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Coopération (5 octobre 2006)

 

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Les mutualités en terre d’islam

Comment l’islam conçoit-il la solidarité et l’éthique? Comment le projet mutualiste peut-il s'inscrire dans la grande tradition islamique? C’est à ces questions parmi d’autres que répond Abdoul Aziz Kebe, Professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université Cheickh Anta Diop à Dakar (Sénégal).

 

Abdoul Aziz Kebe : L'islam accorde une grande importance à la communauté, la Umma, littéralement "la communauté des croyants", notion qui définit le mieux l'attachement à la communauté. Ainsi, l’activité économique se définit comme une contribution à la survie de la communauté, tout en préservant les droits de l’individu. La prospérité générale doit être profitable à tous, et la lutte contre la pauvreté et la misère est un effort permanent.

 

 

 

 

 

Mosquée en terre dans la ville de Djenné,
au Mali où plus de 90% de la population est musulmane.

Les valeurs de solidarité et d'entraide mutuelle
sont communes à l'Islam et au christianisme.

 

 

Dès ses débuts, l’islam a institué la Zakat (2), une institution dont la vocation est de redistribuer les richesses et de mettre en commun les ressources à investir dans le social. Plus qu'une aumône, c’est une obligation divine qui doit viser à résorber la pauvreté et la précarité. Basée sur des règles précises, elle repose sur une administration chargée de la collecte, du recensement des ayant droits et de la distribution.

Nombre de pays musulmans l’ont aujourd'hui intégrée dans leur administration sociale. Des pays comme le Sénégal suivent le même chemin (3). D’autres institutions se sont aussi développées dans le même but. Tous ces efforts tentent de traduire en acte, les recommandations de Dieu concernant la solidarité (at-Ta’âwun) et l’entraide (at-Tabarru’).

 

En Marche : La notion de solidarité n'est donc pas absente de l'histoire de l'Islam...

A. A. Kebe : De nos jours, la mutualité est devenue dans les pays africains, comme dans d'autres pays du Tiers-monde, une préoccupation importante. De nombreux projets permettant aux populations à faibles revenus de pouvoir bénéficier de services financiers sont financés par les mutualités dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Cependant, comme on le sait, en islam, l’acte économique tourne aussi autour de l’axe du licite (le halâl) et de l'interdit (le harâm). Aussi, compte tenu de la nouveauté de ces mutuelles en terre d’islam, la question s'est posée de leur caractère licite ou pas, et des conditions de leur mise en œuvre.

L'islam recommande la solidarité, la bonté mutuelle et l’éthique. Ce principe de solidarité est consolidé par les dits du Prophète, les hadiths - Paix et salut sur lui - qui dit : “Dieu viendra en aide à son serviteur tant que ce dernier sera disposé à aider son prochain.” On peut encore citer une parole du prophète, aussi significative, qui dit que les relations et sentiments de solidarité entre les musulmans sont comparables à un seul et même corps; si un organe ou un membre de ce corps est atteint d’un mal, c’est tout le corps qui souffre. Un autre hadith affirme encore cette solidarité entre croyants en ces termes : “Le croyant est pour son frère croyant comme un mur dont les briques se renforcent les unes les autres”. Enfin, on peut citer le hadith qui trace les bases de la solidarité dans des termes très forts car elles sont liées à la félicité: “Je le jure par Celui qui détient ma vie entre Ses mains que personne n’entre au Paradis s’il n’assiste pas son voisin qui est dans la détresse”. Ce dernier hadith a le mérite d’établir un lien de solidarité, non seulement entre les croyants, mais entre les êtres humains sans distinction de confession.

 

EM : Quelle est la position de l'islam par rapport à la création de mutualités?

A.A. Kebe : Aujourd’hui, les mutuelles représentent une modalité très dynamique de cette solidarité et de cette coopération. Or, les musulmans ne sont pas toujours en phase avec ces institutions, non pas qu’ils ne soient pas des acteurs de la solidarité et de la coopération sur le plan social, mais parce qu’ils ne connaissent pas le regard de l’islam sur cela.

Certains Ulémas, les savants de la science islamique, s’empressent de déclarer le caractère illicite (harâm) de la mutuelle en évoquant le concept de Gharar ou de Qimâr, l'aléa ou l'intérêt fondé sur le hasard.

En islam, il est en effet interdit d’établir un contrat ou un acte économique fondé sur l’aléa ou l’ignorance de tout ou partie de l’objet du contrat. Cependant, force est de reconnaître que l’aléa, dans le cas de la mutualité, ne concerne pas le risque de voir le sinistre avoir lieu car au moment de souscrire on ne sait pas si le sinistre aura lieu ou non. On sait seulement qu'il est probable. Mais si le souscripteur ou le prestataire tirent des gains sur la base du nombre de souscripteurs et de victimes, cela est considéré comme un enrichissement semblable à celui du jeu de hasard. Il faut donc faire la distinction entre les mutuelles d’assurances qui peuvent fonctionner avec ces marques d’aléa et les mutuelles non commerciales ou les coopératives qui sont, elles, basées sur la notion de Takâful et de Ta’âwun ( garantie, solidarité et assistance mutuelle).

 

EM : Comment les musulmans s'inscrivent-ils dans cette dynamique de "garantie mutuelle"?

