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International (5 juillet 2007)
 


 

 

Sur les routes de l’est du Congo

Souvent présentes dans l’actualité pour faits de guerre, les provinces du Nord et du Sud-Kivu, aux paysages agréables, balancent entre renouveau et inertie. Voici quelques pages d’un carnet de voyage de Goma à Bujumbura, au carrefour de l’Afrique Centrale.

 

Cinq ans après l’éruption du volcan Nyiragongo dont la lave a envahi le centre de Goma en janvier 2002, la visite de cette ville s’avère toujours impressionnante. Jusqu’en plein cœur de la cité, la pierre de lave noircit le regard. Dans les quartiers, les cailloux sont utilisés par les habitants pour délimiter leurs parcelles. Au nord, dans la direction du volcan, une vaste étendue rocailleuse et sombre recouvre ce qui, autrefois, était des champs. Plus loin, au départ de la route de Béni, des militaires se font payer pour montrer aux visiteurs des ouvertures dans le sol, d’où s’échappent, le matin, des fumées de la montagne voisine, menaçante.

L’image qui saisit le plus à la gorge reste cependant celle de rez-de-chaussée d’habitations, désormais remplis de pierres sur presque toute leur hauteur. De quoi apprécier l’épaisseur de la couche qui, en certains endroits, a submergé la ville. Près du lac, un journaliste local attire mon attention : «Tu vois cette maison, là-bas ?, demande-t-il en désignant un immeuble 150 mètres plus loin. Avant l’éruption, elle était ici, mais la lave l’a emportée.»

Pourtant, si une partie de la ville respire la désolation, Goma semble renaître de ses cendres, dans certains quartiers tout au moins, et notamment du côté du lac. De nombreuses constructions neuves surgissent, souvent à plusieurs étages surmontés d’un toit en pointe. Manifestement, l’argent circule dans cette ville commerçante, dont l’activité pourrait encore s’accentuer si l’aéroport était débarrassé de la coulée de lave qui le traverse. Depuis l’éruption, en effet, sa piste est raccourcie d’un tiers environ, empêchant les gros porteurs de fret d’atterrir et de décoller. Aujourd’hui, il n’est pas possible d’emporter plus de 50 tonnes, et à un prix plus élevé qu’avant. «Cela fait des tonnes de pierre, explique un responsable de l’aéroport. Il faut du gros matériel pour l’enlever, et nous n’en avons pas les moyens.» L’homme se veut optimiste en affirmant que, enlevée et concassée, la pierre pourrait très bien servir de tarmac gratuit pour de nouvelles routes à construire.

 

Bukavu se fait belle

De Goma à Bukavu, le trajet le plus court est la traversée du lac Kivu. Trois heures environ sur un bateau d’une quinzaine de mètres, avec vues imprenables sur les montagnes, à droite, et sur le Rwanda, à gauche. On comprend mieux, à voir ces paysages, la difficulté à contrôler les groupes armés qui pullulent dans la région et mettent perpétuellement en danger le processus de paix.

A l’approche de Bukavu, le bateau navigue plus près de la rive. Des cases, des chapelles de village, des pirogues, des cultures jusque sur des terres fort pentues réveillent inconsciemment des réminiscences de Tintin au Congo et les images que les missionnaires venaient montrer dans les écoles catholiques dans les années soixante.

 

 

 

 

Des vélos artisanaux en bois,
proches des trotinettes,
servent au transport de toutes les marchandises.

 

L’arrivée à Bukavu est curieuse. Bien que le trajet se passe au sein du pays, il faut montrer son passeport (comme au départ de Goma d’ailleurs) et, pour les nationaux, un ordre de mission. Le tout, enregistré dans de grands cahiers bleus, qui reviendront plus loin dans ce récit. Puis, direction l’hôtel, en ouvrant de grands yeux sur cette ville que je découvre pour la première fois, mais qui fait si souvent l’actualité, généralement pour faits de guerre.

L’hôtel en question a le charme suranné des bâtiments coloniaux entretenus. La chambre, au 4ème étage, est immense, divisée en trois pièces avec une superbe vue sur la baie et le lac. Tout est vieillot, mais propre.

Bukavu, par contre, est très délabrée, même triste, avec des rues défoncées, des trottoirs qui sont des caniveaux, des trous, de la boue (il avait plu)… Et des gens parfois misérables, notamment des femmes courbées en deux qui portent des charges énormes… Des militaires et des ONG partout… La ville, pourtant, fait l’objet d’un lifting. Pour lui rendre son lustre d'antan, le maire a en effet fait raser tous les bâtiments anarchiquement construits le long des routes. Début avril, tôt le matin, le bulldozer de l’Office des routes est entré en action. Toutes les maisons et autres étals illégaux, mis en demeure 30 jours auparavant de quitter les lieux, ont été détruits. Les propriétaires des débits de boisson, salons de coiffure, ateliers de soudure, cabines téléphoniques, pharmacies et autres tenanciers de gargotes, abasourdis, ont tenté au dernier moment de récupérer ce qu’ils pouvaient.

