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International (3 juillet 2008)

 

 

Birmanie: une catastrophe
dans la catastrophe


Toujours privés pour la plupart d’une aide humanitaire digne de ce nom, les survivants du cyclone Nargis, qui a touché de plein fouet la Birmanie le 2 mai dernier, font face à leurs souvenirs cauchemardesques et à la chape de plomb imposée par la junte. Plus d’un mois après le drame, la situation du peuple birman reste dramatique. “Une catastrophe dans la catastrophe”, comme le disait Bernard Kouchner.
Un million de sinistrés n’ont toujours reçu aucune aide,
pas même un abri en cette saison de mousson et de pluies diluviennes.
Parmi les sinistrés, beaucoup d’enfants, le regard fixe, sont encore sous le choc. Aucun soutien psychologique digne de ce nom n’a encore pu être apporté aux populations du delta.
"C’était le 2 mai dans l’après-midi, il pleuvait à seaux, le vent grondait. Un bruit sinistre jamais entendu..., raconte une habitante d’une des îles situées dans l’embouchure du delta de l’Irrawaddy et touchées en premier par le cyclone. Tout à coup, je me suis sentie emportée par des trombes d’eau. Ballottée par ce qui était devenu des vagues géantes, je me suis retrouvée accrochée à un arbre, mes habits envolés. Quand le niveau de l’eau a baissé, j’ai avancé vers des vêtements qui dépassaient. J’ai voulu les prendre pour couvrir ma nudité et me protéger du froid. Exténuée, à bout de force, je me suis endormie sur ce qui, à mon réveil, s’est révélé être un amas de cadavres. Autour de moi, des bateaux étaient rentrés dans les maisons, des gens étaient écrasés sous les arbres, j’entendais crier...”.Invitée à parler par une religieuse venue les soutenir, une autre femme enchaîne: “Je me suis accrochée à l’homme qui se trouvait à côté de moi lorsque les flots ont déferlé. Il a dû déployer une force énorme pour nager en me portant. Echoué avec moi, sur un banc de sable, il s’est écroulé, mort d’épuisement...”. Passé le cyclone, l’aide fait de suite défaut. “L’armée a largué par avion des haricots et des nouilles mais uniquement dans les zones bouddhistes. Après trois jours, des prêtres ont envoyé un bateau pour nous emmener dans leur centre. Nous n’avons pas reçu un seul grain de riz en dehors de ceux qui nous ont été donnés par des religieux ou autres donateurs privés.”Un humanitaire onusien explique: “Nous avons été empêchés d’aller porter secours non seulement à cause de routes ou de  ponts détruits mais aussi et surtout, à cause des innombrables obstacles mis par le pouvoir”. Les religieux, bouddhistes comme chrétiens, ont bien souvent été les premiers, voire les seuls, à venir en aide aux personnes sinistrées. Aussi discrètement que courageusement. Ainsi, plusieurs monastères bouddhistes ont hébergé des sinistrés ou distribué du riz la nuit, pour ne pas être repéré par l’armée, qui leur avait interdit pareille bienveillance.Les communautés chrétiennes ont fait de même. Certaines accueillent aujourd’hui des enfants orphelins. Parmi eux, Flora, une fillette de 6 ans, qui vient tout juste d’arriver. Ses parents sont morts ainsi que quatre frères et sœurs mais elle ne peut en parler, devenue muette suite au choc. Dès qu’il a commencé à pleuvoir violemment, elle a couru se cacher sous la table. Autour d’elle, d’autres enfants, le regard fixe, immensément triste, sont encore sous le choc. Aucun soutien psychologique digne de ce nom n’a encore pu être apporté aux populations du delta.

 

La prison pour ceux qui veulent aider
Les Birmans tentent de soutenir leurs concitoyens au prix de risques énormes car porter assistance est considéré comme une offense à la junte au pouvoir (art. 28) et mène droit en prison.
Le 5 juin, Zarganar, un comédien birman, défenseur des droits de l’homme très apprécié, a encore été incarcéré. La veille, il avait donné une interview à une radio étrangère où il parlait du réseau de 400 personnes qu’il avait mis en place pour secourir des sinistrés. Il n’est pas le seul à connaître ce triste sort. Au moins 70 convoyeurs de dons privés ont été arrêtés avant lui. Dans les rues de Rangoun, nous frémissons en voyant passer un camion bleu avec quelques ouvertures grillagées auxquelles s’accrochent d’innombrables mains. Prisonniers d’opinion, étudiants ayant manifesté contre le maintien en détention d’Aung San Suu Kyi, opposants, journalistes, généreux donateurs ou simples prisonniers de droit commun ? Poser la question serait risquer de les rejoindre dans un pays où chacun est prié d’espionner ses voisins et de faire rapport sur les premiers suspects, les allochtones.

