International
(18 décembre 2008)
Des
mutuelles de santé
pour
reconstruire la société
congolaise
Il ne
se passe plus une semaine sans que les médias ne nous projettent des images
dramatiques de l’est de la République démocratique du Congo. Dans cette
situation de crise et d’insécurité généralisée, l’avenir passe par la
solidarité.
Après
le dévoilement hier du calvaire inacceptable des viols en masse, ce sont des
centaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes que l’on voit
aujourd’hui jetés sur les routes, parqués dans des camps de fortune,
confrontés à la faim, au froid, aux maladies, aux sévices de toutes sortes
et à la mort. On pourrait craindre que ces populations, fatiguées par tant
de souffrance, baissent les bras. On s’attendrait à ce que leurs
partenaires, engagés depuis des années à leurs côtés, jettent l’éponge et
abandonnent le terrain aux seuls organismes d’urgence humanitaire.
Pourtant, malgré la
tension perceptible dans la région et les difficultés du quotidien, c’est
pleins de détermination qu’organisations locales, acteurs nationaux et
certains de leurs partenaires africains et européens se sont donné
rendez-vous au mois d’octobre dernier à Bukavu, capitale de la Province du
Sud-Kivu, pour y tenir un atelier sur les mutuelles de santé.
Vers une
sécurité sociale solidaire
La route pour l’accès
généralisé aux soins de santé en République démocratique du Congo est certes
encore longue mais l’expérience du Sud Kivu montre que le développement des
mutuelles de santé répond à un réel besoin de la population. Rappelons-nous
qu’en 1996, c’est en pleine guerre qu’à Idjwi, des hommes et des femmes ont
créé leur mutuelle de santé, aidés par le Bureau diocésain des œuvres
médicales (BDOM) de Bukavu et la Mutualité chrétienne de Hainaut Picardie.
Dans les mois à venir, une nouvelle expérience mutualiste verra le jour à
Butembo, au cœur du Nord Kivu avec l’appui de la Mutualité Saint-Michel (MC
de Bruxelles).
Organisé conjointement
par le BDOM de Bukavu, le Programme national de promotion des mutuelles de
santé (PNPMS) et Caritas Développement Congo, l’atelier sur les mutuelles de
santé visait à mettre en valeur les initiatives concrètes existantes, à
réfléchir sur des questions de fond et à créer un dialogue constructif entre
les mutuelles de santé, les autorités politiques, administratives et
sanitaires, les promoteurs et les experts (1).
Quelle place pour les
mutuelles de santé dans un système national de protection sociale ? Avec
quel statut juridique? Comment équilibrer expertise technique et
participation communautaire? Et comment solliciter l’appui de l’Etat sans
étouffer l’initiative? Ce sont quelques-unes des questions qui ont occupé
les participants pendant plus d’une semaine. L’atelier a en outre permis aux
participants de discuter de l’importance de créer des synergies entre
organisations qui travaillent dans le domaine de la santé.
Comment financer la santé?
Actuellement, moins de
2% des Congolais sont protégés par un système d’assurance santé. Un des
problèmes majeurs de la population réside dans la difficulté d’accès
financier aux soins. Celle-ci entraîne notamment un recours tardif aux soins
(souvent au stade des complications) avec en corollaire des durées
d’hospitalisation prolongées et un nombre de décès plus élevé.
Dans un contexte où
l’Etat est encore peu présent, les stratégies de financement de la santé,
souvent impulsées de l’extérieur, se multiplient et parfois se confrontent.
C’est notamment le cas avec la stratégie de gratuité des soins prônée par
certaines ONG d’urgence. Bien que pertinente dans un contexte économiquement
difficile tel celui des zones de conflit ou post-conflit, elle pose question
quant à sa pérennité et met en difficulté la stratégie des mutuelles de
santé basée sur une participation de la population. Les mutuelles de santé,
en répartissant le poids financier des risques sur un grand nombre de
membres solidaires, permettent entre autres aux familles d’accéder plus
facilement aux soins, d’améliorer la qualité de ceux-ci et de réduire
l’impact financier de la maladie dans des situations socio-économiques déjà
précaires. Mais pour que le système fonctionne de manière optimale, le
professionnalisme est essentiel.
“Le chemin se construit
en marchant”
A l’Est du Congo, un
mouvement social mutuelliste qui compte aujourd’hui plus de 40.000 membres
se renforce chaque jour. Et de Bwamanda à Kinshasa, les initiatives se
multiplient.
Dans le contexte actuel,
certains jugent de telles démarches illusoires. Mais d’autres, comme le
professeur Philippe de Villé (2), s’opposent à une vision
fataliste d’un cercle vicieux du sous-développement impossible à briser à
cause d’une insécurité chronique. Pour lui, l’existence de mouvements
sociaux forts et organisés est une voie prioritaire afin de lutter contre le
sous-développement dans un pays déstructuré comme la République démocratique
du Congo. Le cas du Sud Kivu l’illustre, les mutuelles de santé, en tant que
projet participatif de longue haleine, peuvent contribuer à une véritable
restructuration de la société.
