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L’esclavage quotidien existe encore (15 avril 2004)

 

L’Unesco a lancé le 10 janvier une “Année de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition”. Mais l’esclavage reste à abolir dans les faits. Il continue d’exister sur tous les continents. Le Niger, la Sierra Leone, le Soudan, le Mali… sont notamment concernés, tout comme le Brésil.

 

La récolte 2003 de poivre dans la plantation Senor, au Brésil, s’est terminée en novembre sans plainte des travailleurs. L’information serait insignifiante si, voici un an, cette plantation appartenant à la société belge SIPEF n’avait fait l’objet d’accusations d’esclavage et de mise au travail d’enfants. Elle le conteste, mais reconnaît néanmoins des illégalités, pour lesquelles elle a été condamnée.

Selon l’ONG britannique Anti-Slavery, la servitude pour dettes, proche de l’esclavage, touche au moins 20 millions de personnes dans le monde. Même dans des pays qui ont légalement aboli l’esclavage, celui-ci subsiste, du Brésil au Pakistan en passant par l’Afrique et par les ambassades dans les villes européennes (Genève, Paris, Bruxelles...). L’esclavage continue d’exister sous diverses formes : servitude pour dettes, travail forcé d’adultes et d’enfants, exploitation sexuelle des enfants, commerce et déplacement d’êtres humains, mariage forcé.

Au Mali, en Afrique du Sud, au Niger, en Haïti…, des jeunes sont placés en domesticité. Dans son dernier rapport sur le travail des enfants, le Bureau international du travail constate : “En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, (…), le placement des enfants dans des familles d’accueil, pratique traditionnelle dans ces pays, est aujourd’hui devenu le cadre d’une véritable exploitation des enfants.”

En Sierra Leone, des milliers d’hommes rêvent de trouver du diamant, dans près de 800 “mines artisanales”. Ils sont payés uniquement en nourriture et produits de première nécessité, parfois quelques outils. Les chercheurs de diamant logent sur leur lieu de travail et semblent maintenus dans l’endettement permanent par les propriétaires des mines, qui leur vendent à des prix arbitraires, outils de travail et nourriture.

 

L’esclave, c’est une “chose”

Au Brésil, l’affaire SIPEF a démarré en septembre 2002 par une plainte déposée par 13 hommes et femmes auprès du Centre de Défense de la Vie et des Droits Humains d’Açailândia, une petite ville de l’Etat du Maranhão, au Brésil. Ils travaillaient sur la plantation Senor, dans la commune de Dom Eliseu (état du Pará), dont la société belge SIPEF, basée à Anvers, est l’actionnaire majoritaire à 92%. Cette entreprise agro-industrielle possède des plantations dans plusieurs pays en développement et y produit des matières premières tropicales. Au Brésil, la SIPEF gère trois plantations ; celle de Dom Eliseu exporte du poivre noir et est dirigée par Joost Smit.

La dénonciation faite par les travailleurs en fuite auprès du Centre évoquait l’absence de salaire pendant plus de deux mois, des conditions de logement infra-humaines, l’endettement perpétuel auprès du patron, le recours au travail d’enfants... Par ailleurs, le gérant et quatre gardes surveillaient le travail, tous armés. Autant d’indices habituels d’esclavage que les réponses de la SIPEF ne permettent pas d’exclure. Les responsables du Centre de Défense de la Vie et des Droits Humain qui ont reçu cette déclaration ajoutent que “ces personnes sont arrivées dans des conditions de faim, de soif, d’épuisement physique et émotionnel”.

La différence entre l’esclavage et le travail pénible est difficile à prouver. Ainsi, l’ONG belge Social Alert qui a enquêté en Sierra Leone “n’a pas acquis de certitude, mais a des présomptions”, affirme-t-elle. De même, le procureur du travail brésilien qui, en octobre 2002, a enquêté dans la plantation de la SIPEF y a trouvé 191 adultes et 23 enfants de moins de 16 ans (âge minimum légal pour travailler au Brésil) dans des conditions telles que “tous les éléments de fait recueillis par les inspecteurs du groupe mobile d’inspection qui participèrent à l’opération, ainsi que les preuves découlant des investigations du Ministère public, confirment l’exploitation de travail forcé ou de travail analogue à l’esclavage”.

Les indices d’une situation d’esclavage sont la confiscation des papiers d’identité, le logement sur le lieu de travail, l’interdiction de contacts extérieurs, notamment avec la famille, des conditions de travail contraires à la dignité humaine. S’y ajoutent parfois l’isolement culturel (dans un pays étranger dont on ne parle pas la langue, entre autres) et la violence physique envers le travailleur.

Dans le cas de la SIPEF non plus, il n’y a pas de certitude. L’entreprise conteste avoir fait travailler des enfants ; ceux-ci, bien que présents sur la plantation, n’étaient pas des travailleurs, selon elle. Les ouvriers logeaient “dans des baraquements aux conditions d’hygiène très mauvaises, sans eau potable, ni électricité, ni installation sanitaire”. Selon les témoignages consignés dans le rapport, les cabanes étaient faites de planches et de terre : “sept à huit personnes en moyenne, couples, célibataires et enfants mélangés, y logeaient entassées”.