 

Médias et ONG muselés
Le 8 juin, les radios étrangères ont été qualifiées d’ennemies, les antennes satellites confisquées et les publications des photos des dévastations interdites dans la presse locale. Place à l’unique télévision nationale, qui déverse quotidiennement les images du Général Than Shwe se penchant vers des sinistrés, comblés.
Dans un des camps, qui a servi de cadre à pareille mise en scène, des réfugiés nous ont dit qu’une fois le n°1 du régime parti, on leur avait repris immédiatement tout ce qui venait d’être offert. Les belles tentes bleues avaient été remplacées par de vieux tissus kaki. En cette période de mousson, il y pleuvait des cordes. Mais nous n’en verrons pas plus, un check point militaire barrait l’accès au camp. Les journalistes ne peuvent d’ailleurs toujours pas obtenir le visa requis pour circuler dans le pays. Certains d’entre eux, qui étaient parvenus à entrer ont été arrêtés et expulsés.Quant aux ONG et aux agences onusiennes, leur travail tient du parcours du combattant. Ainsi, une grande ONG, soutenue par la Belgique, avait enfin décroché une autorisation de se rendre dans les zones sinistrées pour plusieurs de ses expatriés. Le jour J, après une préparation minutieuse, l’organisation apprend que les précieux sésames auraient été “perdus” par les autorités... “Nous décrochons certains laissez-passer mais toujours avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, faute de reconnaissance officielle”, confie le logisticien épuisé. Entretemps, il faut stocker les vivres et biens non périssables. Or, les propriétaires qui louent des entrepôts aux ONG risquent eux aussi de connaître les geôles de la junte militaire car celle-ci a exigé que toute l’aide internationale lui soit remise.

 

Les sinistrés chassés de leurs abris
Sur les routes du delta, des hordes de déplacés marchent sous une pluie battante, avec leur maigre balluchon sur le dos. Tout juste derrière eux, un barrage militaire leur ferme l’entrée d’un camp. Renvoyés dans leurs habitations dévastées, les villageois se confient: “Ils nous ont forcé à partir la nuit tombée, sans nourriture, ni argent. Juste avec quelques bambous, insuffisants pour reconstruire une maison.”
“Moi, je n’avais même pas pu trouver refuge dans ce camp, car cela fonctionne par copinage, seules 40 familles avaient été admises, s’enhardit une femme. Notre logis a été détruit, nous avons bien tenté de revenir mais le terrain était convoité par les militaires qui nous ont expédiés sans le moindre dédommagement dans une zone inondable, où rien ne nous garantit que nous ne serons pas à nouveau chassés”, continue notre interlocutrice désespérée.Entre quatre yeux, Kyaw, un intellectuel de la capitale commente la situation: “Le delta de l’Irrawaddy est peuplé essentiellement de Karens, une ethnie redoutée par les généraux au pouvoir. D’où le peu d’empressement à les secourir... Finalement, le cyclone ne va-t-il pas enrichir et renforcer encore les pouvoirs de la junte? C’est le risque avec les aides bilatérales des Gouvernements ou des grandes organisations internationales offertes à la dictature birmane, sans moyen de contrôle... Mais ne nous laissez pas mourir d’un second cyclone, écrivez ce qui se passe ici. Nous souffrons depuis trop longtemps sous la férule de généraux corrompus”, insiste Kyaw.
Texte et photos:
Bernard Lepoivre

 

La Birmanie,
une dictature et un peuple opprimé
Située en Asie du Sud Est, la Birmanie compte un peu moins de 50 millions d’habitants sur un territoire grand comme 22 fois la Belgique. Le pays est dirigé par l’une des dictatures les plus féroces au monde, une junte militaire, accusée de crimes contre l’humanité et de violations graves des droits de l’homme. On se souvient de la révolte des bonzes mâtée dans le sang, en septembre dernier. Depuis 1990, malgré des élections remportées à plus de 80% par le parti d’Aung San Suu Kyi, le pouvoir ne lui a jamais été remis. Bien au contraire, l’opposante n°1 du régime, devenue Prix Nobel de la Paix a été emprisonnée puis placée en résidence surveillée. Les 2 et 3 mai, la plus grande catastrophe naturelle depuis le tsunami frappait la région du delta de l’Irrawaddy, faisant plus de 138.000 morts et 2,4 millions de sans abris. Parmi eux, un million de personnes n’ont toujours pas reçu la moindre aide internationale. Pire, dans les zones les plus touchées, trois quart des sinistrés ne disposent même pas d’eau potable.

 


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