A.A. Kebe : Cette aide mutuelle est appelée Takâful, c'est-à-dire garantie mutuelle. Et c’est sur cette base que les Ulémas admettent le principe de la mutualité quand elle n’a pas une connotation lucrative aléatoire comme dans l’assurance ou une connotation spéculative comme l’intérêt bancaire. C’est sur cette base fondée sur l’entraide et la souscription volontaire (Tabarru’) que se constituent les mutuelles de santé, les coopératives et toutes les institutions similaires. La souscription ne peut pas être admise sur une base contraignante. L’autonomie de volonté est un critère de validité de l’acte. En fait, le Takâful est un pacte, une convention au sein d’un groupe de personnes, les participants, qui se déclarent mutuellement et réciproquement garants.

Il s’agit de donner un caractère social, de solidarité de groupe plutôt qu’un caractère commercial à l’activité mutualiste. L’islam voudrait que l’on s’éloigne de toute connotation purement commerciale dans le champ mutualiste pour adopter la démarche participative sur la base de donation et de partage des risques. Il est bon, pour asseoir le regard de l’islam sur la mutualité, de revenir sur une institution comme celle de la Zakât (2) et d’analyser ses finalités, son esprit afin de les projeter sur la mutualité de nos jours. Cela permet de mieux comprendre comment les musulmans doivent s’inscrire dans cette dynamique.

La Zakât a joué un rôle important dans l’établissement de la justice sociale, dans l’œuvre de réduction de la faim, de l’ignorance et de la maladie. Il ne s’agissait pas seulement de collecter un impôt sur les fortunes et sur les revenus. Il s’agissait d’organiser une sorte de mutualité dans laquelle le rôle de régulation et d’exécution était dévolu à l’État. Ainsi est-il clair que l’esprit et la finalité de l’institution de la Zakat plaident pour que les musulmans s’en inspirent afin de contribuer à résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés et qui peuvent être résolus en partie par la mutualité. L’histoire de l’islam nous donne des preuves que cela a été possible. Alors, pourquoi pas aujourd’hui?

Depuis quelques années, les jurisconsultes musulmans se réunissent sur la question des mutuelles et des assurances. Déjà en 1977, le Conseil Saoudien des Ulémas publiait une résolution dans ce sens. Il fut suivi en 1978 par le Conseil du Fiqh (Droit islamique) de la Ligue Islamique Mondiale. En 1985, l’Académie de Fiqh (Droit Islamique) de l’Organisation de la Conférence Islamique, réunie à Jeddah, a édicté un avis favorable à la mutualité (voir l’article “Assurances commerciales et mutualités” ci-dessous). En 2003 s’est tenue à Londres une rencontre internationale regroupant plus de 60 organisations d’horizons divers, sur le Takâful (la garantie mutuelle) sous l’égide de l’institut Islamique de Banques et d’assurances (4). Depuis lors, des organismes se sont constitués en Arabie, en Malaisie, en Tunisie et dans d’autres pays arabes pour soutenir la mutualité.

 

Entretien : Dominique Evrard,

service coopération de la Mutualité chrétienne

 

(1) Voir sur le site Internet d’En Marche : www.enmarche.be/International/Cooperation/Index_coop.htm

(2) Zakat vient du mot Zakkâ qui veut dire purifier. La Zakât est le 3e pilier de l’islam. C’est un prélèvement de 2,5% par an sur l’épargne et qui est distribué aux pauvres, aux misérables, aux voyageurs en rupture de provision, aux faillis, et aux fonctionnaires chargés de le collecter.

(3) En 2005, s’est tenu à Dakar un Séminaire international dont le but était d’étudier les voies et moyens pour rationaliser la collecte de la zakat et l’investir dans la lutte contre la pauvreté. Tout récemment, en mai 2006, l’Association Nationale des Imams et Oulémas du Sénégal a inscrit à son agenda, l’étude de la zakat comme ressource dans la solidarité et dans la lutte contre la pauvreté.

(4) Parmi les décisions de cette rencontre figure la recommandation d’encourager dans les différents pays islamiques des institutions de mutualité basées sur le Takâful, la garantie mutuelle et le Tabarru’, la souscription volontaire sous forme de charité, afin de contribuer à lutter contre la pauvreté et la maladie.

 

Assurances commerciales et mutualités

Plusieurs structures étudient les phénomènes nouveaux pour donner un avis sur leur caractère licite ou non sur base de l’islam. Ce sont des académies ou des Conseils de concertation qui ont un statut consultatif auprès des autorités. Leurs avis appelés fatwas valent souvent comme sources de loi.

Conseil Saoudien des Ulémas, Conseil du Fiqh de la Ligue Islamique Mondiale, Académie de Fiqh (Droit Islamique) de l’Organisation de la Conférence Islamique… : après avoir étudié le problème des assurances et des banques, toutes ces instances ont émis un avis qui se résume dans la décision du Conseil du Fiqh de l’OCI (1) qui s’articule autour de points suivants :

1. Le contrat d'assurance de type commercial fonctionnant selon la méthode des primes fixes est entaché de dol qui le rend caduc, et donc illicite du point de vue de la Charia.

2. La solution de rechange réside dans le contrat d'assurance mutuelle basé sur le principe de l'entraide. Il en est de même pour ce qui est de la réassurance dans un cadre islamique, basée elle aussi sur le principe de la mutualité.

3. Les pays musulmans sont exhortés à créer des institutions d'assurance et de réassurance de type mutuel.

 

(1) Le Conseil du Fiqh Islamique de l’Organisation de la Conférence Islamique est une académie, annexée à l’OCI et créée en juillet 1983 à la Mecque. Il s’intéresse aux nouveaux problèmes apparaissant dans la société et qui propose des solutions conformes au droit islamique.

 

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