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International (4 juin 2009)

 

Le Congo malade de faux médicaments

Des pharmaciens congolais n’hésitent pas à vendre sous leur vrai nom des médicaments piratés. Les autorités tentent de mettre fin à ce trafic, non sans mal.

Le grand nombre de pharmacies est une des images frappantes pour qui voyage en République démocratique du Congo. Dans certaines rues de Kinshasa, Goma ou ailleurs, il n’est pas rare d’en voir trois ou quatre sur une centaine de mètres. De là à dire que les Congolais sont bien soignés, il y a une marge. Ces “officines” sont de minuscules boutiques dans lesquelles on trouve sous le même nom des médicaments corrects et d’autres, jusqu’à dix fois moins chers, qui n’en sont que des ersatz, des produits piratés et inefficaces, voire toxiques pour la santé.

Rien à voir donc avec les médicaments génériques, moins chers que les médicaments de marque eux aussi, mais qui contiennent les mêmes principes actifs que les originaux dont les brevets sont tombés dans le domaine public, et qui sont vendus sous un autre nom. En RDC, c’est dans les structures de santé, plus que dans les pharmacies, que l’on trouve ces génériques dont le prix reste malgré tout trop élevé pour la plupart des Congolais.

Même dans des pharmacies qui ont pignon sur rue, les médicaments pirates sont monnaie courante. Selon Faustin Kabeya Mukendi, président provincial de l’Ordre des pharmaciens à Kinshasa, seules 500 pharmacies parmi les milliers qu’on voit dans les rues de la ville sont inscrites au tableau de l’Ordre. Les autres fonctionnent de manière illégale. Pire encore, elles sont tenues par des gens non qualifiés alors que les pharmaciens sont les seuls habilités à vendre les médicaments.

«Beaucoup de pharmacies présentent aussi des produits périmés emballés dans des boîtes aux dates falsifiées», témoigne de son côté un agent de la Sécurité urbaine de Goma.

Autre phénomène inquiétant: la vente de médicaments dans la rue. A Kinshasa, par exemple, sur les trottoirs de l’avenue du Commerce, dans le centre des affaires, des jeunes vendent à la criée divers types de médicaments. On y trouve un peu de tout: des aspirines, des antibiotiques, des anti-inflammatoires… D’origine douteuse, mal conservés, exposés à la chaleur et à la poussière, la plupart de ces médicaments sont des contrefaçons.

 

Un juteux commerce

Fabriqués en Inde, en Chine, au Kenya et en Ouganda pour la plupart, ces produits falsifiés représentent 80% des stocks dans les pharmacies et s’écoulent rapidement. «Les acquérir ne pose pas de problème, ils sont moins coûteux et s’achètent sur place, alors que les vrais produits sont chers et rares sur le marché», tente d’expliquer un pharmacien.

Le manque de contrôle a gonflé le commerce, juteux et très attractif, de ces médicaments contrefaits. «Selon l’OMS, le trafic des médicaments falsifiés est 25 fois plus rentable que la vente de la drogue», explique David Dianganzi, pharmacien inspecteur provincial au Bas-Congo.

Pour la population, il n’est pas toujours facile de distinguer les vrais des faux médicaments. «Les gens se contentent de présenter l’ordonnance ou de demander le prix, sans se poser de question quand on leur propose deux produits du même nom, mais à des prix différents», explique un responsable de l’Association des consommateurs du Congo. Beaucoup achètent simplement le moins cher. Même lorsqu’ils ne sont pas toxiques, ces faux médicaments trompent des patients aux revenus déjà très faibles, en ne les soignant pas correctement ou pas du tout... 

 

Des contrôles insuffisants

La loi exige que tout importateur des médicaments recourre aux services techniques d’un pharmacien et dépose une demande d’importation à l’Inspection. «Il y a des médicaments, comme le Phényle de propanolamine, dont seul le Ministère de la Santé peut autoriser l’importation; d’autres, à l’instar de la Chloroquine, sont interdits d’importation. Mais on les rencontre parfois sur le marché», constate Isaac Ndaliko, agent à l’inspection des pharmacies de Kinshasa.

Sur le terrain, c’est l’Inspection provinciale des pharmacies qui est chargée de contrôler le secteur. Mais ses moyens sont dérisoires. Pour Kinshasa et ses huit millions d’habitants, la cellule compte cinq personnes, sans moyen de locomotion. «Avec les moyens du bord, je supervise et inspecte les structures médicales pharmaceutiques et je transmets les procès verbaux pour engager d’éventuelles actions judiciaires…, confirme le pharmacien inspecteur provincial au Bas-Congo. Mais je n’ai pas le droit de sanctionner; les propriétaires des pharmacies le savent».

L’autre structure, l’Ordre des pharmaciens, se dit aussi impuissante. «Nous ne confisquons pas les faux médicaments, explique Faustin Kabeya Mukendi. Nous dénonçons leurs auteurs auprès de la justice et suspendons les nôtres qui se livrent à un tel trafic.»

 

Des efforts certains

A Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, trois dépôts pharmaceutiques ont été fermés durant la première quinzaine de mai pour vente de faux médicaments. Selon Dominique Baabo, médecin inspecteur provincial du Nord-Kivu, ce n’est là qu’un début. «Après les dépôts, nous allons nous attaquer aux officines qui persistent dans cette pratique.» En moins de deux ans, des centaines de cas de fraude ont été répertoriés dans la province. Des stocks des faux médicaments ont été saisis, leurs propriétaires arrêtés et condamnés par la justice, et les produits incinérés à leurs frais.

