International
(4 juin 2009)
Jour après
jour, construire la paix
Du
conflit israélo-palestinien qui dure depuis des années et a fait tant de
victimes innocentes, la communauté internationale voit tantôt des images de
violence, tantôt les clichés des tentatives officielles de négociations pour
la paix, toujours vaines à ce jour. Mais elle ne connaît quasi rien du
patient travail mené, jour après jour, par des hommes et des femmes de bonne
volonté pour jeter des ponts entre communautés dans l’espoir de pouvoir, un
jour, vivre en paix.
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A Bethléem,
devant le Mur,
des enfants
qui
participent
aux
activités
organisées
par l’Arab
Educational Institute. |
©
James Prineas/AEI
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Durant
douze jours, une délégation de Pax Christi - Justice et Paix (composée
de représentants des deux associations, de membres du groupe “Pour une
paix juste au Proche Orient” du Brabant wallon, d’étudiantes de l’Ihecs
et de deux journalistes) a voyagé à Jérusalem, en Cisjordanie, en Haute
Galilée et dans le Golan et multiplié les contacts avec des associations
de terrain et des personnes désireuses de construire la paix, dans le
respect des conventions et du droit. Des rencontres fortes, intenses, au
gré d’un pays magnifique, séparé par le Mur et les murs invisibles de la
haine et de la peur.
Une peau de léopard
Bethléem, Beit Jala,
Hébron au sud de Jérusalem, la ville trois fois sainte et, au nord,
Ramallah, Naplouse… Pour toutes ces villes palestiniennes, Jérusalem était
le centre autour duquel tout tournait. Les Palestiniens -musulmans et
chrétiens- y avaient quelque famille, allaient y travailler, y faire des
courses. Ils s’y rendaient pour les fêtes afin de prier, les uns à la
Mosquée Al-Aqsa ou au Dôme du Rocher, les autres à la Basilique du
Saint-Sépulcre ou dans une des nombreuses églises des diverses confessions
du quartier chrétien. Aujourd’hui, tout cela leur est interdit. Le Mur
sépare Jérusalem et la Cisjordanie et les Palestiniens doivent obtenir des
permis -renouvelables tous les six mois- pour passer les check points. A
côté de ces postes de contrôle gardés par l’armée, l’Etat israélien a
également installé des tranchées, des clôtures, des obstacles sur les
routes… L’agence Ocha des Nations-Unies en a dressé des cartes et relevés
impressionnants(1). «La Palestine est morcelée comme une
peau de léopard. Chaque ville est entourée d’obstacles et encerclée par des
colonies. Ici, elles ont été construites après les accords d’Oslo en 1993 et
sont totalement illégales. Leur présence impose de longs chemins de détours
pour aller d’une ville à l’autre…», constate avec amertume Jihan Anastas,
responsable du Centre pour la paix de Bethléem. Membre du conseil municipal
de la ville durant plus de huit ans, elle a collaboré avec une députée
israélienne dans le cadre d’une mission parlementaire, et noué avec elle de
forts liens d’amitié. Mais leur dernière rencontre s’est déroulée de part et
d’autre d’une clôture de barbelés. Et les soldats israéliens, en armes, ont
empêché les deux femmes de s’étreindre et de s’embrasser…
Faire du Mur un écran
«Le Mur a dévoré les
zones B et C (voir encadré). Bethléem vivait du tourisme, de l’agriculture
et du travail en Israël. Celui-ci est interdit. Une partie des terres se
trouvent au-delà du Mur. Quant au tourisme, il est essentiellement
religieux. Beaucoup de gens ne s’arrêtent qu’une heure pour visiter la
basilique de la Nativité et s’en vont…», regrette Jihan Anastas. Le chômage
est donc terrible et la pauvreté ne cesse d’augmenter. Le groupe des femmes
-musulmanes et chrétiennes – de l’“Arab Educational Institute” (AEI,
association affiliée à Pax Christi international) n’a pas assez de mots pour
dénoncer la lente asphyxie de leur vie et, surtout, de celle de leurs
enfants qui n’ont jamais connu que l’occupation et le conflit. A Bethléem,
le Mur est partout présent, immense et oppressant, enserrant jusqu’à trois
murs d’une même maison. «L’enfermement est un tunnel et on ne voit plus la
lumière. Les jeunes voyagent peu ou pas du tout. Mais un jeune qui n’a
jamais quitté sa ville a un mur dans la tête…Le gouvernement d’Israël veut
nous gâcher la vie et, ainsi nous forcer à partir», constatent-elles avec
tristesse. Face à cette détresse, l’AEI travaille à retisser des liens,
rendre du sens à l’existence et ainsi à lutter contre les départs et le
désespoir. Elle a organisé notamment un festival d’été avec de nombreuses
activités pour les enfants, la possibilité pour chacun de faire de la
musique avant de jouer ensemble, un concert juste sous la tour militaire…
Elle a aussi réalisé l’action ‘Tombe de Rachel’ – tombeau situé tout près
de la ville et lieu de recueillement commun aux trois religions- et réalisé
une vidéo, diffusée sur le Mur devenu écran. «Chacun de nous est touché par
l’expérience quotidienne d’autrui. Nous voulons rendre nos vies visibles,
montrer que nous existons toujours. Nous voulons la liberté et la paix. Et
nous avons besoin de l’opinion internationale pour y arriver».
Quelques notes de musique
A Ramallah,
l’association “Al Kamandjati” (ce qui signifie “Le violoniste”) fait
résonner des notes de musique dans la ville et dans les interstices du Mur.
