International
(3 décembre 2009)
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@ christophesmets.com |
A l’hôpital San Luis d’Otavalo,
la moitié des accouchements
se réalisent à la
verticale. L’autre moitié en position allongée.
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Médecins
et chamans
s’allient pour soigner
A Otavalo, au nord de
l’Equateur, le centre de santé Jambi Huasi accueille deux types de
médecines. Souvent jugées inconciliables, médecines occidentale et
traditionnelle cohabitent pourtant dans un même espace. Aux côtés du
dentiste, de la gynécologue et du médecin généraliste, exercent le chaman et
la partera, l’accoucheuse traditionnelle. Une rencontre hors du commun de
deux façons de soigner et d’envisager la santé. Reportage.
"Deux systèmes de santé
sont en lutte: la médecine scientifique ou occidentale bataille pour
s’imposer, la médecine traditionnelle des Andes, quant à elle, résiste pour
survivre», déclare José Farinango, directeur de Jambi Huasi, un centre de
santé niché à 3.000 mètres d’altitude sur la cordillère des Andes.
L’histoire de ce centre de santé est celle d’un peuple qui a lutté pour la
reconnaissance de ses droits en matière de santé.
Le peuple indigène (6,8%
de la population équatorienne) a longtemps été exclu du système de santé.
«Nous étions si peu considérés que les médecins n’imaginaient pas que nous
pouvions ressentir de la douleur. Mon père s’est même fait renvoyer de
l’hôpital», se rappelle encore José. Les médecins ne communiquaient qu’en
espagnol aux patients indigènes dont la langue est le kichwa. C’est dans ce
contexte social, empreint de racisme et de discrimination, que naît le Jambi
Huasi avec le soutien inconditionnel du mouvement indigène local: la
fédération indigène et paysanne de la province d’Imbabura. Dans cette région
d’Equateur, la population indigène, descendante de l’ancien peuple Inca,
représente plus de la moitié (55%) des habitants. Ouvert en 1994, Jambi
Huasi (maison de la santé en langue kichwa) tente de répondre aux besoins
des patients indigènes locaux dans le respect de leurs traditions et de
leurs croyances.
Rétablir
l’harmonie spirituelle et physique
Figure emblématique de
la médecine ancestrale andine, le chaman appelé le yachac reçoit les
patients au même titre que le dentiste ou le médecin généraliste. Avant de
rejoindre l’équipe médicale de Jambi Huasi, le yachac, exerçait
principalement de nuit, dans l’intimité de sa communauté. Pendant plus de
500 ans, les pratiques des chamans ont été gardées secrètes, puisque
légalement et moralement interdites. La Constitution nationale de 2008 a
donné un statut légal à cette profession. L’article 363 impose à l’Etat
équatorien «la responsabilité de la reconnaissance des pratiques des
médecines ancestrales, de ses connaissances et de ses méthodes». Depuis
lors, les patients affluent pour consulter Don Javier, le yachac. Parmi eux,
des indigènes mais aussi de plus en plus de patients métis. 70 % des
patients sont mestizos selon le chaman.
Le cabinet de Don
Javier, le yachac, baigne dans une atmosphère particulière, presque
mystique. Au mur, sont accrochées des peaux de paresseux. Sur sa table, de
multiples pots contenant des plantes médicinales sont éclairés par une
bougie et par un crucifix lumineux. «Quand une personne tombe malade, cela
signifie que l’harmonie physique et spirituelle s’est brisée et mon
traitement tente de la rétablir», explique Don Javier tout en préparant ses
ingrédients à la lumière de la bougie. Selon la conception andine, la santé
est une quête de l’équilibre interne de la personne dans la relation à sa
famille, à sa communauté. Et plus largement dans sa relation avec la nature,
le cosmos. «Je voyage parfois plusieurs jours en Amazonie pour trouver les
plantes dont j’ai besoin», confie-t-il. Les chamans ont recours à plus de
3.600 plantes autochtones pour préparer les remèdes. «Les plantes n’ont pas
de pouvoir propre. Ce sont les rituels magiques qui donnent aux produits
leur caractère curatif», relève-t-il. Le yachac est considéré comme un
intermédiaire entre le monde des esprits et celui des hommes.
Don Javier utilise les
méthodes de diagnostic issues de la culture indigène, comme la prise du
pouls, la lecture de la bougie ou celle de l’urine. Plus surprenante est la
“radiographie du cochon d’Inde” qui consiste à passer cet animal sur le
corps du malade pour déterminer quels sont les organes atteints. Le savoir
du chaman est fondé sur l’expérience et l’observation de la nature, un
savoir transmis de génération en génération.
L’accoucheuse traditionnelle à l’écoute
Autre figure
emblématique de la médecine des Andes, l’accoucheuse traditionnelle, appelée
partera. Après l’accouchement, la partera possède la faculté de faire
renaître l’énergie qui a été perturbée, et de ramener la mère à l’équilibre
initial. La matrone apporte également son soutien physique et affectif à la
future mère tout au long de sa grossesse. D’où son surnom de Mamá. Mamá
Margarita Morales exerce ses compétences au sein du village de Karabuela.
