Coopération
(octobre 1999)
Burkina Faso
« Laafi
bala », la santé c’est la vie
Au Burkina Faso, les salutations traditionnelles
en langue « mooré » sont toujours ponctuées d’un retentissant « laafi bala » :
la santé seulement ! Laafi, c’est à la fois une réponse rassurante pour
donner des nouvelles des proches et un vœu plus large d’harmonie, de paix,
de bien être.
Cela
traduit une vision globale de la santé dans la société « mossi », qui
représente la moitié de la population du Burkina Faso. Une vision globale
que l’on tente de respecter dans le cheminement du projet DIRS,
Développement Intégré de la Région du Sanmatenga. En arrivant à Guilla,
l’un des onze villages soutenus par Solidarité Mondiale au Burkina Faso,
une surprise nous attend. Tout le village est rassemblé autour de l’arbre
à palabres. Alors que nous pensions rencontrer une vingtaine de membres
du groupement féminin, ce n’est pas moins de trois cent personnes qui font
cercle autour du chef de village (le Naaba) et du conseil des sages. A
l’ordre du jour : la création d’une mutuelle de santé villageoise.
Fernand Bationo, le
coordinateur burkinabé de PROMUSAF (le programme d’appui aux mutuelles de
santé en Afrique initié par les Mutualités Chrétiennes) et Amina Bila,
responsable du volet Santé du programme DIRS (Développement Intégré de la
Région du Sanmatenga) se concertent rapidement. Il faut s’adapter aux
circonstances et animer un débat public sur les problèmes de santé du
village et l’opportunité de créer une mutuelle. Mais que vient donc faire
cette idée saugrenue dans ce petit village isolé ?
L’eau, c’est la vie
Pour le comprendre,
un retour en arrière s’impose pour faire connaissance avec la dynamique de
développement intégré initiée depuis 1985 par le programme DIRS dans la
région de Kaya, à 100 kilomètres au Nord de la capitale Ouagadougou. Des
stratégies complémentaires conçues et mises en œuvre par la population
permettent de faire face aux nombreuses priorités : l’accès à l’eau
potable, la sécurité alimentaire, l’accès au crédit et l’accès aux soins
de santé. A l’époque, la sécheresse fait rage dans la région de Kaya et
la priorité des priorités, c’est l’accès à l’eau potable. Un atelier
mobile de forage est créé. 125 forages, parfois d’une profondeur de 80
mètres, seront exécutés grâce à cet équipement. Les villages de la zone
du projet DIRS bénéficient tous aujourd’hui de plusieurs points d’eau.
Pour que ces forages restent en bon état, les villageois paient une
cotisation dans une caisse destinée à l’entretien préventif.
De l’eau à la sécurité alimentaire
Suite aux grandes sécheresses des
années 70 et 80, les paysans mossi et les pasteurs peulhs
ont pris conscience de leur grande fragilité face aux facteurs climatiques
et environnementaux, dont dépendent entièrement leurs revenus. Plusieurs
actions ont été entreprises, notamment la construction de douze centres
d’animation qui se composent d’une banque de céréales, d’un poste de santé
primaire et d’un centre d’alphabétisation. Le principe de la banque de
céréales est simple : créer une capacité de stockage des excédents au
niveau du village, pour mettre un frein à la spéculation des commerçants
qui appauvrit les paysans en période de soudure. La sécurité alimentaire
des villages s’en trouve renforcée. Le faible taux d’alphabétisation des
adultes ayant été identifié comme un handicap important pour la région, le
projet organise des cours d’alphabétisation fonctionnelle en langue
nationale (le moore). Pour augmenter la production agricole et les
revenus, un système de crédits a été mis en place. Les hommes recourent
surtout au crédit d’investissement : achat d’intrants, de charrues, de
charrettes,… Les femmes, à travers les groupements féminins, utilisent
surtout le crédit pour la transformation des produits agricoles :
fabrication de pâte d’arachide, galettes, condiments,…
Des soins de santé
accessibles
Quelles ont été les activités
développées pour rendre les soins de santé plus accessibles au niveau des
villages ? « Conformément à la politique de santé publique du pays,
nous avons travaillé à deux niveaux, explique Madame Bila, du projet
DIRS. Dans chaque village, un poste de santé primaire a été créé. Un
agent de santé communautaire a été formé et a reçu un stock de médicaments
pour traiter les maladies très courantes comme le paludisme et les
diarrhées, et pour désinfecter les plaies. Pour le reste, il doit envoyer
les villageois se faire soigner dans les C.S.P.S. (Centre de Santé et de
Promotion Sociale) ». Le rôle des agents de santé communautaires ne
se limite pas aux aspects curatifs. Membres d’une cellule de santé
villageoise, ils sont aussi responsables de l’éducation à la santé.