Malgré le climat de peur
suscité par la situation au Nord Kivu, la tenue de cet atelier était un
signe positif: il est possible de continuer à travailler pour nourrir
l’espoir de la population. Cette initiative nous invite également à ne pas
nous réfugier dans l’inaction et le pessimisme. Surtout, il faut garder en
tête qu’à côté des nouvelles dramatiques qui nous parviennent, la population
congolaise s’organise, tisse des solidarités et nous présente le visage d’un
Congo qui résiste et qui marche…
Caroline Lesire
(1) BIT STEP, Memisa Belgique, Cordaid, GTZ, Solidarité
Mondiale, Mutualité chrétienne.
(2) Professeur d’économie à l’UCL (IRES) et à l’Université
catholique de Bukavu où il a contribué à créer le laboratoire d’économie
appliquée au développement (LEAD).
Un pays dans la tourmente |
La
République démocratique du Congo est retombée dans la tourmente d’un
cycle de guerres atroces qui dure depuis près de douze ans. En
Belgique, nous étions pourtant nombreux à espérer que les élections
organisées en 2006 apporteraient enfin le répit à une population
congolaise meurtrie par tant d’années de souffrance. Les élections,
saluées par de nombreux observateurs internationaux pour leur
transparence, avaient doté le pays d’institutions démocratiques,
dont un président élu au suffrage universel, un parlement national
et des parlements provinciaux.
Grâce aux
soutiens diplomatiques, politiques et financiers, le pays semblait
renaître, mais c’était sans compter les difficultés de gouvernance
de l’Etat congolais et la convoitise de plusieurs acteurs, qu’il
s’agisse d’Etats, d’hommes d’affaires ou de multinationales
occidentales peu scrupuleuses, de bandes armées ou de seigneurs de
guerre locaux.
Sans la présence
de ressources stratégiques dans la région, il est fort à parier que
cette guerre n’aurait pas duré si longtemps ou n’aurait tout
simplement pas eu lieu.
Son enjeu
principal est donc le pillage systématique et à moindre coût des
ressources naturelles du Kivu. Cette région regorge en effet de
minerais convoités (1) comme le niobium, le
colombo-tantale, la cassitérite, l’étain ou l’or. Comme le souligne
le Potentiel (2), toute initiative de paix qui ne
remontera pas à la racine économique du mal est vouée à l’échec.
C’est aussi ce que concluent les rapports de divers organismes
internationaux. A l’instar des mécanismes mis en place pour le
diamant, il semble urgent de créer des procédures de traçabilité et
d’embargo pour les minerais du Kivu.
A côté de
l’enjeu minier de cette guerre, on parle aussi de plus en plus de
l’attrait des riches terres agricoles volcaniques du Nord Kivu.
Enfin, la présence dans les deux Kivu de milices hutu rwandaises
Interhamwe et des FDLR, dont certains auraient participé au génocide
rwandais, a toujours été présentée par le régime rwandais de Paul
Kagame comme une menace à ses frontières.
Ces différentes
questions seront davantage développées et discutées lors d’un
séminaire organisé par la commission internationale du MOC le
jeudi 22 janvier 2009, de 9h à 17h, à Overijse. Il portera sur
la situation socio-économique de la RdC aujourd’hui.
Infos:
02/246.38.01.
(1) Utilisés entre autres dans l’aérospatiale, le
nucléaire ou la téléphonie mobile.
(2)
www.lepotentiel.com |
La santé,
une priorité |
Dans le contexte actuel
de la République démocratique du Congo, d’aucuns doutent de l’opportunité de
soutenir des mutuelles de santé. Le Dr Anatole Mangala, coordinateur
scientifique de l’atelier de Bukavu, attaché à la division technique du
Programme national de promotion des mutuelles de santé, répond à ces
objections: “Que peut-il y avoir de plus urgent pour un peuple que
d’atteindre le bien-être sanitaire? La santé de la population constitue la
priorité des priorités pour tout pays qui s’inscrit dans les objectifs du
Millénaire et la lutte contre la pauvreté. A nos yeux, c’est vraiment le
moment d’appuyer les initiatives mutualistes naissantes, nombreuses à émaner
de la base. Et quand on se rappelle l’abbé Daens, on comprend que rien n’est
impossible. Il nous semble même plus facile de sortir des situations
d’inégalité comme nous les connaissons en Afrique en étant soutenus par des
organisations telles que la Mutualité chrétienne”.
Et de poursuivre:
“Avec la pacification progressive du territoire, l’Etat veut s’organiser.
C’est donc le moment idéal pour lancer un processus d’appui au système de
manière durable et arrêter les appuis d’urgence. Une réflexion doit dès lors
être menée pour favoriser le professionnalisme, renforcer l’attractivité des
schémas mis en place et rechercher des synergies pour améliorer l’accès de
tous à des soins de santé de qualité”.
CL
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