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Enjeux internationaux (18 avril 2013)

© Reporters
Haïti sous perfusion à vie ?

Plus de trois ans après le séisme qui a secoué Haïti, la Perle des Antilles ne s’est toujours pas relevée. Pourtant, au vu de l’aide humanitaire et des fonds qui lui étaient destinés, on aurait pu gager une reconstruction rapide.

Aba ONG, voles !” (en français, “A bas les ONG, voleuses !”) Les graffitis en créole sur les murs de la capitale, Port-au-Prince, en disent long. Depuis longtemps, Haïti se présente comme une destination privilégiée pour l’action humanitaire. Avec le séisme du 12 janvier 2010, des milliers d’organisations non gouvernementales (ONG) venues du monde entier, ainsi que les Nations Unies (via la Minsutah, mission pour la stabilisation en Haïti ou le Pnud, programme pour le développement)… ont renforcé leur présence sur l’île. La mobilisation internationale s’était aussi déployée au niveau financier : les promesses de dons avaient afflué de toutes parts. Des milliards de dollars devaient aider celle qu’on appelait “la Perle des Antilles”.

République de l’urgence

A l’heure d’aujourd’hui, le Palais national sur la Place du Champ de Mars de Port-au-Prince ressemble toujours à un château de cartes effondré. Il témoigne de la lente reconstruction. A quelques pas de là, des tentes et des bâches continuent d’accueillir tant bien que mal, les milliers de rescapés du séisme. Et parmi ce désastre, des ONG étrangères grouillent. Certaines ont déserté depuis que “l’urgence” n’est plus de mise. Mais combien sont-elles encore présentes sur le territoire? Impossible de les dénombrer. Malgré une loi haïtienne qui les oblige à se déclarer, seules quelques-unes d’entre elles obtempèrent. “La définition d’humanitaire est déjà très large, explique Frédéric Thomas, chercheur au Centre tricontinental (CETRI-LLN) et auteur de L’échec humanitaire. Le cas haïtien(1). Cela vise autant les associations de 2-3 personnes que les très grosses organisations bien connues, comme Médecins du Monde, Médecins sans frontières… ou les entités liées aux Nations Unies. Le séisme a ouvert la porte à une vague d’organismes inconnus, comme des groupements religieux nord-américains qui, sous le couvert d’aide humanitaire, sont venus faire de l’évangélisation.

L’humanitaire, un superman ?

Haïti n’a pas attendu le séisme pour voir une avalanche humanitaire se répandre sur ses terres, souligne une coopérante médicale en Haïti. Dans tous les Etats qui n’ont pas de gouvernement réel pouvant assumer la protection de ses civils, les entités internationales sont présentes, par exemple, pour proposer une aide sociale…” Les Occidentaux ont toujours perçu cet Etat antillais, comme faible et corrompu. Il est vrai que son histoire politique a connu pas mal de remous et que les dictateurs se sont succédé, plongeant le peuple dans la misère. “Le Nord voit le Sud comme le pauvre, le paysan, avec un gouvernement corrompu et incapable. Plutôt que de remettre en cause ses préjugés, l’aide d’urgence les prolonge ou en use (…) comme un instrument de légitimité”, ajoute Frédéric Thomas qui qualifie cette situation avec un terme un peu fort de “néocolonialisme”. “Pourtant, la plupart des humanitaires viennent avec de bonnes intentions, celles de vouloir aider l’autre. Mais il y a cette conception dans l’aide d’urgence que le pays a besoin d’experts venus d’ailleurs.

