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Coopération (5 janvier 2006)

 

 

Dans les pièges du Saloum

Au Sénégal, difficile de savoir où s’arrête la teranga – l’hospitalité traditionnelle – et où commence l’arnaque. Tourisme et culture ne font pas bon ménage, et des Sénégalais aussi s’en plaignent.

 

Leur silence, depuis quelques minutes, est assourdissant, comparé à l’ambiance joyeuse, quelques instants plus tôt, dans le taxi-brousse qui emmenait vers l’embarcadère de Djiffer, neuf journalistes sénégalais. Maintenant, personne ne parle, ou alors juste pour vaincre sa peur. Sur cette petite embarcation qui cherche son chemin dans la nuit déjà noire, sur une des branches du fleuve Saloum, tous diront plus tard avoir pensé au naufrage du ferry Joola et à son millier de morts, en septembre 2002, au large de la Casamance.

Au bout de la traversée, à Dionewar, un hôtel va abriter pendant trois jours un atelier de formation pour journalistes, sur le thème du développement durable. Un hôtel à peine entrevu la nuit de l’arrivée mais qui, très vite, va révéler les pièges, voire les absurdités, de l’industrie touristique. Dès le lendemain, à l’heure des repas, le constat saute aux yeux : dans ce coin du Sénégal, seul le personnel est noir. Tous les clients sont étrangers, français en grande majorité, et arrivent ici par groupes. Les neuf journalistes participant à l’atelier sont les seuls clients autochtones, et certains avoueront, par la suite, ne pas avoir été bien accueillis par les employés. Très vite aussi, des récriminations vont surgir, autour d’un même thème : "c’est notre pays, mais nous ne nous sentons pas chez nous", ce qu’ils diront constater à nombre de petits signes.

Les produits proposés à table sont du pays, bien sûr, mais les recettes sont européennes. Le riz, sacro-saint pour les nationaux, est servi parcimonieusement, alors que la saucisse de Toulouse, elle, est bien présente, ici, à l’angle du Sénégal et de la Gambie. Au point que le soir où le buffet était vraiment sénégalais, il a fait l’objet d’une annonce particulière.

 

La bataille de l’eau

Le décor est superbe, les chalets qui abritent les chambres sont bien construits, les pirogues sont colorées à souhait, l’herbe est verte, régulièrement arrosée. Les jardiniers sont chaque matin à pied d’œuvre. Mais derrière, lorsqu’on quitte l’hôtel pour se rendre vers le village, à un kilomètre et demi, il n’y a pas de route, ni même de chemin; seule une trace dans le sable lourd et un câble électrique guident les pas.

En route, une clôture et un panneau attirent le regard : Projet de sauvegarde de la biodiversité. Une aubaine pour des journalistes conviés à un exercice de reportage sur le développement durable. Pourtant, l’espace semble abandonné ; les quelques plants isolés paraissent bien secs. Plus loin, 300 mètres avant l’entrée du village, on traverse une large bande blanchâtre, nue, asséchée bien que des bras de mer apparaissent à gauche et à droite. L’explication viendra quelques minutes plus tard de la bouche du chef de village : "L’eau, ici, est saumâtre ; elle tue les plantes et a déjà asséché toute cette zone. Parfois, elle envahit cette plaine et laisse une couche de sel. Ce sont des terres perdues pour nous". Dans cette région, les marées se ressentent à plusieurs dizaines de km de la côte. Partout, l’eau est saumâtre, au point de fissurer les murs des maisons et, explique l’infirmier du village, de provoquer de l’hypertension généralisée.

L’eau, ici, est au cœur de toutes les conversations. Au centre aussi d’un conflit entre le village et l’hôtel, mais on ne le saura que bien plus tard, lorsque la confiance sera établie avec les villageois et que les échanges iront au-delà du superficiel. D’abord, c’est de l’approvisionnement qu’il est question dans les conversations. L’eau douce manque cruellement, malgré les puits installés dans le village. L’eau potable est apportée de loin par quelques commerçants. L’eau pour les plantes va bientôt manquer pour les habitants, après avoir déjà condamné le Projet biodiversité déjà cité – une pépinière créée et gérée par les femmes pour entretenir la production de légumes variés – à la sécheresse et à l’abandon.

"Ici, la seule activité traditionnelle des femmes est la transformation des produits de la pêche, explique Mme Fatou Sarr Ndiaye, la présidente des associations de femmes de Dionewar. Mais il n’y a presque plus de débouché, et de toute façon nous avons constaté que la mangrove disparaît peu à peu, ce qui repousse les poissons au loin. Alors, pour diversifier l’alimentation et les revenus, nous avions créé cette pépinière". C’était en 2001. 400 femmes s’étaient lancées dans la production de carottes, navets, tomates, concombres, courgettes… "Cela marchait bien, constate la présidente. Nous vendions jusqu’à Mbour, à 3 heures de route. La première année, nous avons fait 600.000 francs (Ndlr. : 900 euros) de bénéfices. Les hommes n’en croyaient pas leurs yeux."