Les constructions anarchiques qui enlaidissent la ville sont principalement dues à l’octroi aux particuliers de titres de propriété sur des terrains et espaces verts qui ne devaient pas être lotis. Peu regardante sur l’urbanisme, la population a pris le risque d'y monter de petites affaires. «Nous avons construit sous l’œil vigilant et avec l’autorisation de la mairie, des services du cadastre et de la commune avec en plus quelques paiements informels et parfois indus aux agents de la police, de l’urbanisme et habitat…», marmonne, larmes aux yeux, Nyaba Deux Cheusi, propriétaire d’un dépôt de bière. Malgré le moratoire de trente jours, personne n’avait bougé. Prosper Mushobekwa, le maire de Bukavu ironise : «Tout le monde avait cru qu’il s’agissait de mesures fugaces qui passeraient, comme cela était vécu dans le temps ancien. Mais nous voulons faire respecter la loi. Et ce sera la renaissance de Bukavu la verte, la coquette, Bukavu la Suisse d’Afrique…, n’en déplaise à ceux qui ne veulent pas s’embarquer dans le train de la reconstruction ».

 

Tabac et gacaca

Le lendemain, départ pour Bujumbura, au Burundi, soit six postes frontières à passer. L’itinéraire du minibus, en effet, sort de RDC à Bukavu pour entrer au Rwanda, qu’il quitte à Bugarama pour rentrer à nouveau en RDC à Kamanyola, avait de quitter le Congo définitivement à Uvira, vers le Burundi. Le tout, avec un passeport qui ne prévoyait pas cette seconde entrée en RDC, mais énonçait simplement qu’il était valable un mois. Seul Blanc voyageant avec des autochtones, je pouvais donc m’attendre à ce qu’on appelle ici des tracasseries : des recherches répétées de la moindre irrégularité, réelle ou inventée pour la cause, qui se règlerait à coup de dollars.

Après 5 km, donc, à la sortie de Bukavu, c’est le premier passage de la frontière congolaise. Tout le monde descend du bus, montre ses papiers, mais seul Blanc, j’ai eu droit à un détour par le bureau, aux questions habituelles ("Que faites-vous ?", "Où allez-vous ?", "Pourquoi voyager par la route ?”…) Et revoilà les grands cahiers bleus, où tout est consciencieusement retranscrit, en prenant le temps qu’il faut. Le autres passagers commencent à trouver mauvaise la présence de ce muzungu (blanc) qui va constamment les retarder. Tout autour, c’est le va-et-vient de femmes courbées, vieilles avant l’âge à force de porter des charges plus hautes qu’elles, et des handicapés qui, bénéficiant d’une franchise, remplissent complètement leur chaise roulante côté rwandais, puis revendent les produits en RDC.

Un peu plus loin, c’est le passage à pied du pont sur la rivière Ruzizi qui sépare les deux pays, puis le contrôle d’entrée au Rwanda. Encore une fois, pour moi seul, une fiche à remplir, mais là ils sont informatisés et plus fonctionnels, donc c’est plus rapide. Cette fois, ce sont d’autres voyageurs qui provoquent du retard : tous ceux qui transportent des biens dans des sachets en plastique, désormais interdits et confisqués au Rwanda pour raison d’environnement.

 

A peine la frontière franchie, le paysage routier change. La route est en bon état et débouche d’un coup sur un rond-point, avec des panneaux de sens interdit tout neufs d’un côté, des flèches de l’autre, des lignes blanches sur le sol… D’ailleurs, le chauffeur respecte les limitations de vitesse et insiste pour que, assis à côté de lui, je boucle ma ceinture. Autant de bonnes intentions qui seront oubliées dès le retour en RDC, une bonne heure plus tard. Mais les compagnies de bus qui voyagent de Bukavu à Uvira, toujours au Sud-Kivu, préfèrent désormais passer par le Rwanda, plus sûr, que par la route des escarpements, qui reste en territoire congolais, mais est plus lente et dangereuse.

 

De part et d’autre de la route, les paysages montagneux sont superbes. Chaque espace est cultivé dans ce pays à la densité extrême. Le long de la route, des enfants jouent, d’autres portent des charges incroyables; des femmes amènent des fagots de tabac au marché, des hommes poussent des vélos surchargés de bidons, de bois, de sacs de légumes, de tout…

A deux reprises j’aperçois dans des hameaux les fameuses gacaca, ces tribunaux populaires où les habitants des villages jugent les présumés responsables du génocide restés sur place. L’accusé est debout devant une grande table, dans des vêtements roses tellement flashy que les porter semble déjà une condamnation; tout autour, les habitants assistent et témoignent.

 

Les ennuis, à Uvira

Très rapidement, la route descend pour débouler dans la plaine de la Ruzizi. Dans le lointain, on devine le Lac Tanganyika, que la rivière relie en serpentant au Lac Kivu, plus au nord. Un peu plus loin, c’est Bugarama, ville rwandaise, et juste après, la frontière avec le Congo. Nouvelle fiche à remplir, nouveau pont à traverser à pied.

