International
(6 septembre 2007)
La grande
marche des paysans sans terre
Ils seront
25.000 sans-terre et ouvriers agricoles à marcher de Gwalior à New-Delhi
début octobre. Ils seront ensuite rejoints par quelque 100.000 manifestants
pour un sit-in devant le Parlement indien pour réclamer leur droit à la
terre. La marche indienne Janadesh 2007 est un extraordinaire mouvement
populaire et non-violent.
Ekta
Parishad est un mouvement populaire qui réunit plus d’une million de
personnes. Il organise
des mobilisations en vue de réclamer pour les paysans le droit d’accéder
à la terre
afin de disposer des ressources naturelles de base.
Dans la lumière cuivrée du soleil
de l’après-midi, Baiga Birgu agonisait. Ses gémissements se perdaient au
milieu de la panique ambiante. Birju (qui signifie courage dans la langue
des Baiga) avait été battu à mort pour s'être opposé à la destruction de sa
maison et à l'expulsion de sa famille des terres qui, pourtant, lui avaient
été promises… Les journalistes agités se
faisaient face à de longues tables, chassant les moustiques. Le ventilateur
du plafond cliquetait pendant qu’on distribuait le
chai (thé). On
entendait la musique d'un orchestre tandis que les reporters s'efforçaient
d'écouter Rajagopal P.V., le meneur charismatique du mouvement
Ekta
Parishad (ou "Forum de l’unité"):
«L'insatisfaction se propage dans
cet Etat, constate-t-il calmement.
On ne peut tolérer que la question
du droit à la terre se transforme en onde violente; on ne peut laisser les
communautés disparaître comme des fantômes.» Ekta Parishad mènera donc
une protestation non-violente (une Satyagraha) en réaction à
l'assassinat de Birju. Il ne s’agissait pas seulement d’obtenir
l'arrestation des policiers impliqués dans l'affaire, mais également de
rendre justice aux tribus aborigènes menacées d’expulsion.
«Seuls, nous
ne pouvons pas obtenir de justice», affirme Rajagopal en se passant les
doigts dans la moustache. «Luttons ensemble et nous y parviendrons».C'est ainsi que la
Padyatra
(la marche pacifique) fut remise à l'honneur par
Ekta Parishad afin
d’informer les populations et de forcer les autorités à la négociation (1).
LES
TRIBUS OUBLIEES
«Nombre de problèmes, auxquels
sont confrontés les tribus aborigènes, les adivasis, ont pour origine la
prise de possession des terres par des groupes d'intérêts puissants.
Systématiquement et brutalement, les adivasis sont expulsés de leur terre
pour favoriser l'expansion de l'industrialisation, des entreprises
multinationales et du tourisme», rapporte Helena Drakis
(1).
Certaines de leurs ethnies, considérées comme les premiers habitants de
l’Inde, ont été refoulées vers les montagnes et les forêts au fil de
l’histoire par des invasions successives. Elles sont aujourd’hui chassées de
leurs derniers territoires. L’histoire est – hélas –
classique. Des hommes de main envoyés par des propriétaires fonciers mettent
le feu aux habitations, exigent des paiements pour l’occupation des terres,
s’emparent du bétail, des terres, des biens et des cultures avec l’accord
(au moins tacite) des responsables locaux et de leur police. Les
adivasis
ont peu de moyens de défense devant les tribunaux. Ils ne peuvent que
s’appuyer sur leur tradition selon laquelle la terre appartient à celui qui
l’entretient. La Constitution indienne (1947)
leur a pourtant octroyé des garanties. Des lois ont été votées afin de
mettre un terme au vol de terres. Mais rien n’y fait. Chassées de leur
terre, ces tribus ne peuvent plus vivre de leurs ressources agricoles ou de
la sylviculture. Il ne leur reste bien souvent qu’à rejoindre le prolétariat
des bidonvilles. La reconnaissance du droit à la
terre des adivasis est donc une question de survie, commentent les auteurs
de «L’Inde des tribus oubliées»: «Selon la tradition, le sol et les
forêts constituent le bien de l’ensemble de la communauté: or, l’Etat indien
moderne n’admet pas la validité de ce principe de propriété collective… il
est primordial que l’accès à ces richesses naturelles ne soit pas
considérées comme illégales» (2).
