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Afrique :
La liberté de la presse bafouée au quotidien
(5 juin 2003)

Une vingtaine de journalistes ont été tués au boulot en 2002, et quelques-uns en Irak. Beaucoup plus nombreuses - mais moins spectaculaires - sont les atteintes “de tous les jours” à la liberté d’action des journalistes, qui empêchent l’information libre. Tour d’Afrique des obstacles.

A Kinshasa, les journalistes se font appeler quados - réparateurs de pneus en jargon local. Ils passent en effet leur temps à boucher les trous de leurs poches toujours vides, que remplit essentiellement le “coupage” (petite motivation financière octroyée par l’organisateur d’une conférence de presse ou par un interviewé) ; et les trous de leurs articles souvent dépourvus d’informations essentielles.

En ville comme en province, et comme ailleurs en Afrique francophone, il est souvent difficile, voire impossible aux journalistes d’obtenir ou de vérifier une information émanant d’une source officielle. Afin d’empêcher les journalistes de “nuire”, expression qui en dit long sur leur vision de la presse, les ministres s’interdisent de répondre aux interviews sans s’en référer au Président de la République.

Pour dénicher des informations et donc pour vivre, les journalistes en sont alors réduits au système D. Ils exploitent des rumeurs, des communiqués officiels, des messages des ONG, des courriers électroniques émanant de correspondants anonymes, des sites web peu crédibles… En revanche, d’autres nouvelles très importantes sont passées sous silence par manque de données ou faute d’autorisation. Ainsi, le 16 janvier 2001, la rumeur de l’assassinat du Président Laurent-Désiré Kabila courait à travers Kinshasa lorsque l’édition du Phare, qui avait titré en Une : “Laurent-Désiré Kabila assassiné ?”, fut annulée. L’embargo sur la mort du Président durera 6 jours, alors qu’à l’étranger, tout le monde savait.

 

Les “grands types”

Bien sûr, c’est une règle du métier : entre le journaliste et son sujet, on joue au chat et à la souris. Le premier cherche des informateurs capables de le renseigner utilement ; l’autre use de tous les moyens pour empêcher le professionnel de faire son travail. C’est un jeu dangereux où il convient d’avoir les nerfs solides et un entourage familial capable de résister aux appels anonymes et aux pressions. En Afrique, dans ce continent parfois engoncé dans ses traditions, “il y a des choses qui ne se disent pas”, surtout sur la place publique. Ainsi, il ne faut jamais dénoncer les “grands types”, parce que “le chef a toujours raison”.

Les rédactions ont-elles les moyens de mener de vraies enquêtes de terrain qui exigent de nombreux témoins ? Boureïma Jérémie Sigué, directeur des éditions Le Pays, au Burkina Faso, en doute. Avec une équipe d’une dizaine de journalistes seulement qui doivent éditer à la fois un quotidien, un hebdomadaire et un mensuel, ce groupe de presse vieux de 11 ans ne possède toujours qu’un seul véhicule commis aux courses courantes, pas aux déplacements des journalistes. Pourtant, certains médias arrivent à faire sauter ce verrou mais au prix fort. Le mensuel ouagalais L’Événement s’est résolument tourné vers les grands reportages et les enquêtes. Son directeur de publication, Germain Bittiou Nama, ne cache pas ses angoisses quand il faut se rendre sur le terrain. “Là, je viens de rentrer de Banfora, situé à quelque 450 km de Ouagadougou. Deux jours d’enquête qui m’ont coûté l’équivalent de 230 euros.” Ce fonctionnaire, devenu journaliste d’investigation par fidélité “à un idéal de vie, une passion pour la vérité” croit en son nouveau métier. “Nos lecteurs méritent une information de qualité”, soutient ce quinquagénaire, discret mais ferme sur ses principes. C’est en enquêtant que son collègue Norbert Zongo a été tué. Alors, constate un jeune journaliste, “On se contente de couvrir les séminaires. C’est moins risqué et ça rapporte puisque c’est facturé”.

Au Cameroun, Pierre Camille Pem, directeur administratif du Front indépendant, met le doigt sur l’origine du problème : “Avec nos journaux qui fonctionnent sans publicité, où pouvons-nous trouver les moyens pour envoyer nos journalistes faire de l’investigation ?” Certaines rédactions ne disposent même pas de ligne téléphonique. Lorsqu’elles en ont, son accès est très contrôlé. Quant à l’accès à Internet, son coût reste souvent prohibitif. Aucune rédaction n’a donc de connexion Internet librement accessible aux journalistes. La plupart des rédactions n’ont d’ailleurs, au mieux, qu’un ordinateur réservé à l’usage exclusif de la direction.

 

Chasse aux sorcières

L’absence de données économiques ou sociales constitue un autre obstacle à la publication d’articles précis et fondés. Études et statistiques sont rares, non actualisées, d’accès difficile ou très onéreuses. Ainsi, à la direction des douanes à Douala, pour obtenir les chiffres des importations ou des exportations d’un produit, il faut adresser au service des statistiques une demande timbrée. En cas d’accord, le journaliste doit au préalable payer l’information, à raison de 25 000 F cfa (38 euros) par produit et par année. Soit plus de deux fois la pige payée pour un article par les plus grandes rédactions du pays... A la Chambre de commerce, les chiffres du commerce extérieur disponibles datent de trois ans au moins et les données démographiques du pays ne sont que des estimations basées sur un recensement vieux de 15 ans. Les journaux camerounais en sont réduits aux commentaires et aux comptes rendus institutionnels, au détriment du reportage et de l’enquête.