« Pour cette année, les thèmes prioritaires qui ont été retenus dans la
région sont la planification familiale, la santé maternelle et infantile
et l’hygiène. »
Pour résoudre le
problème d’accessibilité géographique des soins de santé, le projet DIRS a
financé la construction de cinq Centres de Santé et de neuf dépôts de
médicaments génériques. « Malgré ces efforts, l’accessibilité reste
insuffisante. Beaucoup de villages sont situés à plus de dix kilomètres
de leur centre de santé de référence. » En effet, La
fréquentation des centres de santé en milieu rural reste très faible. La
moyenne pour la région est à peine de un contact par an pour cinq
habitants. Comment expliquer que ces infrastructures sanitaires tournent
au ralenti ? Si le problème d’accessibilité géographique est
partiellement résolu, il n’en va pas de même de l’accessibilité
financière. Le principe de tarification des actes et des médicaments
appliqué depuis quelques années, conjugué aux effets de la dévaluation du
Franc CFA et aux revenus faibles et irréguliers de la population a créé
une barrière financière difficile à franchir.
La création des mutuelles
De ce constat est née l’idée de mettre
sur pied un mécanisme de financement basé sur l’assurance et la
solidarité : les mutuelles de santé villageoises autogérées. Deux
villages ont été retenus pour tenter une première expérience : Guilla
et Sanrogho. Les réunions avec les villageois permettent d’affiner
le projet et sont l’occasion de discussions passionnantes sur les risques
à couvrir, le montant des cotisations ou encore le mode de fonctionnement
de la mutuelle. L’encadrement technique et la formation sont assurés par
les Mutualités Chrétiennes, à travers le programme PROMUSAF.
La phase de préparation et
d’information est essentielle, car il s’agit d’un mode d’organisation tout
à fait nouveau pour la population. Le concept de solidarité est très bien
compris puisqu’il est déjà vécu sous différentes formes au niveau du
village. Quelles sont alors les principales difficultés lors des séances
d’animation ? « Premièrement,
il faut vaincre une méfiance naturelle vis-à-vis de toute organisation qui
se propose de gérer leur argent. Trop d’expériences qui ont tourné court
restent dans la mémoire des paysans. Mais quand ils comprennent que la
mutuelle, c’est leur affaire, que l’argent sera géré au niveau du village,
sur un mode associatif, cette objection peut être levée. Une autre
difficulté est de bien faire comprendre la notion d’assurance. Les gens
ont tendance à la confondre avec l’épargne individuelle. Il faut par
exemple leur faire comprendre que s’ils ne tombent pas malades, leur
cotisation servira à soigner d’autres personnes. Leur cotisation n’est
pas
remboursable et ne peut pas être
reportée sur l’année suivante. Enfin,
un élément qui revient souvent dans les discussions, c’est la difficulté
pour les paysans de cotiser à certains moments de l’année, spécialement en
période de soudure. C’est justement l’argument qu’utilise l’animateur
pour convaincre de l’intérêt de la mutuelle : être capable de faire face à
la maladie quand elle se présente,
indépendamment de la situation financière du moment. Car
comme on le dit chez nous, la maladie ne prévient pas ».
L’étude de faisabilité menée avec les paysans de la région a fixé les
objectifs du démarrage des deux mutuelles à 3.000 membres. La phase
d’information et de préparation s’étend tout au long de cette année, et
les cotisations prélevées après les récoltes en novembre et décembre
permettront le démarrage effectif de l’assurance santé dès l’an 2000.
D’ores et déjà nous souhaitons un franc succès à nos partenaires
burkinabés et nous espérons que les salutations d’usage qui retentiront
désormais à Guilla et Sanrogho traduiront une réalité toujours plus
concrète : « Laafi bala »,
la santé seulement !
Dominique
EVRARD
Le
Burkina en chiffres
|
Burkina Faso |
Belgique |
Population |
10,8 millions |
10,2 millions |
Superficie |
274.000 km² |
30.000 km² |
Produit Intérieur Brut / hab. |
250 $ |
26.750 $ |
Taux de croissance démographique |
2,8 % |
0,2% |
Nombre d’enfants par femme |
6,6 |
1,6 |
Taux d’alphabétisation des adultes |
20, 7 % |
99 % (?) |
Scolarisation des enfants (primaire) |
32,3 % |
99,9 % |
Espérance de vie |
44 |
77 |
Taux de mortalité infantile (0-5 ans) |
169 / 1000 |
7
/ 1000 |
Mortalité maternelle à l’accouchement |
9,3 / 1000 |
0,1 / 1000 |
Nombre de médecins |
1
/ 25.000 hab. |
1
/ 300 hab. |
Indice Développement humain (PNUD) |
0,304 (171° rang) |
0,923 (5° rang) |
Source :
Rapport sur le développement humain, PNUD 1999
|