Tout commence avec ce petit garçon en manteau rouge qui lance des pierres
sur les soldats israéliens durant la première intifada – la photo de presse
a fait le tour du monde. Ramzi Aburedwan’s vit alors à Al-Amari, un des
camps de réfugiés où, depuis 1948, des milliers de familles, chassées de
leurs villages, attendent avec ferveur de pouvoir retourner sur leurs
terres. Dans ces camps, la volonté inébranlable d’éduquer les enfants,
réalisée notamment grâce au soutien des Nations Unies, lui donne l’occasion
d’apprendre le violon. Doué, il obtient une bourse pour étudier en France où
il rencontre Daniel Barenboim. En 2004, Ramzi crée, à Ramallah, une école de
musique qui accueille chaque semaine 150 enfants. Les professeurs –venus du
monde entier- vont aussi donner des leçons à 150 autres enfants dans les
camps de réfugiés d’Hébron, Naplouse et Jeninne. «La musique m’a sauvé»,
répète Ramzi qui veut donner cette chance à d’autres enfants, en particulier
ceux qui n’ont pas les moyens de se les offrir. Il rêve aussi de constituer
un orchestre national palestinien.
Bouffée de joie aussi,
les ateliers organisés à Naplouse par l’asbl “Hope”. Naplouse la frondeuse,
comme l’écrivait déjà Pierre Loti au 19ème siècle, a l’âme
ardente. Elle a donc connu une répression écrasante durant la seconde
intifada. Là, des centaines de chars israéliens ont envahi la ville, et les
soldats, n’osant pas passer par les rues de la vieille ville, passaient
d’une maison à l’autre en démolissant les murs. «Il n’y avait que la peur»,
se souvient une toute jeune fille. La population compte 60% de jeunes.
«Maintenant, il faut leur rendre confiance en eux, leur donner des
perspectives, explique un responsable de l’association. Pour cela,
des équipes de bénévoles locaux travaillent avec des spécialistes
internationaux. L’important est de casser l’enfermement. Naplouse a connu de
nombreuses civilisations. Elle veut continuer à vivre».
Le levain dans la pâte
A Hébron aussi, des
associations travaillent. Le climat est particulièrement pesant dans cette
vieille ville où les colons illégalement installés n’hésitent pas à déverser
leurs ordures dans les rues de la vieille ville palestinienne. Pour Nafez
Assaily, directeur de “The Library on wheels for non violence and peace”,
une association d’éducation à la non violence, la réponse, c’est la
connaissance de l’autre. Et l’humour. «Nous ne nous opposons pas aux soldats
israéliens, mais aux ordres qu’ils exécutent», explique-t-il. Il organise
des distributions de livres pour patienter aux check points, des campagnes
pour “consommer local”, des cours d’hébreu… Il est persuadé que la
coexistence est possible, si les droits de tous sont respectés.
«La Terre promise est
bien assez vaste pour deux peuples», affirment eux aussi les Rabbins pour la
Paix. A Jérusalem Est, ils s’opposent pacifiquement aux destructions des
maisons palestiniennes. Ils plantent aussi oliviers et arbres fruitiers
entre le Mur et la ligne verte pour aider les Palestiniens à garder leurs
terres. Mais ils sont une minorité parmi les religieux. Comme sont
aujourd’hui minoritaires les représentants des associations israéliennes
pour la paix. Ils n’en sont pas moins déterminés, au contraire. Et ils
tentent de continuer à collaborer avec les Palestiniens malgré le Mur et les
nombreux obstacles. Le chemin pour une paix juste est long, très long
encore. Mais ces hommes et femmes qui s’obstinent sont le levain de la pâte.
«Les Juifs ont attendu 2.000 ans avant de revenir. J’espère ne pas devoir
attendre aussi longtemps», affirme un vieil homme, revenu sur les ruines de
son village –Bihram, en Haute Galilée. C’est pour cela que travaillent les
associations pour la paix.
Anne-Marie Pirard
A
Jérusalem et dans les territoires palestiniens
(1) Office for the coordination of humanitarian affairs.
Occupied Palestinian territory, une agence des Nations Unies -
www.ochaopt.org
Pour mieux comprendre |
► La Ligne verte :
Suite à un accord d’armistice signé en 1949, cette ligne de
démarcation a délimité la frontière en divisant Jérusalem et en
attribuant l’Ouest de la ville à Israël et l’Est à la Jordanie.
Après la guerre de 1967, Israël a annexé la partie orientale et, en
1980, a déclaré Jérusalem “une et indivisible” capitale d’Israël.
Cette annexion n’a jamais été reconnue par la communauté
internationale et, au regard du droit international, Jérusalem Est
demeure donc un territoire occupé.
► Le Mur :
Les Israéliens ont commencé à le construire autour de la
Cisjordanie, en juin 2002, suite à la vague d’attentats suicides
commis par des Palestiniens sur le territoire d’Israël. A certains
endroits, c’est un rempart de béton haut de 8 mètres. A d’autres, ce
sont des fossés surmontés de clôtures électriques et de fils de fer
barbelés. En juillet 2004, la Cour internationale de Justice a
déclaré sa construction illégale au regard du Droit international et
a demandé son démantèlement. En 2009, il est toujours là. Il sépare
300.000 Palestiniens de leurs terres et de leurs ressources en
eau…qu’ils doivent acheter à Israël.
► Les zones A, B et C :
Durant le processus de paix, l’Autorité palestinienne avait obtenu
le contrôle de certaines zones en Cisjordanie et dans la bande de
Gaza. Dans les zones A, elle avait le contrôle total. Dans les zones
B (23,8% de la Cisjordanie), elle avait un contrôle partagé avec les
forces israéliennes. Dans les zones C (59% du territoire, surtout en
zones rurales), Israël conservait un contrôle entier. |
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