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Enjeux internationaux (1er mai 2014)

Vers une version marchande des soins de santé ?

© Reporters Photononstop
Presque secrètement, les États-Unis et la Commission européenne négocient un accord de libre-échange. Leur ambition : créer un marché commun pour favoriser le commerce et les investissements des deux côtés de l’Atlantique. Certains documents “fuitent” sur Internet. Leur contenu n'augure rien de bon pour la santé publique et reste opaque aux yeux des citoyens.

Journalistes, syndicats, associations et même élus européens sont tenus à l’écart des discussions qui se déroulent tantôt à Bruxelles, tantôt à Washington. Pourtant, s’il est approuvé, le traité transatlantique en préparation concernera les 820 millions de consommateurs du “vieux” et du “nouveau” continent. Le secret est-il imposé pour éviter une débâcle telle que l'a subie l'Accord multilatéral d'investissement (AMI) en 1998(1)? C'est possible, puisque le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI)(2) et l'AMI semblent être faits du même bois: promotion de l'économie de marché, rejet du protectionnisme des États, renforcement du commerce multilatéral…

Les supporters du traité transatlantique assurent que la libre concurrence est capable de réguler le marché. Pour que cela fonctionne, il serait nécessaire de supprimer ce que les multinationales appellent les “entraves” au commerce : les obstacles tarifaires (droits de douane…) et, surtout, non tarifaires (protection des travailleurs et des consommateurs, droits syndicaux, protection de l’environnement…). C'est pourquoi la santé des Européens est concernée.

Est-ce que ça en vaut le coup ?

Le marché transatlantique inclurait 820 millions d'individus. Autant d'opportunités commerciales pour les firmes privées: développement de leurs activités, création d’emplois, confiance accrue des investisseurs, croissance… Bref, la relance.

Par prudence, une étude indépendante a été commandée par la Commission européenne au Centre de recherche en politiques économiques. Les résultats qu'elle livrait en 2013 sont encourageants. Le PTCI ferait gagner 545 euros annuels aux ménages européens, 0,5% de croissance économique à l’Union et 400 à 500.000 emplois seraient créés. Tout cela à l’horizon 2027.

Bonnes nouvelles, donc. Toutefois, d’aucuns doutent de l’indépendance de l'étude. Le Centre de recherche en politiques économiques serait phagocyté par les milieux bancaires (Deutsche bank, BNP Paribas, JP Morgan…) et le monde public de la haute finance (banques centrales anglaise, belge, européenne…). Certains de ses dirigeants entretiennent des liens étroits avec le monde des affaires et la Commission européenne. À noter, en particulier, le conseiller en matières économiques de José Manuel Barroso, Richard Portes, qui est l'un des fondateurs du centre de recherche londonien mandaté, ce qui pourrait suggérer l'existence de conflits d'intérêts.

La création d'un marché commun est le vœu le plus cher de certains lobbies mis en place par des multinationales. Huit d'entre eux se sont d'ailleurs réunis au sein de l’Alliance marchande pour un PTCI pour défendre le projet. Parmi eux : fédérations patronales, chambres du commerce (européennes et américaines), fédérations d'industriels, multinationales et, surtout, le Transatlantic policy network (TPN). Ce TPN rassemble les multinationales les plus performantes de leur secteur d’activité, et des élus politiques nord-américains et européens (8% du Parlement) influents occupant des postes stratégiques.

En juin 2013, le Conseil européen mandatait la Commission européenne pour négocier au nom des 28 États-membres. Depuis, Étasuniens et Européens se rencontrent pour négocier le contenu du partenariat transatlantique.

© BELGA
La santé deviendrait un bien marchand

Que comprend l'accord? Quels biens et services seront soumis aux règles de la concurrence? La santé figure-telle dans les points négociés? Il est plus aisé d'identifier ce qui n'y figure pas : “… tout service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services”. Le secteur de la santé, tel qu’il est conçu dans différents États-membres, n’est ni gratuit, ni dépendant de l’État et entre donc illico dans le “package” qui se négocie.

Une décision qui fâche l'Association internationale de la mutualité (AIM)(3): “Les services fournis par les mutuelles de santé exerçant des fonctions gouvernementales doivent être exclus du champ d'application des accords de libre-échange.” Ce n'est pas tout: le prix et le remboursement des médicaments sont aussi concernés. “C'est un sujet très sensible et, surtout, une compétence nationale”, annonce, sans ambiguïté, Corinna Hartrampf, chargée des affaires européennes de l'AIM. Enfin, la publicité sur les services de santé et les produits pharmaceutiques est aussi inscrite dans l'accord. Ce que déplore encore l'AIM qui estime que “les patients doivent avoir accès à une information objective, de qualité et indépendante du fabricant”.

