International
(2 août 2007)
Les
soignants africains
s’expatrient en Occident
Avec l’explosion des besoins en
soins dans le Nord, le Sud se vide de ses soignants. L’Afrique est le
continent le plus touché par ces départs massifs qui pénalisent d’autant
plus des systèmes de santé déjà fragiles. Au Malawi, la majorité des
soignants rêve d’exil comme James Njobvuyalema, un infirmier qui s’apprête à
tout quitter.
James Njobvuyalema,
un infirmier qualifié et d’expérience,
a choisi de quitter
les conditions exécrables de travail et de salaire du Malawi
pour
s’expatrier au Royaume-Uni.
A l’hôpital de Salima, faute de personnel
en suffisance,
James et ses
collègues infirmiers s’occupent
de 70 à 120 patients chacun.
Le service de pédiatrie de Salima
croule sous les petits malades en cette saison des pluies au Malawi. Les
nourrissons s’alignent à trois par lit, certains reposent dans les bras de
leur mère, d’autres sont même allongés par terre. La malaria, la diarrhée,
ou l’anémie. Quand l’infirmier en chef entre dans la salle et s’avance vers
l’un des petits patients, une cohorte de mères s’approche sans mot dire et
se presse derrière lui, occupant toute l’allée avec bébés et dossiers dans
les mains. Le soignant n’a aucune issue. Même en arrivant à jouer des
coudes, James Njobvuyalema n’échappe pas à un père furieux.
«Ca fait des
heures qu’on attend. Et toujours rien. Je dois partir. Vous ne vous occupez
pas de nous !». Le doux infirmier tente de le calmer :
«Je n’ai pas les
résultats de la prise de sang, il faut attendre encore…» Le nourrisson ne
bouge même plus sur sa portion de lit, affaibli par la malaria. James doit
réaliser une transfusion mais le sang du père doit être analysé et le
technicien n’est pas disponible. L’infirmier n’y est pour rien, mais c’est
lui qui est en première ligne. En sortant du service, James esquisse un
sourire amer : «c’est comme ça tous les jours...». L’ancien étudiant passionné,
infirmier dans le service public par vocation, va tout quitter. Il veut
s’exiler. Comme James, ils sont une centaine d’infirmiers qualifiés à partir
du Malawi pour les Etats-Unis, le Canada et surtout le Royaume-Uni qui
représente plus de 80% des départs chaque année. Alors que le pays n’en
forme qu’une centaine par an. Et la profession n’est pas la seule touchée.
Chez les médecins, aucun chiffre officiel. Mais la faculté observe que seule
la moitié de ceux qui partent se spécialiser en Angleterre revient. Et il
faut encore ajouter les personnels des sous-catégories dont les diplômes ne
sont pas reconnus dans le Nord et qui ne laissent aucune trace de leur exil.
PAS ASSEZ DE SOIGNANTS
Dans les pays voisins, la
situation est à peine plus enviable. L’Afrique du Sud perd 300 infirmiers
par mois, 29% des médecins gabonais sont exilés. L’Organisation mondiale de
la santé estime qu’il manque 800.000 soignants en Afrique sub-saharienne
pour assurer les soins de base, alors que leur nombre est aujourd’hui estimé
à 600.000. Et l’hémorragie ne cesse de
s’amplifier... surtout au Malawi. «Le phénomène est devenu vraiment critique
depuis cinq ans», témoigne Dorothy Ngoma, présidente du syndicat des
infirmiers malawites, la Nurse and midwives association of Malawi. «Ceux qui
partent sont bien souvent les plus qualifiés, des infirmiers qui ont cinq,
dix, vingt ans d’expérience.»La liste des récriminations est
longue. A l’hôpital de Salima, faute de personnel en suffisance, James et
ses collègues infirmiers s’occupent de 70 à 120 patients chacun. Les gardes
de James s’étirent souvent les week-ends en plus de sa semaine. Son cas est
loin d’être isolé dans le petit pays d’Afrique australe : 64% des postes
d’infirmiers sont vacants. James sature. «Il y a beaucoup trop de travail
pour moi, j’ai peur de faire une erreur et que les autorités me prennent ma
licence d’infirmier. Mais je continue car les gens ont besoin de soins.»
UN MANQUE CRUEL DE MATERIEL
L’infirmier malawite doit, en
plus, faire face au manque cruel de matériel. «On n’a parfois pas de gants,
ou de seringue !». Numa Mizati, pharmacy officer (sous-catégorie de
pharmacien ne requérant que trois ans d’études) abonde :
«Il nous manque
souvent les produits de base : la pénicilline, le paracétamol, les
analgésiques… Je reçois le tiers de ce que je commande… nous sommes
forcément en rupture deux mois sur trois !». Au guichet de distribution des
médicaments, le pharmacien doit essuyer les colères des malades lésés.Mais l’exaspération est
compréhensible : les villageois doivent souvent marcher des heures, en
portant leurs malades sur des brancards improvisés, puis attendre
inlassablement… avant de repartir sans traitement.
UNE DEPLORABLE COUVERTURE SANTE
AU MALAWI
Sur les collines de Golongoliwa,
à trois heures de marche de l’hôpital du district, tout le monde a connu les
problèmes du système de santé malawite. Parmi les villageois assis sous
l’arbre à palabre, Mike June est le plus véhément.
