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International (19 juin 2008)

 

 

Lettres du Katanga

Séjourner à Lubumbashi, au Katanga, au moment où les tensions entre la RDC et la Belgique croissent au point de provoquer la fermeture du consulat belge dans cette ville, aurait pu mal tourner. Mais la province a bien d’autres chats à fouetter

A comme aéroport. Plus ordonné qu’à Kinshasa, mais ce n’est pas difficile. Au retour, pourtant, une mauvaise surprise: plus assez de carburant. L’avion devra faire un détour de 600… km vers Lusaka, en Zambie, pour faire le plein.

 

B comme Belgique. Impossible à éviter, bien sûr, vu les déclarations de notre ministre des Affaires étrangères peu avant mon départ, et le coup de froid sur les relations entre les deux pays décrété par les autorités kinoises. Curieusement, ici, tous les avis entendus - hors ceux des officiels bien sûr - vont dans le même sens: il a raison, Karel. Raison de contester la concentration des richesses dans le pays, en tout cas. Ils sont nombreux à le dire. On a beau se faire l’avocat du diable: “oui, mais quand même, un ministre, est-ce bien son rôle?”  Rien n’y fait: “pourquoi personne d’autre ne le dit-il?”.

Avec Grégoire Mulamba, du Centre des droits de l’Homme et du droit humanitaire, le débat ira un peu plus loin: “critiquer de l’extérieur, c’est bien, mais pourquoi ne pas soutenir plus ceux qui, dans le pays, tentent de faire changer les choses?” Mais ceux qui, aujourd’hui, se réjouissent des interpellations de Karel De Gucht semblent oublier que leurs prédécesseurs protestaient contre “l’exploitation” du Congo par la Belgique. Et que celle-ci, loin d’être uniquement guidée par un souci de justice sociale, a aussi des intérêts à défendre.

 

C comme Chinois. Ici, ils sont partout. Dans les bars, au marché, dans les avions… Quand on ne les voit pas, on en parle. Et pas en bien. Deux accusations reviennent fréquemment: les Chinois ne créent pas d’emplois, puisqu’ils font venir leur personnel de chez eux, chauffeurs compris; et ils traitent les Congolais de haut, de très haut. En dix jours sur place, aucune appréciation positive n’est venue atténuer la critique. En les observant, rencontrés de-ci de-là, force est de constater que la réalité n’est pas loin de l’image. Condescendance et autorité, voire mépris envers les Congolais se rencontrent à tous les tournants.

Le débat est évidemment plus profond. Les Chinois occupent un espace que d’autres ont négligé : celui d’une aide inconditionnelle aux infrastructures dont le Congo a tellement besoin: routes, etc. Et les premières réalisations suivent, c’est incontestable. Mais bizarrement, ici aussi la mémoire fait défaut. Lorsque la Banque mondiale finançait le même genre d’infrastructures, on lui reprochait de tout orienter vers l’exportation, et de ne concevoir port, routes et autres que pour envoyer les richesses du pays vers l’extérieur. Aujourd’hui les Chinois font pareil… Personne n’est dupe : leur aide est tout sauf désintéressée.

La différence, note encore Grégoire Mulamba, réside dans l’absence d’état d’âme des coopérants et sociétés venus de l’Est. Dans l’absence chez eux d’opinion publique s’exprimant librement, alors qu’en Europe, c’est cette même opinion qui a forcé les gouvernants à introduire le critère des droits humains dans les décisions en matière de coopération. On comprend dès lors la satisfaction des dirigeants des pays africains à traiter avec les Chinois qui ne posent pas de question. Quant à la population, elle attend désespérément les retombées utiles pour elle de cette braderie de minerais (voir ci-dessous, M).

 

D comme droits humains. Selon le Centre des droits de l’Homme de Lubumbashi, deux grands problèmes se posent aujourd’hui au Katanga.

D’abord, les expulsions de villageois au profit des entreprises minières. Cela commence par l’acquisition d’un titre de propriété, au besoin en corrompant un officiel. Cela se poursuit par “l’achat” d’un chef coutumier qui a un ascendant sur les habitants. Et cela finit par un exil forcé vers les quartiers périphériques de Lubumbashi avec quelques dollars en poche comme compensation.

Ensuite, des cachots secrets, dans des maisons privées, où sont enfermées des personnes qui dérangent, enlevées à Kinshasa. Ni vu ni connu, si ce n’est que parfois un gardien, plus humain, vient dénoncer la situation.

 

F comme Forrest, bien sûr. Georges Forrest, l’homme d’affaires liégeois, et sa société Malta Forrest sont partout. Sur les poubelles publiques, sur les panneaux de signalisation (“don de…”). Mais surtout dans les décisions. “Quand nous avons un problème à faire entrer un visiteur qui a des soucis de visa, nous n’appelons pas le gouverneur, mais Forrest, explique un expatrié. Et ça marche”. Le même ajoute que Forrest, au moins, paye ses impôts, à la différence de beaucoup d’autres, ce qui ne l’empêche pas d’habiter pratiquement la plus belle maison de la ville.

Eternelle discussion. L’homme d’affaires est-il ce grand exploiteur dénoncé par des Ong belges, ou le “bon patron”  qui, grâce à ses gains, assure un environnement social minimum que personne d’autre n’offre? Paternaliste, oui, mais n’est-ce pas mieux que rien? Sur place, en tout cas, il est apprécié.