Si des problèmes doivent surgir, c’est ici, à cette seconde entrée, imprévue, en RDC. Mais c’est sans compter avec la passion footballistique du préposé qui repère sur le passeport le nom de ma commune : Anderlecht. Le voilà qui se met à parler ballon rond, équipe nationale belge, Emile Mpenza… Je renchéris, bien sûr, pour le distraire, et c’est finalement lui qui me demande de l’aider à trouver des cachets des autres douanes dans le passeport, avant de tamponner celui-ci en souriant.

 

Après une heure de route en plaine, voilà Uvira, où le trajet en bus se termine dans des rues ensablées. Les rares passagers qui veulent rejoindre Bujumbura doivent alors attendre un taxi collectif de cinq places appartenant à la même compagnie de transport. Mais voilà que surgissent deux hommes qui commencent à poser assez sévèrement des questions sur ma destination, mon origine, la raison de mon séjour… Les seuls, jusqu’à présent, à s’exprimer d’un ton agressif. Je demande qui ils sont, ils sortent une vague carte de la DGM (Direction générale des migrations), sans aucun nom. Mon passeport étant en règle, ils demandent mon ordre de mission; en règle, lui aussi. Puis une "autorisation de reportage du ministre de l’information" (sic). N’étant pas en reportage, mais en formation, je ne l’avais pas. Il fallait donc, d’après eux, les accompagner à leur bureau. Refus catégorique de ma part.

Dans le petit bureau de la petite agence de voyage, le ton monte lentement. D’autres clients et passants font cercle autour de nous. Les gens, entre eux, parlent swahili, que je ne comprends pas, mais leur ton indique la désapprobation. Par chance, un ami de Bukavu m’a donné le téléphone du directeur provincial adjoint de la migration. Je compose donc son numéro, ce qui a pour effet de modifier l’expression des deux hommes, de plus en plus pris à partie par les autres. D’un coup, en quelques secondes, tout se règle. Juste une leçon du genre "c’est bon pour cette fois, mais surtout que ça n’arrive plus, parce que maintenant le Congo a changé et on y respecte la loi". Je leur réponds que je respecte les autorités quand elles respectent la loi, et les deux hommes s’en vont.

Les explications viennent ensuite : ces hommes sont sans doute vraiment de la DGM, mais leur but était de m’emmener pour me voler, et c’est grâce à l’attroupement et à mes réparties que je m’en suis bien tiré. Le temps de me remettre de mes émotions et d’un coup, voilà que débarquent dans l’agence trois confrères, correspondants de l’ONG kinoise Journalistes en danger, qui dénonce les atteintes à la liberté de la presse. Ayant appris qu’un journaliste était en danger, ils ont accouru. Sympa.

 

20 US$ pour une virgule

Trois quarts d’heures plus tard, c’est enfin le départ en taxi vers Bujumbura. A la sortie de la ville, la route n’est qu’un chemin de terre troué, qui ne changera qu’une fois passé la frontière. Un imposant camp de la MONUC, la force des

Nations Unies au Congo, rappelle que la région n’est pas sûre. Après 5 km, enfin, c’est la douane. A nouveau le même processus : descendre de la voiture 100 mètres avant, passer une barrière, aller «à la migration», puis passer une autre barrière et retrouver la voiture 100 mètres plus loin. A nouveau le grand cahier bleu, pour la dernière fois en principe, jusqu’à ce qu’un responsable constate : « Il y a un problème, vous êtes en séjour illégal ». Puisqu’il n’était pas écrit dans mon passeport que j’avais droit à deux entrées, et puisque je suis quand même entré deux fois, je ne pouvais pas sortir. Logique…

Faire l’innocent : comment savoir que je suis en séjour illégal, puisque leurs collègues de Kamanyola m’ont laissé entrer ? Et d’ailleurs, si séjour illégal il y a, ils n’ont qu’à m’expulser… vers le Burundi, où je vais. Mais comme ils supposaient qu’il y avait eu un arrangement à l’entrée, donc ils voulaient un arrangement, financier bien sûr, avec eux aussi.

Bien sûr, les billets de 20 dollars étaient prêts, en poche, pour le cas où… mais c’était une question à la fois de principe et de fierté. Cela s’est terminé dans le bureau du chef de poste qui, de guerre lasse sans doute, a condescendu, "pour une fois", à fermer les yeux et me donner mon cachet de sortie.

 

Cette fois, j’étais enfin hors du Congo. L’entrée au Burundi devait se faire sans problème. En principe, parce qu’une virgule mal placée sur le visa a attiré l’attention du douanier qui a benoitement expliqué qu’un problème de virgule équivaut à 20 dollars. Palabre, à nouveau, jusqu’à ce que la conversation débouche, non plus sur le foot, mais sur la nouvelle liaison aérienne directe entre le Burundi et la Belgique, signe des affinités entre les deux pays, et bla bla bla. Le douanier souriait de plus en plus, jusqu’à me rendre mon passeport avec un sonore «Bienvenue au Burundi, monsieur André ».

C’était fini. Six heures d’émotion, pour dix dollars, le prix du bus.

André Linard, InfoSud

www.infosud-belgique.info

 

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