Un fatalisme profond s’est emparé
des petits paysans. Résignés, ils attendent leur salut de l’Etat comme si
celui-ci était leur «père et mère». Pour d’autres, il n’y a de salut que
dans un repli culturel ou dans une résistance armée! Ce n’est pas l’option
du mouvement Ekta Parishad qui propose des alternatives
non-violentes, sous la conduite de Rajagopal P.V., un militant d’une
soixantaine d’années qui travaille depuis le début des années 70 à la
protection des minorités indiennes.
LE
“VERDICT DU PEUPLE”
Ekta Parishad organisera
en octobre prochain une marche de 350 km. Du 2 octobre (anniversaire de la
mort de Gandhi) au 22 octobre 2007, cette marche intitulée
Janadesh 2007
conduira 25.000 sans-terre et ouvriers agricoles de Gwalior à New-Delhi où
ils seront rejoints par quelque 100.000 manifestants pour un sit-in devant
le Parlement indien qui durera tant que des engagements formels n’auront pas
été pris par le gouvernement. Fondé il y a plus de 15 ans,
Ekta Parishad est un mouvement populaire et non-violent. Il rassemble
surtout des adivasis, mais aussi des petits paysans et des
dalits
(intouchables). Il travaille dans 8 Etats indiens, couvre 4.000 villages.
Plus d’un million de personnes sont concernées par son action. Ce mouvement
fournit un appui au développement communautaire et local, organise des
mobilisations en vue de réclamer pour ces paysans le droit d’accéder à la
terre afin de disposer des ressources naturelles de base.Bien que le gouvernement indien
prétende assurer l’allocation et la distribution des terres et que la
“Tribal Bill” (loi tribale) votée en 2005 reconnaît les droits des
populations tribales vivant dans les forêts, ces propositions ne sont
toujours pas effectives en 2007.Face à cette situation
Ekta
Parishad préconise la création d’une autorité nationale pour la terre
afin de traiter les demandes des plus pauvres et les violences liées à la
terre, une cour de justice capable de traiter rapidement les conflits
fonciers et un système qui facilite l’accès à la terre des petits paysans.
Janadesh 2007 est le
couronnement de toutes les marches déjà organisées depuis plusieurs années
au niveau local et régional dans l’Inde centrale et dans le Nord afin de
revendiquer l’application de lois existantes. Mais,
«dans un monde
globalisé, précise Rajagopal, rien ne changera vraiment si le gouvernement
central ne prend pas l’initiative… Nous voulons lui dire : “Regardez, votre
politique industrielle a un impact négatif sur la vie des pauvres gens,
votre politique forestière a un impact négatif sur les tribus, votre
politique de gestion de l’eau distribue l’eau aux multinationales, votre
politique de la terre laisse la terre aux grandes sociétés. Toutes ces
politiques vont à l’encontre des pauvres et sont donc inacceptables…”Janadesh
2007 est une lutte contre les politiques qui enlèvent au peuple ses
ressources de base.»Christian
Van Rompaey(1) «La Force
de la Vérité», témoignages dans un journal au quotidien de la marche de 2003
organisée par Ekta Parishad, mouvement pour l'accès à la terre en Inde,
édité par Solidarité (www.solidarite.asso.fr), 5 EUR. On peut aussi
l’obtenir auprès de l’organisation belge “Volens Mercy Home” (adresse
ci-dessous)(2) «L’Inde
des tribus oubliées», Tizana et Gianni Baldizzone, éditions du Chêne 1993,
50 EUR.
Plus d’informations:http://www.french.janadesh.net/index.php
Janadesh 2007 est soutenu par
un collectif d’organisations en Europe: Peuples solidaires
(www.peuples-solidaires.org), Frères des Hommes, la Confédération paysanne,
Solidarité, le CRIDEV 33… mais aussi CESCI (Suisse), Concern (Irlande),
Freunde von Ekta Parishad (Allemagne), Satyaagraha (Italie), etc.En Belgique, on peut contacter
: “Volens Mercy Home”, chaussée de Boondael 287, 1050 Bruxelles. Tél.:
02/654.02.63 -
mercy.home@hotmail.com
L’INDE QUI BRILLE
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ET L’INDE QUI SOUFFRE |
Avec une classe moyenne de plus d'un demi-milliard de
personnes, dotée d'un réel pouvoir d'achat, l'Inde, qui veut retrouver
sa place dans les affaires du monde, deviendra probablement le
deuxième marché du monde au cours de ce siècle.
