Recherche :

Loading

La rédaction

Notre histoire

Newsletter

Nous contacter

Une erreur dans votre adresse postale ?
Signalez-le

Actualité

Culture

International

Mutualité Service

Santé

Société

Nos partenaires

Visitez le site de la Mutualité chrétienne

International (6 juillet 2006)

 

Enfin le bout du tunnel au Congo ?

 

A partir du 30 juillet, les Congolais vont aller voter, d’abord pour un président et des députés. Si tout se passe bien, ce sera une étape décisive – mais pas la fin– d’une longue quête de pacification, de stabilité et de démocratie. La plupart d’entre eux veulent la paix pour vivre mieux.

 

C’était le 18 décembre 2005. Un vieux monsieur, appuyé sur sa canne, s’avance. Il s’applique à bien cocher le oui ou le non, puis à glisser d’une main tremblante son bulletin dans l’urne, avant de se voir mettre de l’encre indélébile sur les doigts. Plus loin, ce sont des femmes qui invoquent la paix, pestent contre la chaleur, mais expliquent qu’il faut être là, pour le bien du pays. Ce jour-là, 15,5 millions de Congolais se sont rendus aux urnes, et la majorité a approuvé une nouvelle Constitution. Peu l’avaient lue et comprise, mais ce qui comptait à leurs yeux était d’avancer sur le chemin des élections et, au-delà, d’une vie normale. Comme le résumait cet étudiant de Goma, à l’Est : "On nous dit qu’il faut accepter ce texte pour que le processus avance. Je ne voudrais pas que la transition perdure". Partout, une préoccupation s’exprimait : marre de la guerre, le pays a trop souffert, il faut la paix pour progresser.

 

Les élections, les Congolais les vivront bientôt. Une série de scrutins vont avoir lieu à partir du 30 juillet: présidentiel (à deux tours si nécessaire), législatif, provinciaux et locaux. Des votes pour lesquels il a fallu d’abord recenser les électeurs, grâce à un quadrillage systématique (mais non sans défaut) du pays: sur environ 28 millions de citoyens concernés, 25,6 millions ont reçu une carte d’électeur. Il a fallu élaborer une Constitution et une loi électorale, et ensuite seulement ouvrir les candidatures. Il a fallu imprimer en millions d’exemplaires des bulletins de vote kilométriques, comptant jusqu’à 700 noms, dans un pays qui n’a pas de rotative. Il a fallu, et il faudra encore, faire parvenir les kits d’enregistrement et de vote jusque dans des coins reculés qui ne sont pas accessibles par route. Beaucoup ont crié casse-cou, tant les défis étaient immenses. Il y a eu des retards et des tentatives de fraude, mais la motivation émouvante des votants au référendum indiquait que, pour la paix, il fallait persévérer.

 

Retards et mauvaise volonté…

Tout cela est le résultat d’un processus de 36 mois, issu d’accords de pacification conclus en 2002 en Afrique du Sud, pour mettre fin à la situation de guerre que le pays connaissait depuis 1997. De ces accords sont sortis la fameuse formule 1 + 4 (un président et quatre vice-présidents représentant les tendances signataires), l’élaboration d’un calendrier et d’un nouveau cadre législatif et la création d’institutions chargées de gérer cette transition. Tout le processus devait être terminé pour le 30 juin 2005, avec toutefois la possibilité explicite d’une prolongation de deux fois six mois. Donc au plus tard le 30 juin 2006. Mais les retards se sont accumulés depuis le début du processus. Selon Marie-France Cros, spécialiste de la région à La Libre Belgique, «Certains sont dus à de bonnes raisons, comme la discussion de fond sur le projet de Constitution, mais d’autres à une mauvaise volonté des gens au pouvoir, qui freinent des quatre fers, comme s’ils faisaient tout pour ne pas aller aux élections et donc rester au pouvoir.»

 

Si dans l’absolu, personne ne refuse le principe d’une élection des dirigeants par la population, c’est la légitimité du processus actuel qui est contestée par une frange de l’opinion regroupée autour de l’Union pour la démocratie et le progrès social (Udps), de l’ancien opposant à Mobutu Etienne Tshisekedi. L’Udps est restée en marge des accords de 2002. Depuis lors, elle n’a eu de cesse de tenter de prouver que, sans elle, la transition est condamnée à l’échec… et de tout faire pour qu’elle échoue. Ses partisans ont donc boycotté l’enregistrement des électeurs, et ne pourront donc pas voter. Mais l’Udps n’a pas été massivement suivie, et s’est donc trouvée assise entre deux attitudes : d’une part, continuer de contester le processus de transition et, de l’autre, constatant que celui-ci progresse malgré tout, tenter de s’y inscrire, sans toutefois perdre la face. D’où la demande permanente de ce parti de renégocier le processus et de bénéficier d’un délai extra-légal pour s’y intégrer.

 

Le paquet pour réussir

S’ajoute à ces arguments celui d’une «recolonisation du pays par les puissances européennes», pour reprendre une expression des plus critiques. La communauté internationale a mis le paquet, en effet. Elle intervient via un Comité international d’accompagnement à la transition (CIAT), composé de 11 pays dont la Belgique, des Unions européenne et africaine et des Nations Unies. Cet encadrement est parfois fort directif , et des personnalités comme Louis Michel, Aldo Ajello (l’envoyé spécial de l’Union européenne pour la région des Grands Lacs), et Kofi Annan (secrétaire général des Nations Unies) ont multiplié les visites sur place. L’Onu a largement délié les cordons de la bourse. Sa Mission au Congo (Monuc) a envoyé 17.600 hommes pour sécuriser le tout. Le processus électoral a reçu 450 millions de dollars, précise la Monuc. Sans parler d’innombrables initiatives non gouvernementales, en matière d’appui à la citoyenneté et de formation de journalistes par exemple.

