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Argentine  : Tango tragique (7 février 2002)
On les qualifie de Français d’Amérique latine, en raison de leur complexe de supériorité. Les Argentins, pourtant, sont obligés de déchanter: drame social, impasse économique et déglingue politique les poussent à bout.


N
ous sommes ruinés. L’Argentine est devenue un pays riche peuplé de pauvres.” Dans la bouche du nouveau président argentin Duhalde, ces mots, le nous surtout, font grincer des dents. Car si l’Argentine est au bord de la banqueroute, si tous ceux qui vivent de leur travail ont la corde au cou, d’autres s’en tirent sans trop de mal. A commencer par une caste politique aux méthodes très peu orthodoxes, et un milieu d’affaires détenteur de comptes bancaires à l’étranger, en dollars. Selon le syndicat CCAS, 18 milliards US$ ont quitté le pays en 2001, pas nécessairement pour aller loin d’ailleurs: à un saut de puce de Buenos Aires, de l’autre côté du fleuve d’argent (Rio de la Plata), les banques uruguayennes accueillent 6,5 milliards de $ en provenance d’Argentine.Au total, selon les sources, les riches Argentins posséderaient entre 100 et 120 milliards de dollars à l'étranger, alors que la dette publique argentine a atteint 150 milliards de dollars à la fin de l'année 2001 .Certes, dans le dernier Rapport annuel du PNUD sur le développement humain, l’Argentine reste premier des pays latino-américains, au 34ème rang mondial. Mais les statistiques ne parlent pas aux 18,3% des Argentins au chômage (taux officiel, donc minimal) et aux 40% vivant dans l'économie informelle. Ni aux 14 millions au moins (sur 37 millions d’habitants) à vivre “sous le seuil de pauvreté”, dans un pays qui, au début du 20ème siècle, était un des plus riches d’Amérique latine. Et cette pauvreté ne tombe pas du ciel. Elle résulte d’une série de choix faits par les gouvernements successifs. En Argentine, plus qu’ailleurs, pratiques politiques et décisions économiques tissent une toile serrée dont les intérêts de l’élite constituent la trame.

 

La santé paye
Au coeur du problème: l’endettement faramineux du pays, largement dû à la dictature militaire. Lorsque celle-ci tombe, l’Argentine connaît une forte inflation. En 1991, le ministre de l'Economie, Domingo Cavallo, décide d’instaurer une parité fixe entre le dollar et le peso argentin. C’est un succès en termes d'inflation (de 1.343% en 1990 à 3,5% en 1993), mais l’économie argentine ne suit pas: le peso est en fait surévalué, au détriment des exportations, déjà instables parce que portant surtout sur des produits agro-alimentaires. L’endettement subsiste. Comme d’habitude dans ces cas-là, sous l’impulsion du Fonds Monétaire International et le regard avide d’investisseurs privés, de nombreuses entreprises publiques (téléphone, chemins de fer, aviation…) sont privatisées, les dépenses sociales sont réduites et des fonctionnaires, licenciés en grand nombre. Mais le chômage, lui, continue de croître, tandis que des services au public, privatisés, ne répondent désormais plus qu’aux besoins de ceux qui peuvent se les payer. Nombre de lignes de chemins de fer, par exemple, ont été supprimées parce que non rentables financièrement, malgré leur utilité sociale. Selon le rapport du PNUD, les dépenses publiques de santé, réduites, sont désormais inférieures aux dépenses privées, ce qui n’est le cas dans aucun pays considéré comme développé. Avec le Chili, l’Argentine est devenue un exemple-type d’individualisation de pans entiers de la sécurité sociale. Les prestations de santé et de retraite ont fortement souffert ces dernières années.

 

