International
(3 mai 2007)
Le combat
d’une syndicaliste
pour son peuple
En Guinée, la vie quotidienne est
un combat. Pour la première femme à la tête d’un syndicat national en
Afrique, ce combat se double de la responsabilité de porter les espoirs de
tout un peuple. Rencontre de Rabiatou Serah Diallo invitée à témoigner de la
tragique situation du peuple guinéen, lors de la récente Semaine sociale du
MOC.
"Voilà, c’est avec cela qu’ils
tirent sur nous, sur les jeunes». Calmement, comme s’il s’agissait d’une
chose normale, Rabiatou Serah Diallo tire d’un sachet des douilles de gros
calibre qu’elle a ramassées dans les rues. «Ce ne sont pas des balles à
blanc!». En effet, dans son pays, la
Guinée Conakry, être syndicaliste, c’est lutter au péril de sa vie. Et
Rabiatou Serah Diallo, secrétaire générale de la Confédération nationale des
travailleurs de Guinée (CNTG) se trouve en première ligne du combat de son
peuple. C’est elle qui a dirigé le mouvement de contestation qui a secoué la
Guinée au début de cette année. Arrêtée, emprisonnée, elle a été libérée
sous la pression de la communauté internationale, notamment de la CSC qui
l’a invitée en ce mois d’avril en Belgique pour lui permettre de témoigner
de la situation du peuple guinéen et du combat qu’elle mène inlassablement,
avec patience et fermeté, malgré le danger.
Une profonde misère
Extrêmement riche en ressources
minières (diamants, or, fer, uranium et, surtout, bauxite), la Guinée est
pourtant l’un des pays les plus pauvres du monde. Le régime du président
Lansana Conté, en place depuis plus de vingt ans, l’a plongé dans une
profonde misère économique et sociale: «La Guinée traverse une crise sans
précédent, avec une terrible gabegie, une très mauvaise gouvernance et un
endettement colossal. Le peuple a faim. Il n’a rien à manger. La Guinée
produit un riz de grande qualité. Mais il n’y en a pas sur les marchés. Tout
part à l’exportation, au profit de quelques-uns. Sur les marchés, les
denrées sont de second ou troisième choix et horriblement chères. Je n’ai
jamais pu goûter à ce riz si réputé, mais hors de prix», explique Rabiatou
Serah Diallo. Le peuple a soif. Il n’a pas accès aux soins de santé. Il y a
deux hôpitaux, à Conakry, mais vous y entrez avec une maladie, vous en
sortez avec cinq, car il n’y a pas d’eau, pas de médicaments». La situation
est à ce point désespérée qu’en novembre 2005, la CNTG, le plus ancien
syndicat du pays, décrète une grève de 48 heures et propose à l’Union
syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) de s’y associer. Quatre
syndicats se lancent dans le mouvement.
A mourir pour mourir
«Nous savions que, d’une manière
ou d’une autre, nous allions mourir. Alors, autant le faire pour le peuple.
On s’est donné la main et on a avancé», raconte Rabiatou avec simplicité.
Rien ne change. Alors, en mars 2006, les quatre syndicats lancent un nouveau
mot d’ordre de grève pour demander la diminution du prix des denrées
alimentaires de base et de l’essence. En mai, les enseignants se remettent
en grève. «Les examens ont été suspendus, mais le président a ordonné leur
organisation. Quand les jeunes sont arrivés en classe, ils ont vu des
soldats à la place des profs et ils se sont révoltés». En juin 2006, un
nouveau mot d’ordre de grève est lancé. «Nous avions demandé aux gens de
rester tout simplement chez eux pour éviter la terrible répression suscitée
par la grève précédente. Les gens ont respecté ce mot d’ordre. Il n’y avait
personne dans les rues! Cela a duré neuf jours. Et puis la répression à
nouveau et à nouveau des morts. En effet, il y a une armée dans l’armée. Le
fils du président a ses propres troupes, les Bérets rouges, qui échappent
aux ordres de l’état-major et commettent des exactions. Et puis des troupes
sont venues de Guinée Bissau», précise Rabiatou Serah Diallo.
Le feu sous la marmite |
Rabiatou Serah Diallo a un
courage immense, une volonté inébranlable et une parfaite modestie. “C’est
la Mandela du syndicalisme”, dit d’elle un de ses amis syndicalistes belges.La première femme à accéder à la
tête d’un syndicat national en Afrique est née en Guinée, en 1950, dans une
famille nombreuse du milieu rural. Elle est musulmane et confie devoir à sa
famille son engagement pour la solidarité, pour l’équité car “l’Islam nous
impose d’être solidaires”. A l’école déjà, elle était à la tête du comité de
coordination entre élèves, professeurs et direction. Elle se présente pour
la première fois à une élection à la CNTG en 1969. Elle n’est pas élue car
beaucoup estiment alors que ce n’est pas le rôle d’une femme. 31 ans plus
tard, en 2000, Rabiatou serah Diallo prend la tête de la CNTG.Au pouvoir qui l’accuse de mettre
le feu au pays, elle rétorque: “Je suis femme et mère de six enfants. Quand
je mets le feu, c’est sous la marmite pour nourrir mes enfants. Mais la
marmite est vide et c’est cela qui met le feu au pays”. |
Combattre, inlassablement
Mais, inlassablement, les
syndicats continuent la lutte, ce qui est plus difficile encore dans un pays
où le secteur informel domine: «Les revendications des syndicats sont celles
de toute la population et cela, les gens l’ont bien compris. Ils savent
aussi que nous ne voulons pas le pouvoir pour nous. Et ils luttent avec
nous», explique la secrétaire générale de la CNTG. Ainsi, le 10 janvier
dernier, suite à une nouvelle hausse des produits de première nécessité, un
nouveau mot d’ordre de grève générale est lancé.