Deux ans plus tard, ce fut la catastrophe. Les plantes séchèrent et bientôt, il fallut abandonner la pépinière. Plus d’eau, malgré 19 puits dans le village qui, après 4h du matin, ne donnent plus. Mais l’hôtel, lui, pompe à 60 m de profondeur une eau consommée en quantités européennes, asséchant la nappe. Plus d’eau, donc, plus de pêche ni de légumes non plus.

 

Canal +, oui ; la RTS, non

Le lendemain, au courant de notre escapade au village, le gérant est tout miel. "Nous donnons de l’emploi aux gens des communautés du Saloum", explique-t-il. De l’emploi ? "12 personnes de Dionewar, précise Mme Fatou Sarr Ndiaye. C’est pour ne pas les mettre en danger que nous n’osons pas entrer dans un conflit ouvert pour l’eau avec l’hôtel."

Ces emplois, c’est vrai, ne sont pas mal payés, et puis il y a les pourboires et les extras. Comme ce soir, où une soirée folklorique, avec danse et musique "locales" est annoncée. Les danseurs font partie du personnel de l’hôtel, qui a obtenu de gagner un peu plus par ce spectacle. Pour les touristes, peu importe les nuances : la musique est rythmée et la danse, typique. L’oreille sénégalaise des confrères, elle, a tôt fait de constater qu’il n’y a rien de Sérère, l’ethnie de la région, dans ce qui est présenté. Rien de local, peu d’authentique, mais une mise en scène de la culture, de quoi permettre à l’étranger d’affirmer qu’il a vu "le Sénégal profond" et de repartir sans doute épaté par la spontanéité des Africains.

A chaque jour qui passe, les journalistes sénégalais se sentiront de plus en plus mal à l’aise. Un sentiment qui va culminer le dernier soir, lorsqu’une séquence sur l’ouverture de leur propre atelier, tournée à Dakar, doit passer au JT de la RTS, la télévision nationale. Coup de chance : un téléviseur trône dans la salle de rencontres de l’hôtel. Tout le monde est installé, lorsqu’il faut se rendre à l’évidence : s’il est possible de capter les chaînes européennes TV5 et Canal+, l’appareil ne reçoit pas les chaînes sénégalaises.

Tous garderont dès lors de ce séjour un regard nouveau sur les avantages et les inconvénients du tourisme dans un pays en développement. Car ici, au pays de la teranga (l’hospitalité), c’est l’argent qui, de plus en plus, rythme les relations entre visiteurs et autochtones. Tout s’achète, tout se vend, mais peut-il en être autrement dès lors que l’étranger, forcément riche puisqu’il peut voyager, côtoie la pauvreté ?

A Dakar, à l’hôtel qui nous héberge, 25 m séparent le bâtiment principal de l’aile où se trouvent les chambres. 25 m, qui suffisent à un groupe d’enfants, de 5 ou 6 ans, à surgir dès que sort un "toubab", un blanc, pour le harceler jusqu’à ce qu’il mette une pièce dans leur boîte de conserve. Quant à la visite au quartier de pêcheurs tout proche, elle se fera sous la surveillance rapprochée d’un jeune qui se présentera successivement comme guide, responsable du comité local des fêtes, et ancien étudiant en Europe, comme par hasard dans la région d’où nous disons venir.

Et puis il y a Gorée, petite île au large de Dakar. Gorée l’incontournable, l’île-mémoire de la traite négrière, que près de 360.000 touristes visitent chaque année. Si la visite de la Maison des esclaves, où ceux-ci étaient achetés aux enchères puis embarqués, est émouvante, pour le reste, c’est le malaise, tant la sollicitation est permanente. "Moussié, des pièces !" : dès le débarcadère, de jeunes îliens sautent à l’eau pour chercher la monnaie que les visiteurs sont invités à y jeter. Puis, partout, ce sont les échoppes, les restaurants, les faux guides, les artistes… Les vieilles bâtisses en ruine, le dénuement et même un certain sentiment d’insécurité frappent celui qui déambule dans cette île peuplée de 1800 habitants. Ce bout de terre, qui ne fait que 900 m sur 300, n’est pas extensible, et a du mal à loger les gens. Une quinzaine de familles squatte des logements administratifs très anciens que de vieux fonctionnaires à la retraite depuis des années refusent de libérer. "Nous en avons assez de nous entasser dans ces chambres avec nos enfants, s’exclame Amy Diop, assise devant son échoppe du marché artisanal. La restauration ne marche pas, les boutiques non plus".

Si au moins les apports du tourisme – environ 460.000 euros par an selon la mairie – leur permettaient d’en sortir ? Mais la plupart des vendeurs et restaurateurs, ceux qui font face au port, ne sont pas des îliens. Ils viennent chaque jour de Dakar et repartent le soir. Alors que les échoppes des habitants, elles, sont confinées dans les petites rues et les arrière-cours. Même parmi les 60 agents de la chaloupe qui fait plusieurs aller-retour sur la journée, il n’y a que 5 ou 6 îliens. Voilà pourquoi une "taxe à la visite" doit désormais être payée dès qu’on débarque : 500 fcfa, moins d’un euro. Ce qui fait hurler des touristes, qui ont pourtant payé bien jusqu’à 1000 fois plus pour arriver jusque-là.

André Linard

(avec Madieng Seck)

InfoSud

 

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