Manque de coordination

Sur place, la société civile haïtienne représente une force non négligeable. Au lendemain de la catastrophe, les premiers acteurs de l’aide post-séisme étaient les Haïtiens eux-mêmes. Certaines ONG internationales (comme Solidarité Mondiale, ONG du Mouvement ouvrier chrétien – voir article ci-dessous) s’efforcent de s’appuyer sur cette base pour mener à bien leurs actions. Des partenariats se créent avec des écoles, des médecins… locaux. Tandis que d’autres organismes internationaux débarquent avec leurs objectifs précis et un programme “clé sur porte”, sans se préoccuper de ce qui existe déjà sur place. Une Haïtienne confiait: “On se retrouve alors avec des maisons reconstruites dans des zones arides, loin de toute grosse ville pourvoyeuse d’emploi… où personne ne veut aller vivre.” Pourtant, des réunions de coordination sont organisées. Appelées “clusters”, elles visent à rassembler toutes les forces pour coordonner l’aide dans différents domaines, comme le ramassage des débris, le logement, l’alimentation… Certains déplorent que ces réunions se fassent “entre blancs” et en anglais (et non en français, encore moins en créole, la langue nationale) et indirectement, excluent les plus concernés. “Notre partenaire local, la Confédération des travailleurs haïtiens s’y est vu refuser l’accès, alors qu’il représente énormément de travailleurs haïtiens”, témoigne Ellen Verryt, responsable Amérique latine pour Solidarité Mondiale.

A qui profite l’aide ?

Après le séisme, des avions venus des Etats-Unis, du Canada, d’Israël, d’Europe se sont posés sur le sol haïtien. Sont déchargés alors des milliers de bouteilles d’eau, des kilos de riz, des tentes, des bâches… provenant d’entreprises étrangères. Charité bien ordonnée commence par soi-même : la catastrophe aurait profité à nombreuses économies étrangères. Ce que déplore Frédéric Thomas: “La reconstruction est un marché pour certains, où chaque pays essaie de positionner ses propres entreprises. Le postulat de l’absence de capacité et de fiabilité des entreprises haïtiennes fait l’affaire des bailleurs.” Et de se demander comment un pays fragilisé peut se relever dans un tel déséquilibre économique? Qualifié de “perfusion humanitaire”, ce phénomène de dépendance entraîne le pays dans un cercle vicieux : les producteurs locaux ne peuvent plus vivre de leurs activités et sombrent dans la pauvreté.

Autre déséquilibre qu’amène l’aide humanitaire: la fuite des cerveaux. Les organismes internationaux engagent des Haïtiens qualifiés à des salaires très élevés, les détournant ainsi de postes à pourvoir dans des institutions haïtiennes cruciales au bon fonctionnement de la société. “Pour les associations haïtiennes que nous soutenons, ce phénomène est préoccupant, s’inquiète Ellen Verryt. Elles cherchent depuis des mois et en vain, un bon comptable. Impossible à trouver car les candidats potentiels veulent travailler dans des organismes étrangers qui engagent à des salaires bien plus élevés. Pourtant, une fois parties, ces structures internationales sans ancrage pérenne dans le pays laissent un vide, notamment, en matière d’emplois.

Tirer des leçons pour le futur

L’aide d’urgence, c’est un sparadrap sur une plaie béante, affirme une coopérante qui a participé à cette aide d’urgence après le séisme. Ce ne sont pas les secousses sismiques qui ont mis à terre le pays. La crise d’urgence est chronique là-bas. L’aide humanitaire ne va pas sortir le pays de cette situation. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle!” Un Etat haïtien plus fort et une organisation de la société civile permettraient à ce pays de se relever. Il est peut-être temps d’impliquer plus les Haïtiens dans la reconstruction de leur pays, de les mobiliser pour qu’ils fassent pression sur leur gouvernement, leurs politiciens. Marie-Carmel Fils Aimé, de l’Institut culturel Karl Levêque (Haïti) confiait : “Occupez-vous de contrôler et changer les politiques de vos Etats (…), qui nous appauvrissent et nous enfoncent dans la dépendance ; nous nous occupons de notre Etat, qu’il faut transformer de fond en comble. Ne vous substituez pas à nous. Ne nous ‘sauvez’ pas. Mais travaillons de concert à nous appuyer et nous renforcer, pour faire de l’aide internationale une politique cohérente et efficace de soutien et de solidarité.(1)

