Enfin le bout du tunnel au Congo ?
A partir
du 30 juillet, les Congolais vont aller voter, d’abord pour un président
et des députés. Si tout se passe bien, ce sera une étape décisive – mais
pas la fin– d’une longue quête de pacification, de stabilité et de
démocratie. La plupart d’entre eux veulent la paix pour vivre mieux.
C’était le 18 décembre 2005.
Un vieux monsieur, appuyé sur sa canne, s’avance. Il s’applique à bien
cocher le oui ou le non, puis à glisser d’une main tremblante son
bulletin dans l’urne, avant de se voir mettre de l’encre indélébile sur
les doigts. Plus loin, ce sont des femmes qui invoquent la paix, pestent
contre la chaleur, mais expliquent qu’il faut être là, pour le bien du
pays. Ce jour-là, 15,5 millions de Congolais se sont rendus aux urnes,
et la majorité a approuvé une nouvelle Constitution. Peu l’avaient lue
et comprise, mais ce qui comptait à leurs yeux était d’avancer sur le
chemin des élections et, au-delà, d’une vie normale. Comme le résumait
cet étudiant de Goma, à l’Est : "On nous dit qu’il faut accepter ce
texte pour que le processus avance. Je ne voudrais pas que la transition
perdure". Partout, une préoccupation s’exprimait : marre de la guerre,
le pays a trop souffert, il faut la paix pour progresser.
Les
élections, les Congolais les vivront bientôt. Une série de scrutins vont
avoir lieu à partir du 30 juillet: présidentiel (à deux tours si
nécessaire), législatif, provinciaux et locaux. Des votes pour lesquels
il a fallu d’abord recenser les électeurs, grâce à un quadrillage
systématique (mais non sans défaut) du pays: sur environ 28 millions de
citoyens concernés, 25,6 millions ont reçu une carte d’électeur. Il a
fallu élaborer une Constitution et une loi électorale, et ensuite
seulement ouvrir les candidatures. Il a fallu imprimer en millions
d’exemplaires des bulletins de vote kilométriques, comptant jusqu’à 700
noms, dans un pays qui n’a pas de rotative. Il a fallu, et il faudra
encore, faire parvenir les kits d’enregistrement et de vote jusque dans
des coins reculés qui ne sont pas accessibles par route. Beaucoup ont
crié casse-cou, tant les défis étaient immenses. Il y a eu des retards
et des tentatives de fraude, mais la motivation émouvante des votants au
référendum indiquait que, pour la paix, il fallait persévérer.
Retards et mauvaise volonté…
Tout cela est
le résultat d’un processus de 36 mois, issu d’accords de pacification
conclus en 2002 en Afrique du Sud, pour mettre fin à la situation de
guerre que le pays connaissait depuis 1997. De ces accords sont sortis
la fameuse formule 1 + 4 (un président et quatre vice-présidents
représentant les tendances signataires), l’élaboration d’un calendrier
et d’un nouveau cadre législatif et la création d’institutions chargées
de gérer cette transition. Tout le processus devait être terminé pour le
30 juin 2005, avec toutefois la possibilité explicite d’une prolongation
de deux fois six mois. Donc au plus tard le 30 juin 2006. Mais les
retards se sont accumulés depuis le début du processus. Selon
Marie-France Cros, spécialiste de la région à La Libre Belgique,
«Certains sont dus à de bonnes raisons, comme la discussion de fond sur
le projet de Constitution, mais d’autres à une mauvaise volonté des gens
au pouvoir, qui freinent des quatre fers, comme s’ils faisaient tout
pour ne pas aller aux élections et donc rester au pouvoir.»
Si dans
l’absolu, personne ne refuse le principe d’une élection des dirigeants
par la population, c’est la légitimité du processus actuel qui est
contestée par une frange de l’opinion regroupée autour de l’Union pour
la démocratie et le progrès social (Udps), de l’ancien opposant à Mobutu
Etienne Tshisekedi. L’Udps est restée en marge des accords de 2002.
Depuis lors, elle n’a eu de cesse de tenter de prouver que, sans elle,
la transition est condamnée à l’échec… et de tout faire pour qu’elle
échoue. Ses partisans ont donc boycotté l’enregistrement des électeurs,
et ne pourront donc pas voter. Mais l’Udps n’a pas été massivement
suivie, et s’est donc trouvée assise entre deux attitudes : d’une part,
continuer de contester le processus de transition et, de l’autre,
constatant que celui-ci progresse malgré tout, tenter de s’y inscrire,
sans toutefois perdre la face. D’où la demande permanente de ce parti de
renégocier le processus et de bénéficier d’un délai extra-légal pour s’y
intégrer.
Le paquet pour réussir
S’ajoute à
ces arguments celui d’une «recolonisation du pays par les puissances
européennes», pour reprendre une expression des plus critiques. La
communauté internationale a mis le paquet, en effet. Elle intervient via
un Comité international d’accompagnement à la transition (CIAT), composé
de 11 pays dont la Belgique, des Unions européenne et africaine et des
Nations Unies. Cet encadrement est parfois fort directif , et des
personnalités comme Louis Michel, Aldo Ajello (l’envoyé spécial de
l’Union européenne pour la région des Grands Lacs), et Kofi Annan
(secrétaire général des Nations Unies) ont multiplié les visites sur
place. L’Onu a largement délié les cordons de la bourse. Sa Mission au
Congo (Monuc) a envoyé 17.600 hommes pour sécuriser le tout. Le
processus électoral a reçu 450 millions de dollars, précise la Monuc.