Un autre critère typique de l’esclavage est le non accomplissement par le patron des obligations légales prévues par la législation du travail : les ouvriers n’avaient rien reçu comme salaire après 70 jours de travail et n’avaient pas été enregistrés officiellement ; leurs cartes de travail n’avaient pas été signées.

 

24 infractions limitées

Le procureur décrit également dans son rapport l’existence d’un système d’endettement, caractéristique de la pratique esclavagiste. Les ouvriers étaient obligés de payer leurs repas et d’acheter les produits de première nécessité dans la seule cantine-restaurant du domaine, “à des prix élevés”. Le patron déduisait ces sommes de leur futur salaire, accroissant sans fin leurs dettes envers lui.

Interrogé en avril 2003, le porte-parole de la SIPEF, François Van Hoydonck, nous a tenu un tout autre discours. “On nous a accusé d’esclavage, mais nous avons été condamnés uniquement pour des questions comme l’absence de gants au travail ou d’autres mesures de sécurité. Nous avons payé des dédommagements. En réalité, des personnes licenciées pour avoir volé un sac de poivre se sont adressées au Centre des Droits humains en se présentant comme esclaves en fuite, ce qui est faux.”

Dans une note écrite, la SIPEF reconnaît avoir commis 24 infractions à la législation sur le travail, fédérale ou locale. Les travailleurs n’étaient pas enregistrés, parce que “nous avons engagé des groupes de familles”. Les paiements étaient différés parce que “nous avons suivi les usages locaux, consistant à payer des avances sur salaires, puis à faire un décompte final.” Il y avait effectivement des manques en matière de sécurité au travail. Quant aux conditions sanitaires, “les anciens bâtiments et sanitaires, qui ne servaient plus, ont été remplacés.” La société a été condamnée à des amendes.

En novembre 2003, François Van Hoydonck affirmait : “nous attendons, l’esprit tranquille, une nouvelle inspection par le Ministère du travail. Il n’y a plus de problèmes. D’ailleurs, en avril, le Ministère a marqué son accord avec les mesures que nous avons prises.” Par prudence, il ajoute toutefois que ces pratiques “vont à l’encontre de toutes les règles de conduite du Groupe SIPEF. Bien que celui-ci en assume la responsabilité, cela devrait être considéré comme des abus spécifiques au management brésilien.” Selon la SIPEF, tout est rentré dans l’ordre, mais qu’en serait-il sans la dénonciation des travailleurs ?

L’année de commémoration ouverte le 10 janvier par l’Unesco commémore la lutte contre l’esclavage, afin d’“institutionnaliser la mémoire, empêcher l’oubli, rappeler le souvenir d’une tragédie longtemps occultée ou méconnue et lui restituer la place qui doit être la sienne dans la conscience des hommes”, selon les termes de Koïchiro Matsuura, directeur général de l’organisation. La plupart des activités prévues (études et réunions scientifiques, expositions, valorisation de figures historiques…) ont à voir avec le passé. Mais Koïchiro Matsuura veut aussi “sceller l’engagement de lutter contre toutes les formes contemporaines de l’esclavage.” C’est plus difficile, parce que les résistances restent fortes.

 

Juan Barahona et André Linard/

Info Sud - www.infosud.be

 


 

40 000 esclaves au Brésil

 

Le cas de l’entreprise SIPEF est loin d’être unique au Brésil. Selon la Commission pastorale de la terre (catholique) et le Bureau international du travail, environ 40 000 personnes travaillent aujourd’hui dans tout le pays – mais principalement dans la région amazonienne - dans des conditions analogues à l’esclavage.

Le gouvernement fédéral affiche sa détermination à éradiquer ce fléau d’ici 2005, comme l’a promis le président Lula. Depuis le début de 2003, les groupes mobiles d’inspection du Parquet fédéral du travail ont libéré 4500 travailleurs – un record.

Sur le plan judiciaire, la situation est moins réjouissante. Aucune condamnation pénale n’a été prononcée à ce jour à l’encontre des propriétaires de plantations, les fazendeiros, parmi lesquels on trouve des députés fédéraux. Seules des sanctions civiles qui visent à régulariser la situation des travailleurs ou à réparer le tort moral causé à la collectivité ont été prononcées. Pour Francisco Fausto, président du Tribunal supérieur du travail et de l’emploi, le seul moyen d’en finir avec cette pratique d’un autre âge est de confisquer sans indemnisation les terres où l’utilisation d’esclaves a été constatée. La mesure est prévue dans un projet d’amendement constitutionnel accepté par le Parlement. La prochaine diffusion d’une “liste noire” contenant le nom des entreprises condamnées pour utilisation d’esclaves est une autre mesure gouvernementale saluée par tous. Elle permettra d’exclure ces entreprises du financement étatique. Car le comble est qu’aujourd’hui près de 90% des sociétés où des travailleurs esclaves ont été trouvés bénéficient de subsides fédéraux.

J. B.

 

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