Il ne faut pas être défaitiste : les dons ont servi, poursuit Frédéric Thomas. Tout ne se réduit pas à l’aide d’urgence. Toutes les ONG ne sont pas à mettre dans le même sac. Certaines sont présentes dans le pays et travaillent sur le long terme, main dans la main avec la société haïtienne.” Plus de 80% des débris ont, par exemple, été déblayés grâce au travail conjoint d’ONG, du gouvernement haïtien et des Haïtiens eux-mêmes, générant ainsi du travail pour la population locale.

Frédéric Thomas en appelle à une réflexion sur “cet échec de l’humanitaire” : “Haïti n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Les interventions d’urgence en Asie à la suite du tsunami ou en Amérique centrale après l’ouragan Mitch ont montré les mêmes défaillances et pourtant, aucune conclusion n’a été tirée. Il faut repenser l’humanitaire. Il fait peut-être partie d’une solution mais n’est pas LA solution unique.

// VIRGINIE TIBERGHIEN

(1) Frédéric Thomas, L’échec humanitaire. Le cas haïtien. Ed. Couleur livres, 2013, 80 p., 9 EUR.

Main dans la main avec les Haïtiens

Solidarité Mondiale, l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien (MOC) soutient depuis de nombreuses années, quatre organisations haïtiennes: le Mouvement socio-culturel des travailleurs haïtiens (MOSCTHA) ; la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH) ; la Jeunesse ouvrière chrétienne d’Haïti (JOC) ; le Centre de promotion des femmes ouvrières (CPFO). Avec elles, elle établit des projets à long terme pour remédier au manque de travail décent, au mauvais fonctionnement de l’état de droit et à l’accès médiocre et bancal à la sécurité sociale. Il serait impensable pour Solidarité Mondiale de ne pas considérer les forces locales. “Ces collaborations nous distinguent d’autres ONG présentes dans ce pays, explique Ellen Verryt, responsable Amérique latine pour Solidarité Mondiale. Nous ne faisons pas le travail à la place des Haïtiens. Nous n’avons pas de bureaux, ni d’équipe belge sur place. C’est un partenariat. Ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui prennent leurs projets à bras-le-corps.

La force de ces partenariats Nord-Sud se situe aussi dans leur ancrage historique ( pour certains, depuis plus de 30 ans!) et dans l’implication du voisin insulaire, la République dominicaine. “Une confiance règne entre les syndicats dominicain et haïtien. Cela facilite donc la tenue des actions de développement”, continue Ellen Verryt.

Lorsque la terre a tremblé, Solidarité Mondiale était aux côtés de ses partenaires pour aider dans l’urgence. “Comme nous avions des relais haïtiens et dominicains durables et fiables sur place, nous avons pu établir avec eux un plan d’action efficace, ajoute la responsable du programme Amérique latine. Les dons récoltés en Belgique et en République dominicaine leur ont été confiés. Mais l’aide d’urgence est vraiment une infime partie de notre travail. Nous nous attelons plutôt à reconstruire la société, au niveau de ses mouvements sociaux.

L’ONG du MOC promeut, renforce et met en valeur toutes les forces haïtiennes existantes. “C’est sur elles qu’il faut s’appuyer pour que nos collaborations soient une réussite. Et pour l’instant, c’est le cas !, se réjouit Ellen Verryt. La société haïtienne a les capacités de se prendre en main mais n’en a pas encore eu l’occasion. Avec nos partenaires, nous développons leur aptitude au plaidoyer. Nous les encourageons à créer des liens avec les autres structures locales et gouvernementales. Car, même si le gouvernement haïtien est encore faible et est mauvais gestionnaire, des choses existent. Il faut donc les inclure dans nos réflexions et dans notre travail.

>> Infos : 02/246.38.81 - www.solmond.be

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