Le feu aux poudres
Confrontée à une dette à rembourser, l’Argentine a besoin d’argent. En mai 2000, un premier plan de réduction des dépenses publiques (938 millions US$) est présenté. Les salaires du secteur public sont réduits de 12%. En juillet 2001, la "loi du déficit zéro" est adoptée, qui réduit encore les traitements des fonctionnaires et certaines pensions. Guy Longueville, de la Banque BNP-PARIBAS, reconnaît que l’Argentine a suivi à la lettre les recettes du FMI.Mais le problème est structurel: l'endettement extérieur a atteint fin 2001 l'équivalent de quatre années d'exportations. Alors, le FMI, cette fois, rechigne à prêter encore. Il ne changera d’avis qu’après les tensions sociales de décembre et janvier derniers, accordant au pays un délai de payement qu’il lui refusait encore en décembre. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’imposition du corralito, par analogie avec le petit couloir par lequel le bétail passe sur le chemin de l’abattoir.Le 3 décembre 2001, le ministre de l’Economie a en effet pris une série de mesures dont la plus spectaculaire fut l’interdiction de retirer d’un compte bancaire plus de 250 pesos (11.000 FB) par semaine, et plus de 1.000 pesos par mois. Les comptes d’épargne en dollars, eux, sont inaccessibles jusqu’en janvier 2003. L’objectif: lutter contre la fuite des capitaux, alors que le pays manque terriblement de liquidités. Une telle décision n’atteint pas vraiment les plus pauvres, qui ne disposent pas de tels montants. Ni les plus riches, dont la fortune est déjà à l’étranger ou qui, grâce à leurs amis bien placés, peuvent mettre leurs économies à l’abri. Mais elle frappe de plein fouet la classe moyenne, nombreuse et politiquement importante, touchée dans son pouvoir d’achat. Et donc aussi une vaste catégorie de commerces, dont les chiffres d’affaires en chute libre ont obligé à licencier du personnel, aggravant ainsi les difficultés.

 

Classe moyenne humiliée
A Buenos Aires, c’est dans les quartiers de classe moyenne que de bruyants concerts de casseroles ont retenti. C’est là que s’est exprimé le rejet du corralito, qui empêche de disposer de ses salaires et de ses économies. Avec, en outre, le sentiment, pour cette classe, d’avoir été piégée pendant de longues années, et de s’être trompée elle-même.Près de quatre ans de récession économique ont forcé les Argentins à ouvrir les yeux. Le président Duhalde lui-même a détruit le rêve, en dénonçant “un cycle d’illusions argentines qui s’est terminé de manière scandaleuse, voire dangereuse.” Depuis près de vingt-cinq ans, la société argentine vit au-dessus de ses moyens. Plus que la situation factuelle, c’est sans doute un sentiment qui a déclenché les émeutes: celui d’une terrible humiliation. Aujourd’hui, les Argentins rejettent la faute sur le monde politique, toutes tendances confondues. Non sans raison, d’ailleurs. “La classe politique dans son ensemble a perdu toute crédibilité car elle n'a pas été capable de trouver de solutions alors qu'elle maintenait un style et des modes de fonctionnement d'un pays riche”, entend-on dans les rues. Sans même parler de la dictature, l’histoire récente du pays est faite de corruption, de recherche d’intérêt personnel, de coups bas…Il y a cependant une dose d’ambiguïté dans ce rejet sur les dirigeants politiques de toutes les responsabilités. “Les fonctionnaires, les juges, les conseillers, les parlementaires, etc., ne sont que les représentants du vrai pouvoir, celui qui réside dans les entreprises, privatisées, les grands groupes économiques et les banques”, affirme encore le Comité argentin de coordination syndicale (CCAS).

 

Deux mauvaises solutions
Les réactions de la rue marquent-elles la fin d’un modèle? L’échec, certes; mais la fin? Rien n’est moins sûr, car à vrai dire, on ne voit pas d’alternative à court terme. Sur le plan économique, deux grandes solutions s’offrent. Mais, comme dans les tragédies, elles mènent toutes deux à des impasses. Soit, il s’agit de réduire encore les dépenses publiques. Ce qui entraîne plus de chômage, plus de pauvreté, alors que le pouvoir d’achat a déjà diminué de moitié en cinq ans, et donc encore plus de révolte. Ou alors, délier dollar et peso, et dévaluer ce dernier. Ce qui risque de relancer l’inflation, d’alourdir le poids de la dette, à payer en dollars, et de rendre les exportations moins compétitives et les importations, plus coûteuses, au détriment de… la classe moyenne. La seconde solution a été privilégiée, lorsque le peso a été dévalué (1 US$ = 1,4 peso). Et aux dernières nouvelles, le gouvernement semble décidé à atténuer l’interdiction de retrait bancaire, de façon à relancer la consommation et accroître l’emploi.De là à croire, comme le professeur Dos Santos Junior, de l’Université fédérale Fluminense (Brésil), que les événements récents augurent d’“une politique alternative, qui peut mener au plein-emploi et au développement économique”, il y a un fossé, qu’il est bien trop tôt pour franchir.
André LinardInfoSud

(7 février 2002)

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