(1)
|
Toutefois, dans cette Inde
“qui brille” - à l’heure des fortunes vite faites - le taux de
scolarisation des enfants est l'un des plus faibles de la planète. Les
services publics sont en pleine régression… L'Inde, se demande Martine
Bulard (2) “pourra-t-elle accéder au tout premiers
rangs mondiaux, comme elle prétend, sans s'attaquer à ces problèmes
?”.Longtemps les produits
venus de l’étranger n’étaient pas les bienvenus en Inde. Mais, depuis
le début des années 90, les milieux d’affaires ont brisé le projet
indien d’un développement autonome, enclavé dans ses frontières et
protégé par sa culture, pour entrer en force dans le jeu de la
mondialisation. Si la non-violence, depuis Gandhi, fait partie de son
histoire et de son identité, l’Inde est aussi devenue une puissance
nucléaire. L’Inde, spirituelle par ailleurs, peut aussi lancer une OPA
sur Arcelor, défier l’industrie du médicament en devenant le champion
des médicaments génériques pour le Tiers-Monde. L’Inde s’entend avec
le Brésil à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et revendique sa
place au Conseil de sécurité… Si cette politique fait de
l’Inde un “tigre économique”, celle-ci ne fait pas le bonheur de tous
ses citoyens. L’ouverture sur le monde extérieur se répercute dans les
campagnes à l’avantage de la paysannerie riche et, dans une moindre
mesure, de la classe moyenne… mais au dépens des plus pauvres constate
Jacques Pouchepadass (3): “La question reste ouverte
de savoir dans quelles conditions une telle évolution est conciliable,
au moins à terme, avec l’objectif d’élimination de la pauvreté de
masse dans les campagnes…” L'endettement des paysans a
quasi doublé ces dix dernières années. L'augmentation de cette dette a
entraîné une augmentation effroyable du nombre de suicides dans de
nombreux districts (10.000 depuis 2001). Augmentation du coût des
semences, effondrement de l’investissement public, augmentation du
prix des services publics (recommandée par la Banque Mondiale et le
FMI)… tout cela couplé à une coupure des crédits bancaires au secteur
agricole (réorientés vers la classe moyenne) ont poussé au désespoir
de nombreux paysans tentés d’adhérer aux mouvements armés Naxalites. Le monde rural indien est à
un tournant. Aujourd’hui, les paysans attendent en vain (?) que le
gouvernement fédéral s’engage dans une réforme agraire toujours
annoncée. Contrairement aux informations que nous renvoient de
nombreux médias, ce n’est pas l’informatique qui connaît les plus
grands développements, mais les inégalités dans de nombreux secteurs
d’activité. Comme le constate Palagummi Sainath
(4):
“…ceux qui dépendent de l’agriculture, soit environ 60% de la
population, se trouvent du mauvais côté du développement que l’Inde
suit depuis 1991”.CVR(1) “Le
défi indien”, Pavan K. Varma, éditions Acte Sud 2005, 25,43 EUR.(2)
“Diversités indiennes”, Martine Burlard dans “Le réveil de l'Inde”,
collection Manière de voir N°94, Août-septembre 2007, Monde
diplomatique, 7,40 EUR.(3)
“L’Inde contemporaine”, Sous la direction de Christophe Jaffrelot,
Fayard/CERI 2006, 39,25 EUR.(4)
“Vagues de suicides et crise de l'agriculture”, Palagumni Sainath dans
“Le réveil de l'Inde”, Monde diplomatique, 7,40 EUR. |
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