Et même lorsqu’un document existe, il est risqué d’en faire état. Dans les administrations publiques en général, dès qu’une information se retrouve dans la presse, les responsables lancent une chasse aux sorcières pour retrouver l’auteur des fuites. En 2001, Haman Mana, directeur de publication du journal camerounais Mutations, a été arrêté et détenu pour avoir publié l’intégralité des décrets présidentiels réformant l’armée et avoir refusé de dénoncer le fonctionnaire qui lui avait remis les textes. Or ces 21 décrets présidentiels étaient dans le même temps publiés à dose homéopathique par le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune. Après trois jours de détention, Haman Mana a été libéré sous la pression de ses confrères. “L’enjeu de cette affaire pour moi, c’est l’accès à l’information, surtout administrative”, déclarait-il dès sa libération.

Selon une règle non écrite, seuls les journalistes de la presse gouvernementale camerounaise ont accès aux informations venant des administrations publiques.

En Côte d’Ivoire aussi, pour accéder à l’information officielle, mieux vaut être proche du pouvoir. Même pour obtenir le communiqué hebdomadaire du Conseil des ministres. Pendant longtemps, c’est le quotidien national Fraternité Matin qui en avait la primeur ; cela lui permettait ce jour-là d’augmenter son tirage. Aujourd’hui, changement de président oblige, c’est le quotidien Notre Voie du Front populaire ivoirien du président de la République, Laurent Gbagbo, qui jouit de cet avantage.

 

Trop d’info tue l’info

Les techniques sont parfois plus sophistiquées. Souvent, trop d’info tue l’info, et certains pouvoirs en abusent pour piéger les journalistes qui ne vérifient pas les données. Surtout lorsque celles-ci émanent de gens qui ont un pouvoir politique, économique ou maraboutique. En quête de légitimité ou de reconnaissance, des journalistes, en particulier ceux qui n’ont pas bénéficié de formation, font tout pour entrer dans les bonnes grâces de ces gens de pouvoir. Ils cultivent des relations personnelles complaisantes avec eux, ce qui leur ôte tout esprit critique.

La tradition et le respect des anciens incitent à ne pas mettre en cause ce que dit une personne plus âgée ou mieux placée socialement. Mais l’ambition des jeunes journalistes qui veulent rapidement se faire une place au soleil, est aussi en cause. Certains, qui ont besoin d’argent pour vivre, ne font plus la différence entre un article et un publi-reportage. Une situation qui n’aurait pas lieu d’être, si la convention collective des journalistes était respectée.

Professeur à l’école de journalisme de Dakar, Alain Agboton regrette que ses confrères ne recherchent pas plus la vérité en creusant leurs informations. Fraîchement sortis des grandes écoles, bardés de diplômes, nombre de jeunes loups de la presse pensent que toute information donnée est bonne à prendre. Erreur qu’explique Alpha Sall, secrétaire général du Syndicat des journalistes sénégalais, le Synpics : “Tout le monde aime cultiver des secrets. Mais c’est quand on veut manipuler les journalistes ou se faire médiatiser qu’on leur donne facilement des informations... ” Le risque de publier des articles erronés peut être aussi important lorsque l’information est offerte sans restriction que lorsqu’elle est difficile à trouver.

 

Déontologie “oubliée”

La presse indépendante des gouvernements a gagné du terrain en Afrique francophone, dans la foulée des ouvertures démocratiques parfois timides. Mais la situation pécuniaire de ces médias et de nombreux journalistes réduisent largement leur indépendance réelle. Beaucoup arrondissent leurs fins de mois en mettant leur talent au service de qui veut bien les payer : ministères, entreprises…Au Bénin, bien que le Code de déontologie de la presse déclare incompatible “la fonction d’attaché de presse, de chargé de relations publiques et autres fonctions assimilées, avec l’exercice cumulé de la profession de journaliste”, de nombreux confrères exercent en même temps ces métiers. L’attaché de presse bénéficie de primes mensuelles (20 à 25 000 F cfa), d’un moyen de déplacement, de bons d’essence, de frais de mission et divers autres avantages.

Or, ce cumul des deux fonctions, devenu courant dans de nombreux pays, constitue un sérieux obstacle à la crédibilité des médias. La plupart de ces journalistes attachés de presse travaillent dans les médias de service public : 11 sur 30 au service de l’information de la radio béninoise, 9, dont le rédacteur en chef, sur 20 à la télévision nationale. C’est pourquoi, dans les organes de service public, l’information institutionnelle domine. “On s’accroche au discours du ministre”, déplore Célestin Mara, secrétaire de rédaction à la radio nationale béninoise.

Les journalistes qui ne respectent pas les consignes de l’attaché de presse risquent d’être pénalisés. “Parfois, témoigne C. A., attaché de presse d’un ministre, comme je connais la ligne éditoriale d’un journal, je me garde bien de lui donner l’information qu’il recherche.” Certains attachés s’emploient même à empêcher leurs confrères d’avoir un contact direct avec leur ministre. Le système, qui a pris de l’ampleur ces dernières années, verrouille toute recherche objective des faits et de la vérité.

André Linard,

Info Sud/Syfia

 

www.syfia.info

 

Pour aller plus loin, lire “Paroles d’Afrique centrale: briser les silences” - Institut Panos/Cota, , Ed. Karthala, 2003, 165 p.

 

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