«J’ai appris les gestes de ma mère, qui les a appris elle-même de sa
grand-mère», raconte-t-elle en kichwa. Des mouvements habiles qui permettent
le “manteo” du fœtus, c’est-à-dire de lui trouver la place idéale.
L’accouchement se réalise dans l’intimité du domicile de la future mère. «La
province d’Imbabura compte le plus haut taux de mortalité maternelle et
néonatale du pays», explique José Terán, le directeur de l’hôpital San Luis
d’Otavalo. «L’accouchement à domicile comporte des risques en cas de
complications. C’est pourquoi, nous avons formé les parteras à la
reconnaissance de ces risques». Pour réduire encore la mortalité infantile
et néonatale, l’hôpital d’Otavalo a adopté une politique de santé ambitieuse
qui mise sur l’interculturel.
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@ Laurence Biron |
“Les plantes médicinales
que je prescris permettent d’éloigner les énergies négatives”, affirme
Antonio Curichumbi, le yachac de l’hôpital de Riobamba. |
En avril 2008, l’hôpital
public San Luis d’Otavalo a ouvert les portes d’une salle d’accouchement
“culturellement adéquate”, c’est-à-dire en phase avec les traditions des
mères indigènes. «L’accouchement n’a pas seulement une fonction biologique,
c’est aussi l’expression d’une culture», rappelle José Terán. «Nos études
ont montré que 90 % des accouchements dans les communautés andines se
réalisent en position verticale». La salle d’accouchement s’est dotée du
matériel nécessaire pour permettre aux femmes d’accoucher assise ou
accroupie selon leurs coutumes ancestrales. L’ambiance de la salle
d’accouchement a été réfléchie pour être plus intime. «Les murs des hôpitaux
sont blancs et froids. Pour nous, le blanc signifie la mort. Comment
allons-nous encourager les femmes à donner la vie dans un lieu qui
représente la mort?», explique Mamá Margarita Morales.
La présence de personnes
de confiance que sont les accoucheuses traditionnelles a fait croître la
fréquentation des patientes autochtones dans les établissements
hospitaliers. «La mortalité néonatale a baissé de 50%», s’enorgueillit le
directeur. «Mais, il a fallu faire face à la résistance du personnel médical
devant des pratiques ancestrales ni scientifiques et ni rationnelles». La
position allongée sur le dos est jugée plus pratique pour surveiller
l’évolution de l’accouchement. Des ateliers de sensibilisation ont permis
une analyse des similitudes et des différences des deux pratiques. Et un
véritable dialogue des savoirs entre parteras et obstétriciennes s’est
installé. «Toutes les connaissances sont utiles à l’heure de sauver des
vies», affirme le Docteur Rosa Simbana. L’accouchement à la verticale fait
d’ailleurs de nombreuses adeptes parmi les femmes métisses. «39% des femmes
métisses accouchent dans cette position à San Luis d’Otavalo»,
précise-t-elle. «C’est moins douloureux et plus rapide. L’enfant peut même
arriver en dix minutes», assure Mamá Margarita Morales. Les parteras et les
obstétriciennes travaillent en binôme et se relaient 24h sur 24h pour
assurer le bon déroulement de ces naissances. «En cas de complication, les
femmes sont transférées dans la salle d’accouchement normale», explique Rosa Simbana, obstétricienne.
«La salle d’accouchement occidentale, je voulais
dire», se reprend-elle rapidement.
A Otavalo, chamans et
médecins, accoucheuses et obstétriciennes se côtoient, se respectent et
interagissent pour le bien des patients. Ces programmes pilotes ont réussi
leur pari: améliorer l’accès à la santé des plus vulnérables. «Néanmoins 5%
de la population indigène de notre région ne se rend jamais dans un centre
de santé, faute de moyens de transports», regrette José Terán.
Laurence Biron
La
médecine alternative en vogue |
Au sud de la cordillère
des Andes, l’hôpital privé de Riobamba articule, quant à lui, trois types de
médecines. L’aile de médecine andine côtoie celle de médecine occidentale,
appelée chimique. Ou encore allopathique, pour marquer sa différence avec la
médecine alternative qui a aussi sa place dans l’enceinte de l’hôpital.
«Nous pratiquons l’homéopathie, l’acupuncture, l’ostéopathie, le reiki et le
biomagnétisme», annonce Laura Burgos, la directrice de l’hôpital. Ces
médecines, nées d’une protestation contre le monopole de la médecine
allopathique au début du 19ème siècle, ont vu tôt le jour dans les Andes,
notamment à travers l’homéopathie. «L’idée est d’offrir aux patients
plusieurs possibilités en fonction de leurs convictions ou préférences»,
poursuit Laura Burgos. Les différents médecins ont une vision large des
autres pratiques et interagissent ensemble pour le bien du patient. «Chacun
connaît les limites de sa médecine. Si le patient a une fracture, le yachac
le transfère vers la zone de médecine “scientifique”». Les Equatoriens
savent reconnaître ce qui peut être résolu via la médecine traditionnelle,
la scientifique ou l’alternative.
LB
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