Sans parler d’innombrables initiatives non gouvernementales, en matière
d’appui à la citoyenneté et de formation de journalistes par exemple.
Mais cet
engagement international est mal perçu par une partie de l’opinion
congolaise. «Allez dire à votre Louis Michel qu’il n’est pas ministre
des colonies», nous lançaient à Kinshasa des étudiants furieux. La
communauté internationale est accusée d’intervenir non pour mettre en
place le cadre électoral, mais aussi pour orienter le résultat en faveur
du pouvoir actuel. Aujourd’hui, en effet, vouloir l’aboutissement du
processus est un choix que tous n’ont pas fait. Mettre le paquet pour y
arriver, comme l’a fait la communauté internationale, est dès lors perçu
par l’opposition comme un choix partisan, même si les acteurs s’en
défendent. «Ce qui m’intéresse dans ce pays, ce n’est pas de savoir qui
sera président, c’est qu’il y ait des élections démocratiques, un
président et un parlement légitimés, et un gouvernement le plus inclusif
possible», confiait récemment à InfoSud Louis Michel, commissaire
européen au développement, dont le tempérament fonceur et le caractère
parfois peu diplomatique a cependant suscité une impression inverse en
RDC.
L’opposition
politique affirme que, formellement, il y a un «vide juridique», puisque
le 30 juin 2006 est atteint sans que le processus électoral ait abouti.
D’autres rétorquent que la nouvelle Constitution prévoit ce passage. De
toute façon, les élections sont à portée de main. Faut-il tout remettre
en cause si près du but ? Non, selon le président de la Commission
électorale indépendante, qui a répété fin juin qu’il n’y aura pas de
modification du calendrier.
Tout commence seulement
Des
élections, donc. Des millions de Congolais espèrent voir le pays sortir
de la déglingue économique. Mais peut-on se fier à ses élections ?
Probablement, mais sans idéaliser. Toutes les conditions ne sont pas
réunies pour qu’elles soient totalement libres. D’abord, il y a le coût
de l’inscription des candidats : 50.000 $ (non restituables) pour la
présidence. Enorme. Le tarif est dégressif pour les autres niveaux de
pouvoir, mais il faut quand même débourser 25 dollars pour être candidat
dans sa collectivité locale. Sans compter les frais de dossier à
remplir. "Le Congo, entend-on souvent, est un pays riche habité par une
majorité de pauvres." Mais 33 personnes, dont deux sœurs, ont payé
50.000 $. Il y a donc aussi des riches dans ce pays.
A la
présidence, ceux qui ont une réelle chance sont peu nombreux. En tête,
le président Joseph Kabila, bien sûr, suivi dans les sondages par Pierre
Pay-Pay, ancien gouverneur de la Banque centrale, Nzanga Mobutu,
Jean-Pierre Bemba (un des vice-présidents), Antoine Gizenga (un opposant
historique). Au stade actuel, il est probable que Joseph Kabila
l’emporte. Parce qu’il est sans doute le plus populaire dans l’ensemble
du pays ; parce que ses partisans monopolisent largement les médias ; et
– affirment ses opposants – parce qu’il est soutenu par l’étranger. Et
cela, malgré les attaques qui continuent de se répandre sur son origine.
Certains continuent, à travers force messages diffusés sur internet, à
le désigner comme «étranger» ou «rwandais».
Aujourd’hui,
deux questions restent ouvertes. D’abord, dans quelles conditions se
dérouleront les élections? Conditions matérielles bien sûr, vus les
problèmes de transport, d’électricité, d’analphabétisme et d’insécurité
qui prévalent dans certaines régions. Et conditions d’honnêteté. La
présence de milliers d’observateurs délégués par des pays étrangers, par
des ONG nationales ou internationales, des Eglises, des associations…
rassure, mais ne constitue pas une garantie absolue.
L’autre
question est peut-être plus importante encore : les perdants
accepteront-ils leur défaite, ou se lanceront-ils dans des contestations
sans fin, qui risquent de faire basculer à nouveau le pays dans la
violence? Les observateurs estiment qu’après tous les efforts mis en
œuvre, un échec constituerait un recul catastrophique, dans les faits et
dans les esprits. La communauté internationale pourrait bien conclure
que les Congolais ne veulent décidément pas de la paix, et se retirer.
Il reste,
enfin, que les élections, seules, ne résoudront pas grand-chose. Elles
sont un moyen, pas une fin. La population attend plus qu’un
fonctionnement politique démocratique: la réponse à ses problèmes
matériels: des infrastructures, du transport, des salaires décents, la
sécurité le soir dans les quartiers, la paix dans le pays… Mais c’est
ambigu. Croire que tout dépend du politique, c’est ignorer la place de
la vie associative sur le plan social tout comme celle, sur le terrain
économique, de l’initiative privée, de la classe moyenne, de la
bourgeoisie locale. Prendre son avenir en mains ne se fait pas
uniquement le jour des élections, si importantes soient-elles!
André Linard,
InfoSud
A lire,
pour mieux comprendre le pays : Géopolitique du Congo (RDC), par
Marie-France Cros et François Misser, Editions Complexe (Bruxelles),
2006, 144 p., 14,50 EUR.
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