International
(1er
mars 2012)
Quand les ventres crient
famine…
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© Associated Press - Reporters |
De la Corne
de l'Afrique à Haïti, en passant par l'Afrique de l'Ouest, où s'annonce une
grave pénurie, l'aide alimentaire d'urgence fait régulièrement des miracles.
Loin des clichés, ce type d’opérations à large échelle ne laisse aucune
place à l’improvisation ni au spectacle.
Des largages aériens de nourriture, balancés
depuis des avions mandatés par l’Onu. Des sacs de farine
déchargés de camions d’ONG humanitaires, aussitôt distribués à une
population affamée ou traumatisée. Telles sont les images le plus souvent
associées à l'aide alimentaire d'urgence. Fausses? Certainement pas. Mais
partielles et, parfois, un brin caricaturales. Exemple: depuis que l’Union
européenne a éliminé ses surplus agricoles, les donateurs préfèrent acheter
la nourriture de base sur les marchés locaux plutôt que les exporter à
grands frais. “Le sac de céréales parachuté parmi des sinistrés, c'est
vraiment le tout dernier recours, explique Jan Weuts, coordinateur de
l’aide d’urgence chez Caritas International Belgique. Il y a bien
d’autres manières d’organiser la distribution, notamment parce qu’il faut
éviter les détournements de nourriture par quelques privilégiés”.
Loin d’être
brutales et soudaines, les crises alimentaires sont très souvent pressenties
et annoncées pendant de longs mois. Ce délai laisse du temps – parfois trop
peu – aux ONG et au Programme alimentaire mondial (PAM) (lire l’article
ci-dessous) pour constituer des stocks alimentaires et les positionner au
plus près des zones appelées à souffrir. “Sur le terrain, des signes
annonciateurs ne trompent pas, comme le fait que les enfants ne se
présentent plus à l'école car ils sont réquisitionnés pour sauver les
cultures”, ajoute Félicité Tchibindat, conseillère en nutrition de
l'Unicef.
Aliments de crise : pas d'improvisation! |
L'aide
alimentaire délivrée dans les situations de
crise est une affaire de professionnels,
tant au stade de la constitution des stocks
que celui de la composition nutritionnelle
des aliments délivrés. Depuis une quinzaine
d'années, on a vu apparaître, à l'initiative
de la firme française Nutriset, des aliments
thérapeutiques prêts à l'emploi, surnommés
RUTF (“Ready to use therapeutic food”). Bien
que ceux-ci existent sous plusieurs formes,
il s'agit le plus souvent d'une pâte à base
d'arachide, de sucre, de matières grasses
végétales et de poudre de lait écrémé,
enrichie en vitamines et en minéraux. |
Les ONG et les agences onusiennes apprécient
ce type d'aliments, consommables sans eau ni
cuisson, là où les conditions de guerre ou
de catastrophe rendent l'accès à l'eau
potable difficile, voire impossible. Ils
sont aussi soigneusement dosés et peuvent
être complétés par des aliments plus adaptés
aux trois profils à risque: les femmes
enceintes, les femmes allaitantes et les
enfants de moins de cinq ans. Ce genre de
préparation doit rester délivré sous une
stricte surveillance médicale. Il s'agit en
effet d'éviter qu'une fois la crise
alimentaire dépassée, le régime se
déséquilibre au point de favoriser… le
surpoids. Bien que conditionnés et à longue
durée de conservation, ces aliments peuvent
aussi favoriser une nouvelle forme de
dépendance envers les pays donateurs. Des
unités de production commencent donc à se
mettre en place au Niger, en République
démocratique du Congo et, bientôt, au
Burkina Faso, malgré la sévérité des normes
alimentaires à respecter et l'instabilité
politique. Certains observateurs craignent,
par ailleurs, de voir les géants de
l'agro-alimentaire (Nutriset, entreprise
familiale, n'en fait pas partie) se ruer sur
ce marché assez récent alors que, par
ailleurs, nombre d'entre eux pratiquent une
politique brutale d'achats de terres
agricoles ou destinées à la fabrication d'agrocarburants
: les facteurs mêmes qui contribuent à
l'éclatement des crises alimentaires… |
Distribution par GSM
Ainsi, de la même
manière qu'Oxfam avait annoncé un an à l'avance les ravages de la sécheresse
qui a frappé la Corne de l'Afrique l'année dernière, d'autres ONG lancent
aujourd'hui un cri d'alarme sur la situation dans le Sahel (Mauritanie,
Mali, Tchad…), et particulièrement au Niger. Selon l’Unicef, 336.000 enfants
de moins de cinq ans risquent de souffrir de malnutrition aiguë dans un
proche avenir. Bien qu’il soit en gestation depuis des mois, ce drame est, à
ce stade, très peu répercuté dans les médias. Il s'explique, classiquement,
par le déficit pluviométrique et les mauvaises récoltes qui en ont résulté,
mais aussi par des facteurs moins connus. Ainsi, le Niger a été brutalement
confronté, ces derniers mois, au retour de près de 200.000 travailleurs sans
le sou, habitués à travailler en Côte d'Ivoire et en Lybie. Chassées par les
tensions qui ont traversé ces deux pays l'année dernière et privées de
revenus, ces populations ont gonflé le nombre des affamés.
