Coopération
(20 avril 2006)
Mutuelle
de santé au Burkina Faso
Keneya Sira : sur le chemin de la santé
A Bobo-Dioulasso, cette grande ville
cosmopolite du Sud-Ouest du Burkina Faso, la mutuelle de santé «Keneya
Sira» a vu le jour en 2004 à l’initiative des travailleurs du secteur
informel. Keneya Sira signifie en langue Dioula le chemin de la santé…
En 2003, les artisans de la ville de Bobo Dioulasso,
regroupés en associations professionnelles et encadrés par le Bureau des
Artisans, ont constaté leurs difficultés en matière de protection
sociale en cas d’accident du travail ou de maladie. Les artisans ont
décidé de faire appel au Réseau d’appui aux mutuelles de santé (RAMS)
pour étudier la faisabilité de la mise en place d’une mutuelle des
artisans. Depuis sa création en 2000, le RAMS est soutenu par la
Mutualité chrétienne, par Solidarité Mondiale et par la coopération
belge. A l’issue de l’étude de faisabilité, réalisée sur l’entièreté de
la ville de Bobo par l’antenne de Bobo du RAMS, neuf associations ont
pris la décision de créer une mutuelle. Cette mutuelle prendra le nom de
“Keneya Sira”, ce qui signifie en langue Dioula le chemin de la santé.
L’implantation à partir du réseau associatif
Parmi les fondateurs on retrouvait divers corps de
métier : mécaniciens, soudeurs, restauratrices, teinturiers,
couturières, ainsi que des associations de quartier et l’Association
burkinabé de solidarité. Dès le début, cette mutuelle s’est voulue
interprofessionnelle et ouverte à tous, la seule condition d’adhésion
étant de résider dans la commune de Bobo. L’implantation s’est faite à
partir d’un réseau associatif structuré, ce qui a permis d’aller vite
pour informer la population et de créer une relation de confiance avec
les initiateurs. L’adhésion se fait par famille. La cotisation est de
2,5 euros par an et par personne. La mutuelle a déjà passé des
conventions de soins avec les 5 centres de santé publics de la ville.
L’ambition est de couvrir progressivement tous les types de soins mais
vu la modicité des cotisations, les mutualistes ont décidé de limiter au
démarrage la prise en charge aux consultations curatives et aux
ordonnances (médicaments essentiels génériques) et de plafonner les
interventions à deux épisodes de maladie par personne et par an. La
mutuelle compte à présent 250 adhérents et 710 bénéficiaires.
Une attention particulière au VIH-SIDA
Parmi les adhérents, on dénombre 70 familles
directement confrontées au VIH-SIDA. Les personnes atteintes de ce virus
sont regroupées au sein de l’Association burkinabé de solidarité (ABS).
Cette association travaille sur trois axes : la prévention, la promotion
du dépistage volontaire et anonyme et la prise en charge des patients. A
ce niveau, quatre actions complémentaires sont menées : l’accès aux
traitements pour les patients qui en ont besoin (voir encadré), la
mutualisation des soins pour les maladies opportunistes, le soutien
psychosocial (groupes d’entraide) et la scolarisation des enfants. Il
est assez remarquable de voir comme le SIDA n’est plus tabou pour les
membres de cette association. Leur Président, Issa, explique : “Eh oui,
j’ai le SIDA, et puis quoi ? J’ai le droit de me faire soigner et de
faire soigner ma famille comme tout un chacun, d’ailleurs je suis sous
traitement et “stabilisé”, je ne me sens pas malade !”. Et d’ajouter :
“Keneya Sira est la première mutuelle de santé qui accepte les personnes
vivant avec le VIH, ils ont osé prendre ce risque et nous leur en sommes
reconnaissants. Ils respectent aussi la confidentialité : c’est très
important pour nous de ne pas être stigmatisés. Cela nous permet de nous
faire soigner comme tout le monde dans les centres de santé urbains,
alors qu’avant nous allions tous nous faire soigner à “la maison
blanche”, et quand on te voyait franchir cette porte, on savait que tu
étais séropositif. Bien sûr, la mutuelle ne prend pas en charge les
antirétroviraux (médicaments contre le VIH-SIDA), il existe d’autres
programmes pour cela mais elle permet de soigner les maladies
opportunistes. De plus, la mutuelle nous a aidés à faire accepter auprès
de nos membres l’idée de se soigner avec des médicaments génériques
lorsqu’ils sont disponibles.” Actuellement, l’ABS négocie avec la
mutuelle Keneya Sira la mise en place d’un fonds de solidarité qui
permettrait aux mutualistes membres de l’ABS, confrontés à des recours
aux soins plus fréquents, de bénéficier de prises en charges améliorées
par rapport aux plafonds d’intervention actuels.