 

K comme Katumbi. Moïse Katumbi, le gouverneur, un homme d’affaires assez intelligent pour combiner intérêt personnel et mesures populaires, mais apprécié très différemment selon les interlocuteurs à qui l’on en parle. Il a mis de l’ordre, disent certains, et organisé assez correctement la taxation des camions qui quittent le pays chargés de minerais. Tous payent. Tous… sauf les camions du gouverneur…, précisent les critiques. 

 

L comme légumes. Petit tour au marché Laurent-Désiré Kabila, au centre de Lubumbashi. Tout est cher. Des oranges au même prix que chez nous. Des haricots à 4 dollars (2,7 euros) le pot, dont la vendeuse tente d’abord de faire croire qu’il contient deux kilos, avant de concéder que c’est à peine la moitié. Le riz, les légumes, les fruits… tout semble hors de prix, comparés à ce qu’on sait des revenus de la population. Mais Lubumbashi connaît un phénomène devenu classique: l’argent disponible fait monter les prix. Car de l’argent, il en circule, au Katanga. La province est riche, grâce à son sous-sol, et ceux qui en profitent expriment une demande en divers biens, qui fait monter les prix. Les loyers aussi grimpent. Et tant pis pour les autres, qui ne savent pas suivre.  

 

M comme Minings, ou sociétés minières. Elles aussi sont partout, et même ailleurs. Ce samedi, d’ailleurs, elles s’exposent au Musée, où elles ont été invitées à mettre en exergue leur rôle social. Photos aériennes des installations ou, plus habituelles, des dortoirs de travailleurs, vues des maisons construites pour le personnel, explications détendues sur les minerais et leurs alliages… Qu’elles sont sympas, ces entreprises, quand elles le veulent bien. Mais ce sont les mêmes qui expulsent les villageois (voir D). Les mêmes qui, parfois font travailler des enfants. Les mêmes qui veulent déplacer un lycée catholique, à quelques encablures de Lubumbashi, parce qu’il se trouve sur un filon de minerais. L’archevêque a poussé un coup de colère mais déjà, selon le journal local Agora, des murs de l’école se fissurent à cause des galeries de mines creusées à proximité.

Malgré tout, ce sont ces sociétés qui font tourner l’économie provinciale, alors, on se tait.

 

O comme Ong. Dans l’Est du Congo, à Goma, à Bukavu, innombrables sont les véhicules portant sur leurs flancs les références d’une Ong ou d’une institution de développement. Sur les enseignes à l’entrée des bâtiments, les associations, grandes ou petites, locales ou étrangères, réelles ou fictives, se disputent le décor. Les entreprises, elles, se font plutôt discrètes.

A Lubumbashi, les portes des véhicules mentionnent les noms d’entreprises minières. Et les Ong sont moins visibles et moins nombreuses. Question: entre ces deux situations, laquelle est plus favorable au développement du pays?

 

P comme presse. Ils sont sympas, les journalistes congolais. Mais la presse telle qu’elle existe actuellement est tout un folklore. Ainsi, l’hebdomadaire local Muten en est, fin mai, à son n°8 pour l’année. Et, sur 12 pages, tous les articles sauf les 3 pages Sport, sont rédigés par le même journaliste, qui est aussi éditeur et directeur de publication.

Mais il y a pire. La presse lushoise (ndlr.: de Lubumbashi) a les mains liées. Elle écrit en faveur de celui qui paye. Ou elle ne sort que lorsqu’un homme d’affaires commande un long article à sa gloire et ouvre son portefeuille pour financer la sortie d’une édition. Les journalistes le reconnaissent, mais affirment ne pas avoir d’alternative.

 

R comme Rwandais. Les conflits de la dernière décennie ont laissé des traces. Alors qu’à l’Est du Congo, des étudiants rwandais passent sans problème la frontière pour venir étudier à Bukavu, et que le commerce fonctionne bien entre les deux pays, à Lubumbashi, l’arrivée de quatre Rwandais, journalistes qui plus est, a suscité bien des remous à l’aéroport, puis au bureau de la Direction générale des migrations. Il aura fallu 2 jours, dont quelques belles heures de discussions acharnées, pour éviter qu’ils ne soient reconduits à la frontière, malgré leur laissez-passer qui avait déjà servi plusieurs fois au Congo.

 

Z comme Zambie. Le pays voisin est à moins de 100 km de Lubumbashi. C’est lui qui nourrit le Katanga. Une carte exposée au Musée est terriblement explicite : elle montre, en grand, le Congo marqué de petits points rouges pour indiquer les zones agricoles. Ils sont très rares, surtout au Katanga. Dans cette province, on ne cultive pas, on creuse. Naguère, le Nord-Katanga rural nourrissait le Sud minier. Aujourd’hui, il n’y a plus de route pour acheminer les produits, et les paysans qui pourraient en vendre voient ceux-ci pourrir, faute de transport. Alors ils s’abstiennent…

Au marché, les produits alimentaires viennent de Zambie. Leur prix intègre donc des coûts de transport qui pourraient être évités. Mais cultiver prend du temps, et le résultat n’est pas garanti. Tandis que chercher du minerai peut rapporter gros, rapidement. En tout cas, pour ceux qui en trouvent…

André Linard, InfoSud

 


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