«Tout était devenu trop
cher: le prix du riz était multiplié par trois, celui du pain par deux, du
poisson par quatre. L’électricité ne fonctionne que deux heures par nuit.
Les enfants ne vont plus à l’école parce que les professeurs ne peuvent plus
payer les frais de transport pour se rendre au travail…».Le 16 janvier, des forces armées
investissent la Bourse du travail où sont rassemblés des élus des quatre
syndicats qui participent à la grève, et des coups de feu sont tirés. Le
lendemain, malgré cette intimidation, les syndicalistes entreprennent une
marche pour remettre au président de l’assemblée une lettre commune où ils
dénoncent le pouvoir en place. Ils se trouvent face à des chars et à des
soldats qui tirent sur eux. Rabiatou fait partie des blessés. Le soir même,
les responsables syndicaux sont arrêtés et emprisonnés. Le président en
personne leur annonce qu’il les fera mourir à petit feu… Mais, du monde
entier, les protestations s’élèvent et, finalement, les syndicalistes sont
relaxés.
Premières avancées
Le 22 janvier, des forces armées,
menées par le fils du président, investissent à nouveau la Bourse du
travail. «Ils nous ont menottés, frappés, arrêtés. Il ont incendié la Bourse
du travail et ils ont emporté ce qu’ils n’ont pas brûlé. Les jeunes se sont
révoltés et ont entrepris une marche. Ils marchaient en chantant et les
soldats les ont abattus comme des chiens»… Mais le mouvement ne faiblit pas.
Après 18 jours de grève et des centaines de morts, le président accepte de
nommer un nouveau Premier ministre. Le 2 février, il nomme un de ses
proches qui figure parmi les responsables des tueries de juin 2006. Les
syndicats menacent de se remettre en grève. Le couvre-feu est décrété.
«Ils
marcheront sur nos cadavres s’il le faut, mais nous ne nous soumettrons
plus», affirme la secrétaire générale de la CNTG.
Et ce sont les premières
avancées, durement payées:
«Suite à une médiation de la société civile et
des chefs religieux chrétiens et musulmans, un Premier ministre a été nommé.
Il a été choisi parmi cinq candidats proposés par les syndicats. Il
travaille selon un «ordre de mission» négocié avec les syndicats».
Pour Rabiatou Serah Diallo, le
pays est sorti de la crise, mais la situation reste très fragile:
«Le
nouveau gouvernement doit mener une restructuration profonde. Mais le
président et ses réseaux s’accrochent. Les exactions continuent. Tout a été
détruit. Pendant mon séjour en Belgique, mes plantations ont été brulées et
mes amis m’ont appelée pour me demander de rentrer au pays car cela va mal».
Et de conclure par ce cri de désespoir: «Tant que ce président est au
pouvoir, rien ne changera. Il y a des élections législatives en juin mais
elles seront confisquées par le pouvoir en place alors qu’il est minorisé.
En attendant, le peuple de Guinée est en train de mourir. Et la Communauté
internationale n’a pas l’air de s’en émouvoir».
Propos recueillis
par Anne-Marie Pirard
SOUTIENS ET PRESSIONS |
“Je ne sais quel courage nous a
animés. Mais nous ne convoitons pas le pouvoir, alors on ne peut pas nous
diviser. Et la victoire ne nous revient pas à nous seuls. Vous nous avez
appuyés et nous ne sommes pas orphelins!” C’est avec émotion que Rabiatou
serah Diallo adresse ces mots à Luc Cortebeeck, Président de la CSC, à
l’attention des syndicalistes chrétiens. La CSC soutient en effet tout
particulièrement l’organisation syndicale la plus importante de Guinée. Un
soutien financier d’abord (le bâtiment de la Bourse du travail a été en
partie financé par la CSC) mais pas uniquement. L’accompagnement sur le
terrain, l’organisation de formations et d’échanges ainsi que la pression
exercée via les institutions internationales (UE, BIT, FMI…) sont aussi très
importants. “L’Afrique est malade et meurt à
petit feu un peu partout”, accuse la syndicaliste guinéenne.
“Les
partis politiques sont inexistants ou cherchent à vivre pour eux-mêmes
comme des clans, en défendant
leurs intérêts personnels. Ils n’ont pas d’idéologie, de
convictions. Beaucoup de chefs d’Etat en Afrique représentent une minorité
de gens, prennent le peuple en otage et pratiquent la mauvaise gouvernance
et la corruption. Quand les pays occidentaux prennent des sanctions à leur
encontre, c’est le peuple qui en souffre. Les dirigeants ont leurs hôpitaux,
leurs magasins, leur groupe électrogène. Ils envoient leurs enfants se
soigner ou étudier à l’étranger. Les sanctions ne sont donc pas une
solution. Par contre, quand les pays du nord aident financièrement les Etats
africains à sortir de la pauvreté, ils sont complices des régimes en place
car ce n’est pas le peuple qui en bénéficie mais les dirigeants qui vivent
dans l’opulence! En réalité, la Communauté internationale a le pouvoir de
faire changer les choses. Encore faut-il qu’elle le veuille”, soupire avec
lassitude Rabiatou serah Diallo.
JD |
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