Autre crainte, exprimée cette fois par l’organisation Commons network(4) en mars dernier: la liste des souhaits de “Big pharma”, surnom qu'elle donne au secteur pharmaceutique, dans la négociation du PTCI. “Les firmes cherchent à prolonger la durée de leurs monopoles sur les brevets de médicaments, à contrecarrer les règlementations des États-membres visant à contenir les prix des médicaments, et à entraver les récentes avancées de l’Agence européenne des médicaments (EMA) vers plus de transparence des données des essais cliniques, analyse Sophie Bloemen, coordinatrice de l'organisation. Ces négociations, menées en secret, offrent à l’industrie une opportunité unique de faire valoir ses intérêts”.

Enfin, autre menace pour la santé des Européens : l'harmonisation des normes sanitaires et phytosanitaires entre les États-Unis et l'Europe. Actuellement, les deux parties appliquent des politiques distinctes en la matière. Un produit est interdit dans l'Union tant qu’il n'est pas prouvé qu’il est sain. Aux USA, si la nocivité d’un produit ou d’un procédé n’est pas prouvée scientifiquement, il est libre d’accès. Ces normes qui, en Europe, protègent les consommateurs, sont vues par les concepteurs du PTCI comme des “entraves” au commerce qu'il faut éliminer pour réduire au maximum le protectionnisme des États. En négociant ce point avec les Étasuniens, la Commission européenne brade-t-elle le droit des États-membres de protéger ses citoyens de produits qu’ils jugent nocifs? Aujourd’hui, il y a ni bœuf aux hormones, ni OGM, ni poulets chlorés dans les assiettes européennes. Et demain?

Éloge de la non-démocratie

Demain… Il est probable que l’Union soit obligée d’autoriser sur son sol des produits qu'elle refoule aujourd’hui. Ce sera sous la contrainte de l’“Organe de règlement des différends” (ORD) , un point ultra-sensible qui figure dans le mandat de négociations. En deux mots, le procédé octroierait le droit à un investisseur (mais pas à un État) de poursuivre les gouvernements si une décision de politique légitime faisait de l’ombre au développement de son entreprise. Les firmes privées pourraient alors attaquer les pouvoirs publics nationaux et locaux. La Belgique, qui appose des messages de prévention sur les paquets de cigarettes, pourrait être attaquée par l'industrie du tabac. Ce n'est pas surréaliste ; ce cas de figure a eu lieu en Australie.

Les soins de santé ne seraient pas épargnés, estime l'AIM. “Il peut être attendu de voir des entreprises d'assurance privées (NDLR américaines et européennes) poursuivre les gouvernements de l'Union pour contester les systèmes nationaux de protection de la santé en matière de prix et de remboursements.

Raoul-Marc Jennar, docteur en sciences politiques(5), estime que c'est l'appareil législatif des 28 pays de l'Union qui est mis en danger : “On enlève à nos juridictions, issues d’institutions démocratiques, d’énormes compétences dès lors où un investisseur privé étranger actionne l’ORD. La santé, le social, l’environnement vont passer après les règles de la concurrence.” L’organe, qui n'aura rien d'une structure juridique internationale, sera composée d'experts et d'avocats d'affaires, prenant le pas sur toute jurisprudence et donnant naissance à un véritable business.

Contestation

Les négociations du PTCI restent opaques pour les citoyens, faisant penser à quelques-uns que c'est dans l'intérêt des lobbies privés qui l'influencent depuis ses débuts. Au point que certains acteurs évoquent le peu d'informations transitant de la Commission au Parlement européen, ceci menaçant la souveraineté des citoyens. Est-ce le symptôme d'une démocratie qui rend les armes et qui confie aux industriels la définition des règles du jeu?

En réaction à ce piétinement de la démocratie, des individus agissent. En négociant “en catimini”, l’Europe confisque la voix de ses citoyens, diront certains. Ceux-là, en descendant dans la rue, ont la ferme intention de la reprendre. C’est le cas de la plateforme No transat(6) qui offre des informations sur le PTCI et récolte des signatures pour contrer le projet. L'Alliance D19-20, qui rassemble des agriculteurs, des chômeurs, des citoyens, des syndicats, des ONG, des ASBL… organise aussi une mobilisation contre le traité transatlantique et l'austérité. “Empêchons les multinationales de dicter la politique européenne”.

Ce message, ils le porteront durant la rencontre des principaux lobbies industriels, le 15 mai prochain, lors du European business summit à Bruxelles.

//MATTHIEU CORNÉLIS

(1) Ce texte, rédigé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n'a pas été adopté suite à une mobilisation massive de la société civile.

(2) Appelé aussi Transatlantic trade and investment partnership (TTIP), Transatlantic free trade area (Tafta), Grand marché transatlantique (GMT)…

(3) Fédération de mutuelles de santé dont est membre la Mutualité chrétienne.

(4) www.commonsnetwork.eu/ttipbigpharmawishlist/

(5) Auteur du livre Le grand marché transatlantique, la menace sur les peuples d’Europe • Editions Cap Bear• 2014• 5 EUR • http://capbearedition.com

(6) www.no-transat.be

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