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Télévision  (16 juin 2002)

Stars du quotidien

La télévision “de la vraie vie des gens” envahit nos écrans. D’aucuns s’indignent de cette “télévision poubelle” qui exacerbe nos instincts de voyeurisme. Et si la télévision n’était que le reflet d’une société en désarroi ?

La télévision du troisième millénaire perturbe et affole. Talk-show tapageurs, jeux cruels, confessions intimes, télé-réalité occupent de plus en plus nos grilles de programmes et font de plus en plus d’audience. Et lorsqu’un tatoué sur tout le corps, un mangeur d’avion ou une maman bisexuelle viennent affirmer haut et fort leur choix de vie dans l’émission de France 3 “C’est mon choix” ; lorsqu’une série de criminels ayant fait la peau à leur conjoint discutent gentiment du coup chez Jean-Luc Delarue dans “Ca se discute” ou lorsque qu’une brochette d’homosexuels choisissent de faire leur “coming out” sur le plateau de “Jour après jour”, on est en droit de se demander ce que devient notre pauvre lucarne. Cette télévision “de la vraie vie des gens” que beaucoup décrie ne serait-elle pas finalement qu’un miroir de notre société ou l’individualisme rime avec le plus grand désarroi social ?… Miroir, mon beau miroir, dis moi pourquoi le petit écran fascine tant ?

Certains affirment que l’attrait pour ces émissions de déballage public réside dans le fait que le téléspectateur relativise ses propres problèmes et se considère finalement comme quelqu’un de “normal”. “Je ne suis pas victime d’une maladie hyper rare comme X. sur TF1 ; je n’en veux pas à mon mari au point de lui faire la peau comme Y. sur AB3 ; je ne suis pas victime d’un pédophile comme Z. sur France 2 ; je ne me suis pas fait braquer 8 fois en un mois à Charleroi comme W. sur la RTBF… bref tout va bien, même si je suis au chômage et élève seule mes deux enfants”… Finalement tout est relatif. La télé, cela redonne du baume au cœur quand même !

 

Son heure de gloire

D’autres parlent de la reconnaissance qu’apporte la télévision à ceux qui ont l’honneur de participer à l’une ou l’autre émission. Ma voisine Germaine, par exemple, est passée dans le poste. Tout l’immeuble l’a reconnue et elle n’en est pas peu fière.

La télévision ne se construit plus de stars du spectacle, de grands champions ou de grands écrivains qui avaient mérité leur passage à telle ou telle émission par leur travail ou leur art, comme dans les années 80. Non, la télévision a choisi dans les années 90 de donner l’occasion au public de participer et de devenir le héros d’un soir dans les jeux, réality-show, émissions de forum. Alors que le grand podium des artistes séparait auparavant la vie publique des stars à celle des petites gens, ces derniers anonymes ont été invités à monter sur le plateau. De manière ludique d’abord. Ils ont ensuite été sollicités pour donner leur avis sur des questions diverses. Enfin, la télévision les a conviés à se livrer dans leur plus profonde intimité dans des émissions où la sphère privée et la sphère publique se confondent et s’entremêlent à cœur joie. La der des der, c’est bien sûr les Big Brother et autres Loft Story où “ce qui passionne le public, c’est la métamorphose qui s’opère sous ses yeux et qui transforme des personnes somme toute ordinaires en personnages, en acteurs d’une histoire qui ressemble à un feuilleton, à une fiction”, écrit Ignacio Ramonet (1). Sur Internet, ces héros anonymes, ces stars du quotidien qui livrent aux webcams et aux internautes leur intimité 24h/24 sont légions et font grincer moins de dents qu’Angela, Thomas, Kamel ou David enfermés depuis plusieurs semaines dans un Loft de 200 m2 en banlieue parisienne. Ces “exhibitionnistes” de la télé-réalité deviennent à leur sortie de nouvelles starlettes de carton pâte, éphémères et fragiles... Le rêve de la star richissime et instantanée a toujours fait rêver le peuple.

 

Je me livre pour survivre

Mais revenons à ma voisine Germaine. Qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête pour aller raconter ses problèmes d’alcoolisme à Jean-Luc Delarue ? Car si la télé réalité (Loft Story) est un bocal de fiction à deux centimes, les talk-shows sont eux de véritables divans de psy… bien éphémères. Personne dans l’immeuble n’ignorait un seul instant l’amour de Germaine pour le goulot, mais elle n’a jamais osé faire part de sa souffrance. Le plateau TV devient aujourd’hui le lieu d’une délivrance pour tous ces gens en mal d’une oreille attentive, une sorte de catharsis. Se livrer, c’est se délivrer d’un poids insurmontable. Et c’est ici que la télévision révèle le grand désarroi social vécu par certaines personnes, l’isolement, l’individualisme de notre société. Pour Dominique Mehl (2), la télévision traduit la difficulté de la communication interpersonnelle dans une société qui se dit de communication généralisée. Le petit écran, le temps d’une séquence, d’un dialogue orchestré par l’animateur se propose de renouer l’échange. Sauf que Delarue, EvelyneThomas ou Mireille Dumas ne sont pas des psys. Les spécialistes n’ont plus cours sur les plateaux TV. Seule la parole profane, le témoignage est montré, mis en scène. Une fois que la parole a fait son devoir de spectacle, elle est abandonnée à son triste sort. Parfois, le témoignage individuel se veut fédérateur, militant : V. expose son expérience de harcèlement pour aider d’autres victimes, F. dont l’enfant a été victime d’un chauffard veut faire changer la législation en la matière... La télévision, par la parole intime, relaie des appels à l’aide collectifs cette fois… souvent désespérés.

La télévision de l’intimité valorise de plus en plus le quotidien de Monsieur et Madame tout le monde et en fait ses choux gras. Elle ne fait que révéler la déliquescence des liens sociaux dans notre société, les carences de structures associatives ou institutionnelles à même de prendre en charge les questions sociales. La télévision est un bien triste miroir…

 

Françoise Robert

 

(1) Big Brother, article paru dans Le Monde diplomatique de Juin 2001.

(2) La télévision de l’intimité, Dominique Mehl, édition du Seuil, 1996.