La façon dont
l'aide alimentaire est distribuée revêt parfois des contours peu connus
également. Avec les réfugiés de Cisjordanie, le PAM a récemment initié un
système de bons d'achats électroniques qui incite les bénéficiaires à se
fournir chez des producteurs de lait locaux, afin de soutenir l'émergence
d'une industrie laitière dans la région. A Abidjan, capitale de la Côte
d’Ivoire, c'est un autre système qui a été mis en place, basé sur la
téléphonie mobile. Dès que les prix des denrées alimentaires flambent,
54.000 personnes vivant dans les quartiers les plus pauvres de la ville sont
averties par téléphone portable (SMS) d'une possibilité d'achats peu onéreux
chez certains fournisseurs. Le signe que la malnutrition sévit, aussi, dans
les bidonvilles...
Crise et
développement
Autre évolution de
ces dernières années : les politiques d'aide alimentaire d'urgence ont de
plus en plus à cœur d’implanter, si possible dès le stade de la crise
alimentaire, des stratégies de développement susceptible d’aider à plus long
terme les populations à subvenir à leurs besoins. “A chaque distribution
d'aliments, on pense déjà à faire en sorte que les familles puissent
s'affranchir de l'aide reçue et produire elles-mêmes leur nourriture”,
explique Jan Weuts. Le programme “Travail contre nourriture” est une des
formules pratiquées pour assurer cette transition (lire “Quand manger
devient vital”). D'autres formules consistent à distribuer des semences et
des engrais aux personnes les plus valides, afin de les encourager à
cultiver un lopin de terre et les aider à passer le cap des “soudures”, ces
périodes qui séparent la fin des stocks de la nouvelle récolte. Ou à former
les gens à des techniques agricoles spécifiquement adaptées aux conditions
de crise.
Evidemment, selon
que les personnes en détresse alimentaire sont réfugiées ou basées dans
leurs propres régions, les formules varient. On peut, aussi, aider les gens
à construire des silos à grains plus résistants aux caprices du climat,
développer des systèmes d'alerte basés sur les paysans eux-mêmes (comme en
Indonésie, face aux tsunamis), aider à la création de coopératives agricoles
pour gérer plus efficacement les réserves, etc. La Banque mondiale rappelle
souvent qu’un dollar investi dans la prévention des catastrophes
alimentaires permet d’éviter d’en dépenser sept, plus tard, une fois que
celles-ci sont déclarées. Un point de vue très pragmatique, mais qui n’est
pas dénué de fondement.
// PHILIPPE
LAMOTTE
Quand manger devient
vital…
Le PAM est
probablement la plus vaste ONG humanitaire du monde, capable de réagir à une
catastrophe dans les 48 heures.
Créé en 1963, le
Programme alimentaire mondial (PAM) est l'une des plus grandes institutions
onusiennes. Il compte environ 10.000 membres du personnel dont plus de 90%
travaillent sur le terrain, directement avec les affamés de la planète.
Selon Jean Ziegler, qui y consacre une longue partie de son dernier ouvrage(1), le PAM est l'organisation humanitaire la plus puissante au monde. Et,
aussi, l'une des plus efficaces. L'ancien Rapporteur spécial des Nations
unies pour le droit à l'alimentation ne tarit pas d’éloges – une fois n'est
pas coutume – envers une grande institution internationale, présentée comme
indépendante, dynamique et, pour l'anecdote, logée dans des bâtiments moins
somptueux que ceux de sa “cousine”, l’organisation des Nations Unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO).
En 2010, le PAM a
acheté 80% de ses stocks (1,5 milliard de dollars) directement dans les pays
du Sud: un record dans son histoire. Le but de ces achats sur les marchés
locaux consiste à réduire les coûts d'acheminement mais, aussi, à favoriser
les producteurs des régions frappées par la malnutrition ou la famine. Le
PAM travaille en étroite collaboration avec les ONG internationales, les
Eglises et les gouvernements. Il possède son propre parc de 5.000 camions
qui acheminent l'aide alimentaire d'urgence dans les endroits les plus
difficiles d'accès, conduits par des chauffeurs rompus à tous les exercices
délicats (y compris les pillages et les attaques armées). Il entretient
aussi une flotte aérienne, capable d'opérer des largages parachutés.
Selon Jean Ziegler,
la principale force du PAM est de pouvoir réagir très rapidement aux
catastrophes: quarante-huit heures en moyenne. L'organisation onusienne a
été la pionnière d'une méthode d'intervention appelée “Food for Work”
(Nourriture contre travail). En échange de leur travail, des pères et mères
de famille sont payés en nature: tant de jours de travail valent tant de
rations alimentaires. Détail important : ces chantiers sont définis par les
populations elles-mêmes qui retrouvent ainsi dignité et capacité de
mobilisation.
Le PAM ne se limite
pas à l'aide d'urgence, assurant notamment des cantines scolaires dans les
pays les plus pauvres. Lorsque le prix des aliments de base est peu élevé,
il constitue des stocks dans ses dépôts d’urgence installés sur les cinq
continents. Jour après jour, ses spécialistes suivent les cours des matières
premières agricoles (maïs, riz, mil, orge, blé…), mais aussi les migrations
de criquets, les tarifs du fret maritime et d'autres variables économiques.
Depuis 2005, le PAM est confronté à une diminution drastique des dons
réalisés sous forme de surplus alimentaires des Etats-Unis, son principal
contributeur (60%), et, depuis 2008, à une réduction des contributions –
financières – de la plupart de ses pays donateurs. La Belgique, de son côté,
lui a versé 38 millions de dollars l'année dernière, soit le double de sa
contribution de 2007(2).
// PHL
(1) “Destruction massive.
Géopolitique de la faim”, Jean Ziegler, Seuil, 344 p (octobre 2011)
(2)
Les dons au PAM par des particuliers sont possibles. Consulter:
https://fr.wfp.org/donate/dons
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