«Ma nièce de 7 ans est
morte le mois dernier à l’hôpital. Elle a attendu longtemps et n’a jamais
reçu de soins!». Le trentenaire pourrait raconter des histoires similaires
pendant des heures. «Ma grand-mère est tombée malade en soirée. Elle a dû
attendre toute la nuit qu’une ambulance vienne la chercher !» Jane Phiri, sa
voisine, abonde : «Les ambulances sont très difficiles à avoir. Toujours
occupées. Et quand on arrive à l’hôpital, on ne nous écoute pas. Ils nous
prescrivent des médicaments qu’ils n’ont pas… on doit les acheter nous-mêmes
mais c’est trop cher.» Le pays compte actuellement un
taux de couverture de santé parmi les plus bas du monde : 1,6 médecin et
28,8 infirmières pour 100.000 habitants.
LA SEULE SOLUTION : PARTIR...
James sait qu’en partant, il
contribuera à empirer la situation. Mais il dit n’avoir plus le choix. Entre
des conditions de travail exécrables, un salaire qui lui permet tout juste
de subvenir à ses besoins et ceux des cinq personnes qu’il a à sa charge,
des conditions d’hébergement plus que drastiques fournies par l’Etat...
l’exil semble évident. Comme la grande majorité de ses compatriotes, il
partira au Royaume-Uni où il lui sera très facile de trouver du travail.Car le Royaume-Uni connaît un grand déficit en personnel de santé et
particulièrement en infirmier. «C’est un problème commun à tout le monde
occidental, assure James Buchan, économiste de l’université d’Edinburgh.
Il y a deux facteurs : le vieillissement de la population et celui des
personnels. En plus, l’Angleterre a opéré une immense réduction du nombre
d’infirmiers formés au début des années 1990. De l’ordre de 40%. Les
dernières cinq à six années, ce nombre a remonté pour revenir à peu près au
niveau initial.» James ne compte pas attendre
passivement son embauche anglaise depuis le Malawi. Il suivra probablement
le même chemin que son collègue Issac Ziba, parti de l’hôpital central de
Lilongwé et aujourd’hui infirmier au Western general hospital d’Edinburgh.
En 2004, Le Malawite a rejoint les collines verdoyantes de l’Ecosse sans
aucun contact professionnel. Il trouva facilement une place en maison de
repos et quelques mois après, dans un hôpital public. Au sein de l’immense
hôpital bleu, dans son service de chirurgie, Isaac assure avoir enfin le
sentiment de faire son travail. L’infirmier doit soigner 15 patients… avec
un collègue. Perfusions, lits médicalisés, chariots de médicaments, le
matériel de base est là et bien visible au premier coup d’œil. Et quand
Isaac prend sa pause, il descend souvent à la cafétéria où flotte une bonne
odeur de café frais.
MEILLEUR SALAIRE ET MEILLEURES CONDITIONS DE TRAVAIL
Et côté argent, Isaac est comblé.
Son salaire britannique lui permet de subvenir aux besoins de sa famille,
restée au Malawi. «J’envoie 300 livres par trimestre à mes parents.
Aujourd’hui, ils peuvent s’offrir trois repas par jour. J’ai aussi pu payer
les frais d’hôpital de mon père quand il a eu une attaque.» Dans son trois
pièces de l’un de ces immeubles symétriques en briques orangées si british,
l’infirmier n’oublie pas non plus ses frères, sœurs et cousins. Il paie les
frais scolaires de six personnes soit 800 livres par an.Conditions de travail, salaire,
le malawite a enfin trouvé son bonheur professionnel, même si le Royaume-Uni
est loin d’être l’Eden tant vanté de l’autre côté de l’Equateur. Le premier
choc a eu lieu dès l’arrivée à Edinburgh, sur Princes street.
«J’ai vu des
gens qui mendiaient, sans abri. Je ne m’y attendais pas. Je ne pensais pas
que la pauvreté existait ici !» Puis Isaac découvre les difficultés de louer
un appartement, d’obtenir des prêts, de remplir toutes les exigences
administratives, les technologies d’un hôpital occidental qui lui étaient
complètement inconnues… et le climat parfois rude. Comme il s’y attendait,
le malawite est aussi victime du racisme latent, même s’il assure que ce
n’est pas si commun. La plupart du temps, ce n’est qu’un regard ou un refus
de service. Mais il a bien failli se faire agresser par une bande de jeunes,
dans un train. «Ils m’ont pris à partie et ils ont commencé à se montrer
menaçants. Je suis vite allé voir le contrôleur, sans ça, je sentais bien
que ce serait devenu physique.»
PAS VRAIMENT DE SOLUTIONS
Isaac n’imagine pas finir sa vie
au Royaume-Uni, il se donne 10 ans avant de repartir, peut-être plus. Quoi
qu’il en soit, il ne travaillera plus dans le système de santé malawite, à
moins d’un changement radical. Son idéal : pouvoir rentrer quelques mois par
an pour former les soignants locaux, ou toute autre participation
nécessaire. Pour pouvoir apporter sa pierre à l’édifice sans perdre ses
nouveaux acquis. D’autres solutions émergent. Le
ministère de la santé malawite a lancé un ambitieux plan en six ans pour
redresser le système de santé, avec une augmentation de 52% des salaires,
encore insuffisante. Micheal O’Carrol, conseiller du ministère de la santé
malawite voudrait impliquer les pays qui importent.
«On pourrait établir des
transferts comme au football, avance-t-il. Les pays occidentaux pourraient
aussi nous donner de l’argent pour qu’on leur forme des infirmiers. Ou
alors, qu’ils rapatrient les impôts sur le revenu dans le pays d’origine !».
Son espoir : que l’Organisation mondiale du commerce s’empare de la question
et régule ce nouveau marché, inégalitaire aujourd’hui.
Cécile
Bontron
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