnante et très touchante exposition est à voir jusqu’à la
fin de l’année.
Françoise Robert
Infos:
Fatal Footprint, Place de l’Albertine à voir jusqu’au 30 décembre,
www.fatalfootprint.be
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