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Coopération (1er juillet 2004)

 

Liban

 

Tensions sociales face aux lois du marché

Le Liban, petit pays entouré par la Syrie et Israël, se remet difficilement de quinze années de guerre civile (1975-1991). Si la capitale Beyrouth se reconstruit à une vitesse extraordinaire, la paix reste précaire et la situation économique et sociale n’est guère brillante. Le modèle est celui d’un capitalisme non régulé par l’Etat, ce qui accentue les profondes inégalités entre riches et pauvres, la classe moyenne ayant été laminée par la guerre. Un “cas d’école” qui devrait faire réfléchir les partisans d’une libéralisation accrue des services au sein de l’Union Européenne?

 

Le Liban ne fait plus la “Une” de l’actualité depuis longtemps, les caméras se sont tournées vers des pays voisins où la guerre fait rage : l’Irak ou la Palestine. A-t-il retrouvé la paix pour autant?

 

La paix, un rêve éternel ?

Magnifique territoire entre mer et montagnes – le Mont Liban culmine à plus de 3.000 mètres -, ce pays d’une superficie trois fois inférieure à la Belgique abrite une population de trois millions et demi de Libanais. La société libanaise est une mosaïque de dix-sept communautés différentes, dont les plus connues sont les chrétiens maronites, les musulmans chiites et sunnites et les druzes. Conséquence de la guerre, la majorité des Libanais vivent à l’étranger : la diaspora est estimée à 9 millions de personnes, dont près de trois millions vivent aux Etats-Unis et un million en France. Malgré le retrait d’Israël du Sud Liban, les tensions restent vives sur la frontière et les escarmouches sont fréquentes entre le Hezbollah pro-iranien et l’armée israélienne qui effectue des raids aériens punitifs. La classe politique libanaise est toujours sous la tutelle de la Syrie, dont l’armée occupe encore certaines régions. Toute décision importante fait l’objet d’une consultation préalable à Damas, ce qui irrite de plus en plus la population libanaise. Mais quel est donc l’intérêt d’un grand pays comme la Syrie à maintenir son hégémonie sur ce petit territoire qui équivaut à peine à l’une de ses provinces? Les enjeux sont multiples. Tout d’abord l’accès à la mer facilite le commerce international par les ports de Beyrouth et de Tripoli. Le Liban, tête de pont vers l’Occident, représente aussi une fenêtre ouverte sur le monde. Les réseaux commerciaux, culturels, familiaux des descendants des Phéniciens sont un atout considérable pour un pays qui est resté longtemps enclavé. Le Liban absorbe aussi une partie de la main d’oeuvre excédentaire. Plus d’un million de Syriens y ont été attirés dans les métiers de la construction et de l’Horeca. Enfin, dernier enjeu mais non le moindre, l’accès à l’eau! Pays montagneux et vert, le Liban est un réservoir d’eau convoité et exploité par la Syrie et Israël, au grand dam des agriculteurs libanais.

 

Malaise et tensions sociales face au modèle ultra-libéral

Le Liban d’après-guerre suit un modèle de développement ultra-libéral “à l’américaine” dans lequel la règle serait simple : créer des opportunités, supprimer les contraintes. De la théorie à la pratique il y a malheureusement un fossé qui ne cesse de grandir, et si cette recette fait quelques heureux – qui deviennent très riches-, elle laisse sur les bords du chemin de la croissance et de la prospérité un trop grand nombre de laissés-pour-compte. La tension sociale est actuellement très vive au Liban. Les récentes hausses répétées du prix du carburant, qui a doublé en un an, ont échauffé les esprits. Une manifestation “contre la vie chère” organisée fin mai a dégénéré en affrontement avec l’armée. Selon le journal “L’Orient-Le jour”, “les dizaines de milliers de citoyens descendus dans les rues (…) ne le faisaient pas au nom des grands principes de liberté, de justice : ils voulaient simplement clamer leur faim et leur inquiétude du lendemain le plus immédiat. (…) La crise économique n’épargne plus aucun secteur, l’Etat surendetté ne se dérobe à ses engagements internationaux que pour mieux écraser le peuple d’impôts indirects”.

Le pouvoir est accusé de se remplir les poches pendant que l’écrasante majorité de la population ne parvient plus à subvenir à ses besoins de base. En réalité, c’est toute l’économie libanaise qui s’enfonce dans la précarité. Sous l’impulsion du Premier Ministre, l’homme d’affaires Hariri, le gouvernement a lancé de gigantesques programmes de reconstruction des infrastructures. L’endettement public est évalué à 180 % du PIB (produit intérieur brut), le paiement des intérêts engloutit 47% des recettes de l’Etat.

 

Accès aux services de santé ?