 

Mais cet engagement international est mal perçu par une partie de l’opinion congolaise. «Allez dire à votre Louis Michel qu’il n’est pas ministre des colonies», nous lançaient à Kinshasa des étudiants furieux. La communauté internationale est accusée d’intervenir non pour mettre en place le cadre électoral, mais aussi pour orienter le résultat en faveur du pouvoir actuel. Aujourd’hui, en effet, vouloir l’aboutissement du processus est un choix que tous n’ont pas fait. Mettre le paquet pour y arriver, comme l’a fait la communauté internationale, est dès lors perçu par l’opposition comme un choix partisan, même si les acteurs s’en défendent. «Ce qui m’intéresse dans ce pays, ce n’est pas de savoir qui sera président, c’est qu’il y ait des élections démocratiques, un président et un parlement légitimés, et un gouvernement le plus inclusif possible», confiait récemment à InfoSud Louis Michel, commissaire européen au développement, dont le tempérament fonceur et le caractère parfois peu diplomatique a cependant suscité une impression inverse en RDC.

 

L’opposition politique affirme que, formellement, il y a un «vide juridique», puisque le 30 juin 2006 est atteint sans que le processus électoral ait abouti. D’autres rétorquent que la nouvelle Constitution prévoit ce passage. De toute façon, les élections sont à portée de main. Faut-il tout remettre en cause si près du but ? Non, selon le président de la Commission électorale indépendante, qui a répété fin juin qu’il n’y aura pas de modification du calendrier.

 

Tout commence seulement

Des élections, donc. Des millions de Congolais espèrent voir le pays sortir de la déglingue économique. Mais peut-on se fier à ses élections ? Probablement, mais sans idéaliser. Toutes les conditions ne sont pas réunies pour qu’elles soient totalement libres. D’abord, il y a le coût de l’inscription des candidats : 50.000 $ (non restituables) pour la présidence. Enorme. Le tarif est dégressif pour les autres niveaux de pouvoir, mais il faut quand même débourser 25 dollars pour être candidat dans sa collectivité locale. Sans compter les frais de dossier à remplir. "Le Congo, entend-on souvent, est un pays riche habité par une majorité de pauvres." Mais 33 personnes, dont deux sœurs, ont payé 50.000 $. Il y a donc aussi des riches dans ce pays.

 

A la présidence, ceux qui ont une réelle chance sont peu nombreux. En tête, le président Joseph Kabila, bien sûr, suivi dans les sondages par Pierre Pay-Pay, ancien gouverneur de la Banque centrale, Nzanga Mobutu, Jean-Pierre Bemba (un des vice-présidents), Antoine Gizenga (un opposant historique). Au stade actuel, il est probable que Joseph Kabila l’emporte. Parce qu’il est sans doute le plus populaire dans l’ensemble du pays ; parce que ses partisans monopolisent largement les médias ; et – affirment ses opposants – parce qu’il est soutenu par l’étranger. Et cela, malgré les attaques qui continuent de se répandre sur son origine. Certains continuent, à travers force messages diffusés sur internet, à le désigner comme «étranger» ou «rwandais».  

 

Aujourd’hui, deux questions restent ouvertes. D’abord, dans quelles conditions se dérouleront les élections? Conditions matérielles bien sûr, vus les problèmes de transport, d’électricité, d’analphabétisme et d’insécurité qui prévalent dans certaines régions. Et conditions d’honnêteté. La présence de milliers d’observateurs délégués par des pays étrangers, par des ONG nationales ou internationales, des Eglises, des associations… rassure, mais ne constitue pas une garantie absolue.

 

L’autre question est peut-être plus importante encore : les perdants accepteront-ils leur défaite, ou se lanceront-ils dans des contestations sans fin, qui risquent de faire basculer à nouveau le pays dans la violence? Les observateurs estiment qu’après tous les efforts mis en œuvre, un échec constituerait un recul catastrophique, dans les faits et dans les esprits. La communauté internationale pourrait bien conclure que les Congolais ne veulent décidément pas de la paix, et se retirer. 

 

Il reste, enfin, que les élections, seules, ne résoudront pas grand-chose. Elles sont un moyen, pas une fin. La population attend plus qu’un fonctionnement politique démocratique: la réponse à ses problèmes matériels: des infrastructures, du transport, des salaires décents, la sécurité le soir dans les quartiers, la paix dans le pays… Mais c’est ambigu. Croire que tout dépend du politique, c’est ignorer la place de la vie associative sur le plan social tout comme celle, sur le terrain économique, de l’initiative privée, de la classe moyenne, de la bourgeoisie locale. Prendre son avenir en mains ne se fait pas uniquement le jour des élections, si importantes soient-elles!

 

 

André Linard,

InfoSud

 

A lire, pour mieux comprendre le pays : Géopolitique du Congo (RDC), par Marie-France Cros et François Misser, Editions Complexe (Bruxelles), 2006, 144 p., 14,50 EUR.


 

  Retour à l'Index "Enjeux internationaux"