Lorsqu’il y a suspicion de faux médicaments, un échantillon est envoyé à Kinshasa dans un laboratoire spécialisé pour analyser et attester sa conformité. «A Matadi aussi, explique David Dianganzi, nous avons pu retirer du marché 900 ampoules de Methergine et d’autres médicaments. Nous avons constaté la présence de sept types de produits falsifiés et contrefaits. Mais ce n’est qu’une partie de l’iceberg.» Or, l’avenir n’est pas garanti: «Nous sommes appuyés par la Coopération technique belge dont le mini-laboratoire nous permet d’analyser les médicaments. Mais cette assistance arrive à son terme et nous sommes inquiets pour l’avenir», avoue David Dianganzi.

André Linard,

InfoSud-Syfia Grands Lacs,

avec les correspondants en RD Congo

 

Causes et remèdes

La vente de médicaments contrefaits n’est pas propre au Congo même si elle y est particulièrement active. Tous les pays en voie de développement sont touchés par ce phénomène.

Le marché du médicament a considérablement changé ces dix dernières années. Comme n’importe quelle marchandise, le médicament est entré dans la mondialisation. La libre circulation a apporté un certain nombre de dangers dont la perte de contrôle sur la qualité de certains produits aussi bien pour les matières premières que pour les produits finis. C’est ainsi qu’aujourd’hui, on retrouve sur le marché des produits contrefaits et des médicaments de mauvaise qualité (médicaments périmés, mal conservés, non homologués…). La contrefaçon s’applique autant aux médicaments de marque qu’aux médicaments génériques. L’OMS décrit les produits contrefaits comme étant des produits contenant soit le bon principe actif mais en très faible quantité soit un mauvais principe actif, soit aucun principe actif ou encore des produits présentés dans un conditionnement contrefait.

Les médicaments contrefaits sont vendus partout dans le monde (on l’estime à 10% du marché mondial du médicament). Mais le problème est majeur dans les pays en voie de développement «où l’insuffisance du règlement pharmaceutique et souvent aussi la corruption ont ouvert les portes à ce marché préjudiciable et coûteux pour la santé publique», comme l’affirme S. Barbereau dans un article consacré à la contrefaçon des médicaments (1).

Selon Claude Dussart et Jean Tchichoua, chercheurs CNRS au Laboratoire d’analyse des systèmes de santé à l’Université de Lyon, les faux médicaments représenteraient jusqu’à 60% du volume vendu dans certains pays africains (2).

Pourquoi les médicaments contrefaits ont-ils un tel essor? Selon les deux chercheurs du CNRS déjà cités, la population africaine est confrontée à deux problèmes majeurs: la difficulté d’accès aux soins et la perte de confiance dans les établissements de santé dans un contexte sanitaire souvent précaire. «Le coût des médicaments est en effet élevé et disproportionné par rapport au niveau de vie local. S’y ajoute la politique obligatoire de recouvrement des coûts dans les services publics de santé, aggravée par la défaillance du système de protection sociale. Les populations sont contraintes de se tourner massivement vers le marché parallèle du médicament avec des conséquences dramatiques en termes de santé publique. L’achat de produits illicites, falsifiés, dangereux ou prohibés se double du danger social que représente l’émergence récente d’une mafia du médicament, sans oublier la prolifération de faux guérisseurs traditionnels attirés par l’appât du gain».

 

Des solutions?

Au début des années 90, l’apparition du marché illicite a été considérée comme un problème marginal qui pourrait rapidement être assaini par une répression constante et une législation efficace. Des actions ponctuelles, notamment des opérations policières et des saisies ont été réalisées ça et là, mais sans grands résultats (3).

Aujourd’hui, l’impact des activités pharmaceutiques illicites sur la santé des populations, sur les politiques pharmaceutiques et sur l’économie commence à être pris en considération après des années de tolérance et d’absence manifeste de lutte de la part des autorités politiques et des organismes professionnels. Il apparaît évident qu’il faut combiner les actions de répression avec une amélioration de l’accessibilité aux médicaments de qualité. Outre la mise en place d’une politique de prix des médicaments et d’un contrôle strict de la qualité des produits, l’action peut et doit porter sur les facteurs multiples qui favorisent et entretiennent ce marché. Baisser les taxes sur les médicaments, promouvoir la production pharmaceutique sur place, approvisionner les centres de santé et les hôpitaux en médicaments génériques, faire évoluer les pratiques de prescription et de distribution, sensibiliser la population aux risques des faux médicaments… Autant de stratégies de lutte parmi d’autres qui impliquent l’ensemble des acteurs. Le succès de la lutte contre le marché illicite repose sur l’application conjointe de ces stratégies mais aussi la simultanéité des interventions dans les différents pays de la région.

Joëlle Delvaux

(1)La contrefaçon des médicaments: un phénomène en pleine expansion – S.Barbereau – Médecine tropicale – 2006.

(2)La vente illicite des médicaments au Cameroun : réseaux et stratégies de lutte contre le phénomène – C. Dussart et J. Tchitchoua – Colloque du 9 décembre 2005 au Centre européen de Santé humanitaire à Lyon.

(3) Pour en savoir plus, consulter les informations fournies par le Réseau Médicaments et développement, association qui coordonne l’échange d’informations sur le médicament entre les professionnels de santé du Nord et du Sud. www.remed.org

 


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