Dans ce contexte d’Etat affaibli se développe une médecine à deux vitesses : un système public quasi gratuit mais dépourvu de tout et un système privé “High Tech” mais financièrement inaccessible. Le secteur privé est caractérisé par la surabondance (160 hôpitaux) et le suréquipement, symptomatiques de la concurrence acharnée. La plupart des hôpitaux ont réalisé des investissements démesurés dans tous les services de pointe et ont du mal à supporter leur endettement et à rentabiliser leurs équipements. Contrairement à la Belgique, le secteur privé –même non lucratif- ne bénéficie d’aucune subvention publique et doit vivre en complet autofinancement. Le gouvernement investit parallèlement dans de nouveaux hôpitaux publics, ce qui ne fait qu’accroître la concurrence. A terme, une politique de spécialisation, de programmation et d’accréditation mais aussi une stratégie de regroupements et de fusions est inévitable.

 

Le casse-tête du financement

Le financement de la santé est principalement d’origine privée. 48 % de la population sont couverts par la caisse de sécurité sociale et d’autres agences de l’Etat, 52 % ne sont pas couverts par le secteur public. Parmi ceux-ci, 40 % n’ont aucune assurance, 8 % disposent d’une assurance privée et 4 % sont inscrits dans une mutuelle. Dans les hôpitaux, les inquiétudes sont vives face à l’incapacité de paiement dans laquelle se trouve la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale). Certains hôpitaux refusent désormais de traiter ses affiliés. En principe, ce régime couvre tous les travailleurs du secteur privé et parastatal et leurs familles, soit 1,3 million de personnes. La CNSS souffre d’un cumul d’arriérés de cotisations de 733 millions de dollars dont l’Etat libanais est le principal responsable (75% des impayés).

Mais la véritable cause de la quasi-faillite de la sécurité sociale serait due à une décision prise en 2001 par le gouvernement de baisser les cotisations sociales de 40% (soit de 38.5% à 23.5%) pour encourager les nouveaux investissements au Liban et pour encourager les employeurs à déclarer tous leurs travailleurs. Cette mesure a provoqué un déséquilibre immédiat et intenable entre les recettes et les dépenses. Par contre, l’effet positif escompté se fait toujours attendre : le nombre d’affiliés n’a pratiquement pas augmenté !

Le secteur de l’assurance maladie privée est très fragmenté. Outre la CNSS et la coopérative des fonctionnaires de l’Etat, il y a environ 70 caisses mutuelles et assurances privées qui interviennent pour l’hospitalisation. La plupart recourent aux services d’un “third party administrator”, une société de gérance médicale dénommée “Mednet”, dont le capital est détenu par trois compagnies d’assurance...

 

Al Riaya, l’exemple d’un autre possible

La Mutualité Chrétienne a tenu à apporter sa petite pierre à la reconstruction du Liban en appuyant, dès 1992, la caisse mutuelle de services médico-sociaux “Al Riaya” (1). Créée par la congrégation des Saints Cœurs, Al Riaya est devenue la plus grande mutuelle du pays, avec 15.000 bénéficiaires. Elle semble être la seule à maintenir, malgré la concurrence féroce du marché, les valeurs mutualistes de solidarité, d’équité et de non exclusion. La mutuelle prend en charge à 100% les soins hospitaliers et à 90% les examens médicaux dans une vingtaine d’hôpitaux conventionnés. Les petits risques (consultations médicales, médicaments et soins dentaires) ne sont pas couverts. Elle fonctionne en total autofinancement depuis la deuxième année.

Après avoir progressé de façon assez stable pendant dix ans, le nombre d’adhérents à Al Riaya a commencé à diminuer. Al Riaya éprouve des difficultés à attirer ou garder les jeunes adhérents. En effet, ils peuvent bénéficier -par la pratique de segmentation des risques et des primes- de meilleurs tarifs dans les compagnies d’assurance ou dans d’autres “mutuelles”. Or, selon le principe de solidarité, en assurance maladie, les jeunes cotisent globalement plus qu’ils ne reçoivent alors que les personnes âgées bénéficient de prises en charge supérieures à leurs cotisations. Cette solidarité intergénérationnelle est très positive en soi mais est menacée par les pratiques des concurrents, qui attirent les jeunes et repoussent les personnes âgées (par d’énormes différences de tarifs).

Seule une révision de la législation mutualiste pourrait être l’occasion de renforcer la distinction entre les compagnies d’assurance et les mutuelles de santé réellement basées sur les valeurs mutualistes. Conscient de ce problème, le Ministère de tutelle des mutuelles a demandé un appui d’experts de la Mutualité Chrétienne pour élaborer des propositions de textes de lois pour réglementer le fonctionnement des différentes organisations d’assurance maladie.

 

L’exemple du Liban démontre que la privatisation croissante du financement des services de santé entraîne une hausse des coûts, crée une société duale et génère de l’exclusion sociale. Les mécanismes de marché et de libre concurrence provoquent de gros dégâts dans le domaine de l’accès aux soins et à l’éducation. Les fameuses vertus du marché (efficacité et efficience) sont battues en brèche par la réalité des faits. Un voyage d’études au Liban des décideurs européens ne serait pas inutile pour les en convaincre, à l’heure des débats sur la “directive Bolkestein” de libéralisation des services …

Dominique Evrard

Service Coopération

 

(1) Site Internet : www.alriaya.org

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