L’espoir pour demain !
La mutuelle de Bobo collabore aussi avec
l’association “Espoir pour Demain”, spécialisée dans le soutien aux
femmes séropositives et à leurs enfants, infectés ou affectés par la
maladie, et aux orphelins dont les parents sont décédés à cause du SIDA.
Un suivi particulier est proposé aux femmes enceintes séropositives afin
d’empêcher la transmission mère-enfant (voir encadré). Un appui est
donné pour le traitement antirétroviral des mamans et de leurs enfants.
Un support nutritionnel (boîtes de lait) est aussi offert lorsque
l’allaitement maternel est déconseillé. Enfin, des familles d’accueil
sont recherchées et soutenues afin d’accueillir des enfants orphelins
infectés ou affectés par le VIH-SIDA. Il émane de ce centre une
atmosphère sereine et joyeuse très impressionnante pour tout visiteur
qui y pénètre, malgré des situations de vie particulièrement précaires.
Grâce au soutien financier de la Mutualité chrétienne de Liège, 212
enfants seront affiliés à la mutuelle Keneya Sira et pourront bénéficier
de soins médicaux gratuits.
Le théâtre-débats comme outil de
promotion
La démarche d’animation de la mutuelle de Bobo pour
susciter les adhésions passe par l’organisation de représentations
théâtrales dans différents quartiers de la ville. Une troupe locale a
monté une pièce en langue dioula, qui, à travers quelques sketches
comiques, fait comprendre le besoin et l’intérêt de protéger
financièrement sa famille en cas de maladie. Les animateurs de la
mutuelle et du RAMS interviennent après le spectacle pour expliquer le
fonctionnement de la mutuelle Keneya Sira, répondre aux questions du
public et enregistrer directement les adhésions des spectateurs
convaincus. Ces séances permettent de mettre en évidence les principes
de solidarité et d’assurance sur lesquels fonctionnent les mutuelles de
santé, de montrer que la communauté participe directement à leur gestion
et de créer un climat de confiance vis-à-vis des promoteurs bénévoles
qui sont venus partager leur enthousiasme.
Intense collaboration avec le réseau associatif existant, prise en
compte des patients atteints par le VIH SIDA et de leurs familles,
parrainage mutualiste permettant l’inscription des enfants orphelins et
vulnérables, théâtre-débats pour rassembler, informer et convaincre la
population, toutes ces innovations rendent cette initiative
particulièrement prometteuse pour la population de Bobo-Dioulasso.
Keneya Sira est sur le bon chemin : celui de la santé, qui passe par la
solidarité !
Amina Bila
et Dominique Evrard
Le traitement du vih-sida au
burkina faso
- 28 des 40
millions de personnes infectées par le VIH-SIDA dans le monde
vivent en Afrique (70%). Le SIDA a tué 3 millions de personnes en
2005.
- La maladie se
transmet par la contamination du sang, par les relations sexuelles
ou de la mère à l’enfant (transmission intra-utérine, lors de
l’accouchement ou par l’allaitement maternel).
- Elle se
caractérise par une diminution généralisée de la résistance
immunitaire, ce qui rend le patient très sensible à divers types
d’infections.
- Actuellement le
SIDA se soigne mais ne se guérit pas. Des thérapies
antirétrovirales (ARV) sont disponibles, qui permettent de
soulager le malade, de renforcer la protection immunitaire et de
prolonger sa durée de vie.
- Au Burkina Faso,
l’ONU-SIDA estimait en 2003 que 4,2 % de la population était
infectée, soit 300.000 personnes, dont environ 15 % (45.000)
nécessitent un traitement par les ARV.
- Des centres de
dépistage, d’analyse et de traitement existent dans les chefs
lieux des treize régions mais ils ne sont pas tous opérationnels.
- Selon le Conseil
National de Lutte contre le SIDA, en 2006, 8.000 personnes sont
sous traitement au Burkina Faso : des progrès importants ont été
faits à ce niveau.
- Grâce à
l’intervention de Fonds internationaux comme le Fonds Mondial de
lutte contre le SIDA, la malaria et la tuberculose, le Projet
Esther (France) et le Programme d’Accélération de l’Accès aux ARV
de la Banque Mondiale, les traitements ARV sont disponibles à un
coût subventionné de 5.000 FCFA par mois (8 euros). Les analyses
nécessaires au dosage des ARV coûtent 5 euros par mois en plus.
- Le coût mensuel à
charge des patients pour les malades non subventionnés varie de
12.500 à plus de 100.000 FCFA (20 à 150 euros), ce qui constitue
une charge énorme lorsqu’on sait que 45 % de la population vit
avec moins d’un euro par jour ! |